Les marchés publics, moteurs de développement du tissu économique local à Manchester

2014

Fonds mondial pour le développement des villes (FMDV)

Au Royaume-Uni, en 2012, l’Etat central signait l’équivalent de 260 milliards £ de marché public (320 milliards d’euros) tandis que les collectivités locales en contractaient pour 70 milliards £1 (86 milliards d’euros).

Dans une période de réduction drastique du budget des collectivités locales britanniques (-28 % en 20122), améliorer la gestion et l’efficacité de ces marchés publics est une stratégie incontournable de l’optimisation de la dépense publique.

En 2008, la ville de Manchester a commandé au Center for Local Economic Strategies (CLES, centre de recherche à but non lucratif) une étude sur l’impact des marchés publics passés par la municipalité (d’une valeur annuelle moyenne d’environ 300 millions £, soit 370 millions euros) sur l’économie locale en analysant la part réinvestie sur le territoire par les sous-traitants. Les résultats ont conduit à une meilleure compréhension du tissu économique local, un resserrement des liens entre la municipalité et les sous-traitants locaux et un meilleur aiguillage des investissements publics pour soutenir la stratégie économique et sociale de la municipalité, notamment en termes d’emploi des jeunes.

À télécharger : innover_localement_pour_financer_les_territoires.pdf (1,5 Mio)

Manchester, une ville dynamique sensible à l’importance des marchés publics locaux

Dès les années 1980, Manchester a développé des méthodes innovantes pour relancer son territoire durement touché par la désindustrialisation, devenant notamment une ville pionnière en matière de régénération urbaine. Malgré le redéveloppement du centre-ville et une vitalité économique retrouvée, des inégalités sociales ont persisté et avec elles la nécessité de mieux répartir les richesses produites localement.

A la suite de la première stratégie nationale concernant les marchés publics pour les collectivités locales (National Procurement Strategy for Local Governments) lancée en 2003 par la Local Government Association (LGA, association des collectivités locales britanniques), Manchester a repensé ses marchés publics et leurs impacts sur l’économie locale à travers la mise en place d’une politique de marchés publics durables (Sustainable Procurement Policy). Ce dispositif consiste à concentrer et enraciner les dépenses liées aux marchés publics sur le territoire de la ville afin d’y dynamiser le tissu économique. L’étude du Center for Local Economic Strategies (CLES) et l’outil LM3 développé par la New Economic Foundation (voir Fig. 1) sont venus alimenter cette stratégie.

L’outil LM3
d’après FMDV, 2014

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Des résultats de l’étude …

L’étude d’impact sur les marchés publics du CLES a permis d’analyser l’évolution des marchés publics à Manchester en 2008, 2010 et 2012. La première étude ayant été suivie de recommandations, les études suivantes ont pu mettre en valeur l’effet concret des mesures prises. Ainsi, en 2008-2009, la municipalité de Manchester avait dépensé 357 millions £ en marchés publics auprès de 300 sous-traitants, dont 51,5% basés dans la ville de Manchester ; en 2012-2013, cette part était passée à 69,3%3.

Evolution de la proportion d’investissement public dans l’économie locale
Source : Matthew Jackson, CLES (Novembre 2013) Maximising the benefits of procurements

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Il y a donc eu une réorientation très nette vers des acteurs économiques attachés à la ville grâce à une série de mesures développées par la municipalité. La portée économique des marchés locaux sur la ville a également pu être mesurée : en 2008-2009, elle s’élevait à 273 millions £, comprenant les dépenses de la municipalité et les salaires reversés par les sous-traitants à leurs employés logeant à Manchester. L’impact catalytique, c’est-à-dire ce qui est ensuite réinvesti dans l’économie locale par les sous-traitants et leurs employés, est quant à lui plus difficilement quantifiable, mais a été estimé à 687 millions £ 4. L’enracinement local des marchés publics varie néanmoins en fonction des secteurs économiques : par exemple, en 2012, 89,2% des fournisseurs en eau et énergies (utilities) étaient basés dans l’agglomération de Manchester, contre 53,5% des fournisseurs d’articles de bureau ou de véhicules de fonction (wholesale and retail trade)5. Il existe en effet une limite à l’offre disponible sur un territoire et une partie des marchés publics ne peut (encore) être signée qu’avec des acteurs situés en dehors du territoire de la collectivité.

… Aux actions de terrain

Quelques politiques simples à mettre en place ont été lancées à la suite de l’étude avec pour objectif principal de changer les habitudes des acteurs locaux dans le but d’optimiser et multiplier les impacts des marchés locaux sur le territoire.

1. Identifier et privilégier les sous-traitants locaux de la ville et de la Région

Cibler la sous-traitance locale passe d’abord par l’identification des sous-traitants implantés hors du territoire local, ainsi que leurs secteurs d’activité, afin de chercher à les remplacer par des acteurs du tissu économique local. Par ailleurs, les marchés publics de Manchester ayant un impact sur la région du Grand Manchester, la ville s’est engagée à promouvoir le North West Regional E-procurement Portal, aussi appelé CHEST, un portail informatique sur lequel les entreprises sont invitées à s’enregistrer et où les gouvernements locaux peuvent poster des offres. En mettant en valeur cet outil, Manchester espère ainsi faciliter l’accès aux marchés publics des entreprises de toute la région.

2. Créer des réseaux et des groupes d’échanges

La ville a également créé un réseau composé de ses 300 principaux sous-traitants afin de mieux appréhender la réalité des difficultés d’accès aux marchés publics (contrats trop complexes ou inappropriés). Le réseau sert également à communiquer sur les enjeux de la redistribution locale des investissements. On peut imaginer que ce travail de communication intensif a porté ses fruits puisque la proportion réinvestie par les sous-traitants dans l’économie locale est passée de 25p pour 1£ versée par la mairie en 2008/09 à 47p en 2010/11.

De plus, pour améliorer l’efficacité des marchés publics, la municipalité et le CLES ont mis en place un groupe de travail transversal constitué de cadres administratifs des départements du développement économique, des marchés publics et des aides sociales, qui se regroupent chaque trimestre pour cibler les enjeux sur lesquels les marchés publics pourraient agir.

3. Favoriser l’emploi des jeunes en difficulté

Un des points forts de la stratégie de Manchester est d’utiliser les marchés publics comme des effets de levier pour la création d’emplois, en particulier dans les quartiers défavorisés. En 2010, le CLES a évalué que 5 225 habitants tenaient leurs emplois directement des marchés publics passés auprès de sous-traitants locaux. Pour améliorer ce chiffre, la municipalité favorise les contrats avec des sociétés qui s’engagent à créer des emplois localement, notamment des postes d’apprentis pour les jeunes peu diplômés.

Ce recentrage vers les quartiers en difficulté est visible : la proportion des marchés publics passés dans ces derniers a augmenté de 47,6 % en 2008 à 59,7 % en 2012. En exploitant l’impact économique de leurs actions d’achat public, les collectivités européennes démontrent leur capacité à influer sur l’économie réelle, pourvoyeuse d’emplois locaux durables. Elles se font, ainsi, directement actrices du changement en démontrant leur compétence d’organisation des acteurs économiques locaux.

Récapitulatif
d’après FMDV, 2014

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1 CLES (2012) Progression in Procurement: Manchester City Council

2 Local Government Association (Juin 2012) Local Government Procurement Pledge

3 CLES (2012) Progression in Procurement: Manchester City Council

4 Idem

5 Manchester City Council (2010) Economy, Employment and Skills Overview and Scrutiny Committee, Item 8

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