Repenser l’emprunt et favoriser l’effet levier des fonds européens

2014

Fonds mondial pour le développement des villes (FMDV)

Depuis 2008, en Europe – et la tendance tend à se généraliser – les sources classiques de financement des collectivités locales faiblissent (fiscalité locale) ou menacent de se tarir (dotations, subventions et emprunts) au gré des ajustements imposés par les crises systémiques. Du fait de la baisse des transferts de l’Etat et du resserrement des crédits bancaires, la tendance se veut donc à la diversification des ressources ou à l’adaptation d’une partie de ces mécanismes financiers traditionnels. Quels systèmes d’ingénierie financière émergent ou se renforcent ? Quelles en sont les limites ? Quels bilans aujourd’hui de l’efficience, de l’articulation et de la complémentarité de ces démarches et instruments ? Quelle appropriation par les collectivités territoriales européennes aux différentes échelles territoriales? Quels impacts au niveau de l’endettement, de la gouvernance locale, de l’équité territoriale ? Quels besoins (et réponses) en matière de renforcement des capacités financières de programmation, de gestion et de suivi ? Les réponses à ces interrogations mériteraient à elles-seules des analyses et débats croisés entre les différents acteurs (experts, institutions, acteurs locaux, publics, citoyens et privé), sans que l’hypothèse d’une entente consensuelle soit à même de se vérifier. C’est pourquoi, il s’agit pour nous, plus modestement, d’illustrer des dynamiques de rénovation des stratégies financières locales (Cf. Emprunts socio-écoresponsables, Le Kommuninvest en Suède et le London Green Fund), nées dans des environnements chaque fois particuliers, mais présentant des indices de reproductibilité élevés et suffisamment contextualisés pour inspirer d’autres collectivités européennes. En parallèle, les négociations avec les acteurs bancaires et financiers publics ou privés européens doivent continuer et porter sur des programmes au long cours. Il s’agit en effet aujourd’hui de mieux intégrer la progressivité des partenariats et les capabilités des collectivités locales de taille et de contextes différents (produits et environnements institutionnels adaptés) ainsi que des aménagements législatifs et réglementaires plus en phase avec la réalité des relations et interconnections entre acteurs dans des territoires mondialisés.

À télécharger : innover_localement_pour_financer_les_territoires1.pdf (1,5 Mio)

Des ressources traditionnelles en voie d’extinction ? Dès 2009, la crise économique et financière a impacté à la baisse les budgets des autorités locales, et par conséquent leurs capacités d’investissement local et de provision des services de base dont elles ont la charge. En parallèle de la baisse des revenus fiscaux 1, et des subventions et dotations nationales 2, les collectivités ont connu un assèchement des crédits bancaires, dû à la baisse des liquidités des banques commerciales. Mais aussi à l’effondrement d’institutions spécialisées 3, à l’instar de la banque franco-belge Dexia qui estimait à 6 milliards d’euros le manque de financement de long terme pour les collectivités françaises 4 et pour l’année 2012. Bien que les situations diffèrent entre les pays, un accès plus difficile aux crédits bancaires contraint les collectivités territoriales à accepter des taux d’intérêt en augmentation. En Espagne, par exemple, ces taux ont atteint, pour certaines régions, les 4,75 % en 2010 5. En Europe, si la part des fonds européens dans les investissements publics locaux varie fortement d’un territoire à l’autre, ils ont néanmoins permis de compenser en partie les récentes réductions, parfois drastiques, des transferts financiers des Etats centraux vers les collectivités locales 6. Mais parmi les collectivités européennes, lesquelles ont la capacité d’aller chercher ces financements ? Et jusqu’à quand ces fonds seront-ils en mesure de pallier le manque de ressources locales ? De fait, pour pallier ces difficultés de financement et diversifier leurs ressources, certaines collectivités innovent et déploient de nouvelles stratégies de financement.

Diversifier les ressources, emprunter mieux et autrement : la réponse tendancielle des collectivités européennes

Si plusieurs expériences européennes révèlent des potentiels certains (écotaxes, captation des plus-values foncières), deux innovations sont particulièrement notables, même si récentes ou encore peu développées :

Chacune, à sa manière, démontre une volonté d’autonomisation des collectivités, grâce à l’acquisition et à la mobilisation d’une expertise indépendante et de compétences financières accrues. Tandis que les nouvelles stratégies d’emprunt mettent en valeur la capacité des gouvernements locaux à relier accès au marché financier et politique de développement urbain durable, les IF offrent l’opportunité d’un pont de financement direct entre l’Union Européenne et les collectivités territoriales.

Dans nos études de cas, les nouvelles stratégies d’emprunts, via les émissions obligataires, sont analysées à travers deux de leurs déclinaisons :

Le fait de se concentrer sur le financement exogène au territoire (banques, marchés, Union Européenne), et non sur la fiscalité locale, est un parti pris : dans un contexte de crise structurelle, économique et sociale, il semble primordial de trouver des solutions qui dépendent le moins possible des ressources directes des citoyens ou les acteurs économiques locaux, dont les finances rencontrent elles aussi des difficultés.

Si le FMDV reconnait la fiscalité comme socle de la solvabilité, du financement et de l’autonomie des collectivités locales, la diversité et la complexité des systèmes fiscaux locaux européens réclament un examen en soi et au cas par cas. En attendant, l’exploration de ces mécanismes financiers innovants apporte une réponse possible aux besoins budgétaires locaux, dans un cadre de référence mieux partagé à l’échelle de l’Union. C’est également la position du CCRE dans son rapport sur le financement des collectivités locales7. Par ailleurs, ces exemples ont été choisis à la fois pour l’innovation, l’originalité des solutions apportées et leur potentiel de reproductibilité. Les études de cas abordent tout particulièrement leurs modes de gouvernance, leur fonctionnement et leurs impacts dans les territoires.

Leçons apprises et questions en suspens

Force est de constater que ces dynamiques requièrent une expertise financière certaine : le développement des capacités techniques au sein des collectivités constitue, en cela, un enjeu crucial pour la diversification des ressources financières. Ceci étant, une autonomisation, même partielle, ne serait que relative si elle s’avérait créer une dépendance par rapport aux investisseurs privés. Il s’agit donc bien ici de toujours chercher un équilibre entre ressources endogènes et exogènes et de poser cette indépendance maximale aux fluctuations des marchés comme un objectif en soi de responsabilité dans la gestion financière de la collectivité. D’autres interrogations peuvent également être formulées : ces mécanismes peuvent-ils répondre aux besoins actuels des collectivités en termes de financement mais aussi de développement durable sur le long-terme ? Quel type de développement local, ces nouvelles méthodes de financement produisent-elles ?

Autres points : les mécanismes décrits dans les études de cas ne s’adressent pas tous aux mêmes collectivités. Les questions de taille et de dynamisme économique de ces dernières sont primordiales. Les petites et moyennes collectivités ne disposent pas des mêmes atouts et expertises que les grands gouvernements locaux plus puissants. Quelles articulations et coopérations dessiner entre elles ? Comme l’étude de cas sur l’agence Kommuninvest le démontre, elles doivent donc trouver des solutions alternatives, qui passent souvent par une coopération plus approfondie et repensée, à la fois horizontale et verticale (formats de contractualisation, nouvelles institutions et modalités de relations). Aussi, le critère de solvabilité constitue une condition incontournable. Et, en cela, mettre en place des mécanismes financiers adaptés à chaque échelle de gouvernement décentralisé peut contribuer au désendettement des collectivités locales et donc des Etats centraux (adéquation aux capacités des administrations locales et valorisation des potentiels territoriaux). Enfin, il se dessine également parmi les collectivités un véritable effort en faveur d’un approfondissement de la transparence et de la coopération pour garantir des financements durables et stables. Le fléchage des financements est un bon exemple de solution concrète pour permettre de lier mécanismes de levée de fonds à un modèle de développement durable. Car, pour conclure, rappelons que le financement ne doit pas être détaché des projets mais être rattaché à une même stratégie politique. Le financement n’est viable que si les projets qu’il supporte et leurs impacts sont pérennes parmi les populations et les territoires.

1 En 2011, les collectivités européennes ont connu une diminution de 1,5 % des ressources propres et taxes partagées, après une chute de 4,5 % en 2010

2 Par exemple : - 30 % en Espagne en 2011, entre - 5 et -12 % en Lettonie, Roumanie, Italie, République Tchèque et Royaume-Uni Rapport Dexia/CCRE - été 2012 – “ Budget des gouvernements infra-nationaux en Europe”

3 Cities alliance (2009) Local governments and the financial crisis : an analysis

4 La Tribune (22 juin 2012) La crise continuera en 2013

5 The Guardian (21 nov. 2010) Local authorities face credit crunch amid European debt crisis

6 A titre d’exemple, pour la capitale Slovaque, Bratislava, la part des fonds européens dans les investissements publics locaux entre 2007 et 2013 s’élève à 75 % - Intervention du Maire de Bratislava lors de la Conférence Cities of Tomorrow- Bruxelles 18 février 2014

7 CCRE. 2012. Projet « Poste de travail du futur » Assurer des emplois de qualité, modernes et durables au sein des collectivités locales et régionales. Thème 1 : Le financement des collectivités locales et régionales : défis majeurs, solutions pour relancer la croissance et autres initiatives