Innover localement pour financer les territoires

2014

Fonds mondial pour le développement des villes (FMDV)

Introduction générale du dossier - Les collectivités européennes d’aujourd’hui : des compétences accrues pour des ressources érodées ?

En 2014, 72 % de la population européenne vit dans un milieu urbain caractérisé par des structures urbaines polycentriques et de nombreuses villes intermédiaires. Malgré un récent ralentissement, les collectivités locales européennes demeurent encore aujourd’hui responsables de plus de 65 % des investissements publics en Europe et constituent, en ce sens, l’un des principaux moteurs des économies européennes. Par ailleurs génératrices de « croissance » et d’innovation (67 % du PIB européen se réalise dans les régions métropolitaines), les métropoles européennes sont, dans le même temps, les espaces où se concentrent les plus grandes inégalités et les plus forts taux de chômage, avec, pour effets corollaires, l’augmentation de l’exclusion et de la pauvreté1… Aux impacts budgétaires de la « crise » économique et financière, s’ajoute, en conséquence, le poids croissant du coût des services sociaux2, mais également celui des besoins, actuels et projetés3, en investissements de long terme et renouvellement des infrastructures et équipements, et des transferts de compétence depuis l’Etat : ensemble, ils conduisent à un accroissement des dépenses locales, à une époque de raréfaction drastique des ressources. De quelles marges de manoeuvre les collectivités européennes disposent-elles pour mobiliser durablement de nouvelles ressources ? Quelles expériences peuvent-elles les inspirer ? Quelles nouvelles logiques émergent à partir de ces mécanismes innovants de financement ?

À télécharger : innover_localement_pour_financer_les_territoires12.pdf (1,5 Mio), local_innovations_to_finance_cities_and_regions8.pdf (1,5 Mio)

DYNAMIQUES LOCALES EUROPÉENNES : RÉINTERROGER LES ÉVIDENCES, FAIRE LA DIFFÉRENCE

L’action publique locale européenne se trouve prise en étau par le paradoxe existant entre responsabilités et devoirs accrus, intégration active à la mondialisation, autonomie financière relativement faible, et capacités et moyens disponibles et mobilisables incertains.

Le tout se situant dans un contexte d’obligation d’engagement pour une société bas carbone, redistributive et pour un territoire « attractif et compétitif ». Confrontée à une baisse tendancielle des transferts financiers des Etats, à une politique d’austérité de la dépense publique à travers des stratégies, parfois controversées, de rationalisation des ressources, à des phases de décentralisation à périmètre variable, elle fait face également à une agilité fiscale limitée (suivant les échelons territoriaux) ou fortement exposée aux fluctuations de l’économie. L’action publique doit également faire face à des capacités inégales d’accès aux fonds structurels et programmes européens, à l’emprunt bancaire ou encore sur les marchés pour des projets de long terme.

Points nodaux des flux de la mondialisation, et organisées en clusters et réseaux, les villes et régions européennes cherchent donc à peser et faire entendre la voix des gouvernements infranationaux dans la révision et l’élaboration des politiques européennes et leur mise en oeuvre. Elles sont aujourd’hui mieux valorisées par l’Union Européenne qui souhaite se doter d’un Agenda urbain européen, et par l’OCDE qui, en 2014, a reconnu pour la première fois leur rôle majeur, en validant une recommandation pour l’efficacité de l’investissement public entre niveaux de gouvernement4.

Largement tributaire d’un désir des Etats de reporter le poids de la dette vers les acteurs subnationaux, cette situation nouvelle représente néanmoins une opportunité à saisir. Elle est en effet l’occasion de repenser, au niveau politique, économique, social et culturel, le projet européen par et pour les territoires, leur offrant un contrôle et une autonomie en rapport avec leurs mandats sur les affaires économiques et financières de leurs bassins de vie.

Cet état des lieux interroge la capacité des acteurs institutionnels européens à organiser une gouvernance et un gouvernement régionaux « multi-niveaux », reconnectés aux réalités locales, aux défis posés et aux formes nouvelles du « faire ensemble » à même d’en émerger. Dans cette optique, le développement économique local et la diversité des sources et formes de financement du développement urbain constituent le socle sur lequel reposent la faisabilité, la viabilité et l’efficience de leurs propositions.

Mais quelles stratégies et instruments de financement mettre en place ou adapter pour favoriser un dynamisme des territoires, mais aussi le financement des politiques sectorielles clefs et une péréquation solidaire entre territoires ? Quelle optimisation et arbitrage des dépenses proposer sans contrevenir aux besoins réels en investissement ? Suivant quels cadres comptables et indicateurs renouvelés ? Qui sont les différents acteurs du financement des collectivités territoriales et quelles sont les évolutions notoires dans le fonctionnement des bailleurs de fonds traditionnels ? Quelles nouvelles institutions et relations entre partenaires du développement urbain européens mettre en oeuvre ? Quels aménagements réglementaires favoriser ? Quelles capacités locales renforcer, et comment ? Comment assurer la transition entre plusieurs modèles de financement du développement local, dont l’impact dépend fortement des contextes institutionnels, économiques, sociétaux, dans lesquels ils émergent et sont implantés, ainsi que des capabilités des acteurs locaux ?

Pour répondre à ces questions par l’action, la déclinaison européenne de la campagne mondiale REsolutions To Fund Cities s’engage à faire émerger des expériences et initiatives locales européennes à même d’inspirer dès aujourd’hui les acteurs locaux, et au premier chef les collectivités territoriales. Car des solutions existent : cette publication présente un ensemble non-exhaustif, mais néanmoins représentatif, de politiques, stratégies, mécanismes et instruments activés pour financer le développement urbain européen.

LES FINANCES LOCALES EUROPÉENNES FIGURANT À LA CROISÉE DES CHEMINS

Figurant parmi les premiers investisseurs de long-terme en Europe et principaux acteurs de la transition de nos systèmes, les gouvernements infranationaux européens souffrent aujourd’hui d’un manque croissant de liquidité. Aussi, pour combler les lacunes conjoncturelles (ex. : baisse du montant des transferts financiers de l’Etat central vers les collectivités territoriales de 30 % en Espagne en 20115, taux d’intérêt records en Espagne, en Grèce ou au Portugal) et s’adapter aux enjeux structurels inhérents à nos sociétés (notamment réduction de l’empreinte carbone, vieillissement des populations, besoins en infrastructures), des mesures d’urgence ont été déployées par certains Etats européens afin de faciliter le financement des collectivités locales à travers le soutien d’institutions publiques nationales6.

Mais ces mesures ne constituent pas une réponse pérenne aux besoins de financement des collectivités. En conséquence, de nouvelles stratégies de diversification de financements des gouvernements infranationaux émergent en Europe, laissant apparaitre une évolution des modèles de financement vers la mobilisation du capital privé et un plus grand recours aux institutions financières publiques internationales, régionales, nationales, ainsi qu’au marché obligataire. En témoignent par exemple les volontés de création d’Agences de financement des collectivités locales, ou le recours aux émissions obligataires responsables ou mutualisées.

La Commission européenne, dans sa nouvelle programmation budgétaire 2014-2020 entend conforter cette tendance à travers la mise à disposition d’outils d’ingénierie financière à effets de leviers : les instruments financiers (IF). Proposés par la Banque Européenne d’Investissement (BEI), les IF permettent de mobiliser le capital privé, évitant de puiser dans les ressources de la politique de cohésion7, pour soutenir l’économie bas-carbone, notamment à travers le développement de partenariats public-privé tels que mobilisés via le Fonds vert de Londres doté de 125 millions d’euros et visant à financer la politique de développement durable de la ville. A ces formes classiques d’ingénierie financière répondent des stratégies et outils complémentaires qui ouvrent à de nouvelles perspectives de diversification des ressources pour les autorités locales européennes. De nombreuses dynamiques contribuent en effet aujourd’hui à proposer un renouveau du développement urbain : formes émergentes d’urbanisme post-réseau8, concepts de ville productive ou d’urbanisme agricole9, ou éclosion des initiatives issues de l’économie du partage10. Ces expériences, encore embryonnaires, se font écho les unes aux autres ; elles participent à la réflexion sur la définition et le rôle du service public, sur les biens communs et le droit à la ville, sur les nouvelles formes de contractualisation ou de relation partenariale entre « acteurs de la ville », et, dans un monde globalisé, sur la capacité de résilience des territoires via une relocalisation « connectée » des échanges, des activités et des productions.

De ces réflexions naissent des expérimentations qui s’érigent en pratiques : en témoignent, par exemple, parmi les études de cas présentées ici, l’intérêt croissant vis-à-vis du Community Land Trust11, ou encore le développement des monnaies locales complémentaires. Ces pratiques promeuvent la valeur de l’usage plutôt que celle de la propriété et appellent à un renouveau de la pensée et de l’action économiques et financières locales, ainsi que de la gouvernance du projet de territoire.

DIVERSITÉ ET COMPLÉMENTARITÉ : MAÎTRES-MOTS DU FINANCEMENT LOCAL EUROPÉEN

Afin de disposer d’un éventail large de propositions de stratégies et outils de financement à la portée des collectivités locales européennes, cette publication a privilégié trois axes de recherche :

Le premier chapitre présente ainsi trois stratégies réinvestissant les solutions « traditionnelles » de financement par une diversification des mécanismes de recours à l’emprunt via :

Le deuxième chapitre explore des politiques conduisant à optimiser et repenser la gestion des ressources et des investissements locaux. Sont analysés ici :

Le dernier chapitre, enfin, s’attache à démontrer que le développement économique local constitue un levier essentiel, si ce n’est prioritaire, du financement du développement urbain. Depuis plusieurs années, les territoires européens sont le terrain fertile d’initiatives innovantes. Elles réinterrogent la notion de propriété, explorent diverses formes de gouvernance à forte valeur ajoutée, et réduisent les coûts d’intervention des acteurs publics ou renforcent la résilience des économies locales par la création d’emplois locaux durables ou la mise en réseau solidaire et productive des acteurs économiques et citoyens du territoire, à l’instar :

Donnant la parole aux élus et à leurs équipes, chacune des études de cas s’attache ainsi à analyser les principaux mécanismes et outils de financements endogènes et exogènes développés et/ou soutenus par les autorités locales en Europe et les conditions de leur réplicabilité.

Les chapitres et les études de cas mis en carte

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Les conditions règlementaires et partenariales à réunir ou encore la problématique des mesures d’impact des stratégies de soutien au développement économique local sont également abordées. Articulés les uns aux autres, les exemples présentés constituent un ensemble cohérent et ne sauraient, isolés, répondre aux défis de demain. Car, alors même qu’une profusion d’initiatives locales existent et dessinent les axes possibles d’un renouveau des pratiques et de leurs externalités positives, les politiques globales réconciliant mondialisation, durabilité et réalités locales font encore défaut. L’objectif est donc ici de rendre lisible, par l’activité locale, la complexité des objectifs visés et de présenter des chaines de valeur qui conduisent au financement et au développement de projets territoriaux réellement intégrés. Et par là de mettre en lumière les processus et les étapes nécessaires pour une transformation consciente des modèles et des pratiques.

PISTES POUR L’AVENIR ET ENSEIGNEMENTS

En complément des transferts financiers des Etats, les sources de financement pour les gouvernements infranationaux s’articulent entre la mobilisation des fonds européens structurels et d’investissement, la diversification des sources et formes d’emprunts, une fiscalité rénovée, des politiques de rationalisation et d’optimisation de la dépense publique, ou encore la mobilisation de l’épargne locale pour financer des projets ayant un ancrage territorial. Il est également essentiel en Europe de structurer l’action et la coopération entre les grandes banques publiques européennes mais également entre banques locales, nationales et régionales.

Plus réactifs que les gouvernements nationaux, les gouvernements locaux sont en capacité de mettre en oeuvre des dispositifs financiers innovants qui contribuent à faire évoluer les mentalités bancaires, les politiques nationales et européennes ou encore le système financier international (cf. l’engagement contre les paradis fiscaux des régions qui a permis de faire évoluer la loi en France et en Europe). Les collectivités territoriales, dans leur diversité, sont à même de contribuer au désendettement des Etats centraux (solvabilité accrue via les Agences de financement des collectivités locales) et à assurer le financement de la transition énergétique (SEM Energies Posit’if). Elles disposent également des leviers nécessaires pour soutenir l’économie réelle, seule productrice véritable de richesses durables.

Dans une Europe en mutation, la durabilité économique et environnementale de la fourniture des services publics basée sur des réseaux traditionnels d’infrastructures reste incertaine12. Leurs coûts généraux ne peuvent qu’augmenter, notamment en raison des dépendances énergétiques, alimentaires et en matières premières de nos systèmes. Il devient donc nécessaire de penser des formes alternatives de développement urbain au regard du coût comparé des investissements et suivant des indicateurs adaptés à la réalité des ressources disponibles et mobilisables (aussi bien naturelles qu’économiques et financières). Au-delà de la simple notion de coût, il est donc également question de modèles et de visions pour l’avenir. La manière dont est pensé et réalisé le financement des collectivités locales ne fait que traduire ces modèles. A titre d’exemple, il ne s’agit donc pas « simplement » de financer un projet urbain produit localement, mais également d’utiliser et de réutiliser les ressources locales, et de passer d’un modèle linéaire à un modèle circulaire, tout en opérant, dans la mesure du possible, la multifonctionnalité des infrastructures. Les territoires représentent des lieux d’expérimentation sur lesquels s’articulent un vivier d’initiatives à même de fédérer vers plusieurs - car il ne peut y en avoir qu’un - modèles de sociétés complémentaires, viables et enviables. De l’appropriation de la ville par ses habitants et les groupes d’acteurs qui interagissent sur et avec le territoire, résultent de nouvelles lignes de partage des responsabilités, de gouvernement et de gouvernance qu’il convient de valoriser et de développer de manière cohérente. Ainsi, il apparaît que le rôle des villes de demain est moins de permettre à ces initiatives d’exister que d’en assurer leur articulation suivant une vision partagée et commune du développement territorial planifié et capacitant. Il apparaît également que le succès des stratégies de financement dépend de nombreux facteurs tels que des politiques territoriales volontaristes associées à un portage politique fort et des coopérations renforcées entre les diverses parties prenantes de la transition (associations locales, ONG, réseaux, secteur privé…) et entre échelles de territoire. Identifier les externalités positives d’un projet, les quantifier et déterminer le niveau d’aide publique complémentaire constituent également des moyens de valorisation des ressources locales et leur « monétarisation » éclairée. Les autorités locales européennes agissent et cette publication en est le reflet. Passons le mot, l’expérience et les connaissances !

1 « La dimension régionale et urbaine de la crise –huitième rapport d’étape sur la cohésion sociale, économique et territoriale » – rapport de la Commission (Juin 2013)

2 Ces coûts se traduisent par une augmentation de respectivement 10% et 24.5 % des budgets sociaux des collectivités locales danoises et slovaques en 2010 (Local governments in critical times: Policies for Crisis, Recovery and a Sustainable Future – Council of Europe text edited by Kenneth Davey, 2011, p78- 92)

3 Il est estimé un besoin d’investissement de l’ordre de 650 milliards € par an - cf. G. Inderst, Private Infrastructure Finance and Investment in Europe, EIB Working Papers, (Février 2013)

4 http://bit.ly/FMDVReso-governance

5 DEXIA-CCRE report on European local authority budgets (summer 2012) bit.ly/FMDVReso-Dexia

6 Ibid.

7 Le financement au titre de la politique de cohésion représente plus de la moitié des investissements publics en 2011 dans de nombreuses régions « moins développées » en Europe, préserver ces ressources constitue donc une priorité.

8 L’ère post-carbone invite à transformer en profondeur tous les modes d’organisation des réseaux traditionnels vers plus de décentralisation. Vers l’essor des villes « post-réseau » : infrastructures, innovation sociotechnique et transition urbaine en Europe – Oliver Coutard et Jonathan Rutherford – LATTS - 2013

9 La ville devient ainsi un nouveau territoire agricole, envisagée pour ses capacités productives

10 Selon le magazine Forbes, la « sharing economy » pèserait ainsi 3,5 milliards de dollars en 2013, en progression de 25 %.

11 Dispositif de gouvernance tripartite et d’immobilisation des investissements dans la pierre, via la dissociation de la propriété foncière du sol et du bâti.

12 Op. cit. Coutard et Rutherford

Références

1 The urban and regional dimension of the crisis - Eighth progress report on economic, social and territorial cohesion, Report from the Commission (June 2013)

2 These costs resulted in respective increases of 10% and 24.5% in the social budgets of Danish and Slovakian local authorities in 2010 (Local governments in critical times: Policies for Crisis, Recovery and a Sustainable Future – Council of Europe text edited by Kenneth Davey, 2011? p78- 92)

3 The investment needs are estimated to be about €650 billion per year - cf. G. Inderst, Private Infrastructure Finance and Investment in Europe, EIB Working Papers (February 2013)

4 http://www.oecd.org/

5 DEXIA-CCRE report on European local authority budgets (summer 2012)

6 Ibid.

7 In 2011, funding for the cohesion policy represented more than half of public investment in many of the “less developed” European regions.

8 The post-carbon era is an opportunity to profoundly transform the way traditional networks are organised, moving towards greater decentralisation. Article in French: “Vers l’essor des villes « post-réseau”: infrastructures, innovation sociotechnique et transition urbaine en Europe” (The expansion of ‘post-network’ cities: socio-technological infrastructure and urban transition in Europe), – Oliver Coutard and Jonathan Rutherford – LATTS – 2013.9.

9 The city becomes a new agricultural area, envisaged in terms of its production capacities.

10 According to Forbes magazine, the share economy was worth $3.5 billion in 2013, a rise of 25%. bit.ly/FMDVReso-Forbes

11 A system of tripartite governance and placement of investments in bricks and mortar, based on the separation of land ownership and building ownership

12 op. cit. Coutard and Rutherford

4 analyses

11 études de cas