Le Community Land Trust Bruxelles : un modèle de gouvernance partagée pour un logement social accessible et permanent
2014
Fonds mondial pour le développement des villes (FMDV)
Face aux difficultés des ménages modestes à acquérir des logements urbains, le Community Land Trust présente une solution alternative complémentaire et inclusive.
La crise du logement est devenue une problématique commune à l’ensemble des pays du vieux continent en témoignent l’augmentation du nombre d’expulsions, de sans-abris ou encore l’allongement des listes d’attente de logements sociaux 1. Dans une Europe dont les zones urbaines se densifient l’enjeu est de taille pour les collectivités territoriales, garantes de l’intérêt général et de la mise en œuvre du logement social.
De compétence infranationale, unanimement reconnu comme un outil de cohésion sociale et territoriale, le logement social subit aujourd’hui des pressions grandissantes. En réponse, de nouveaux modèles de gouvernance du foncier, d’accession à la propriété et de financement du logement social, tels que les Community Land Trust (CLT), se développent dans les Etats membres parfois de manière très innovante. Lauréat en 2008 du World Habitat Award, le CLT représente un dispositif alternatif pour atténuer la crise du logement qui séduit un nombre croissant de collectivités locales, de citoyens, de bailleurs sociaux et d’associations de quartier. Tel est le cas à Bruxelles où le 20 décembre 2012, est né le premier CLT en Europe continentale grâce au soutien de la région Bruxelles-Capitale.
À télécharger : innover_localement_pour_financer_les_territoires10.pdf (1,5 Mio)
Conçu au début des années 1970 aux Etats-Unis, le dispositif du Community Land Trust (CLT) dissocie la propriété foncière et du bâti sur la base de l’attribution d’un régime de propriété et de règles de gestion distincts. Chaque CLT a son propre fonctionnement adapté au territoire où il est implanté mais tous sont des organisations à but non lucratif qui partagent les trois mêmes principes de base : le démembrement du sol et du bâti, l’accessibilité perpétuelle des logements aux ménages à faible revenu via une limitation de la plus-value foncière, la gouvernance intégrée entre propriétaires, habitants et collectivités locales. Le sol est ainsi perçu comme un bien collectif tandis que les ménages acquièrent individuellement le bâti à prix réduit par rapport à une transaction immobilière classique.
Principe et fonctionnement à Bruxelles-Capitale
A Bruxelles, deux structures composent le CLT: la Fondation d’Utilité Publique CLT Bruxelles, propriétaire des terrains où les logements seront construits et l’ASBL 2 CLT Bruxelles, responsable de la gestion au quotidien du patrimoine de la fondation.
Les sièges du Conseil d’Administration de l’ASBL sont répartis en tiers égaux entre les habitants, les riverains (habitants et associations) et mandataires publiques de la Région Bruxelles-Capitale. Ce fonctionnement collégial tripartite génère une dynamique vertueuse d’intérêt local conjoint. En projet depuis 2009 à Bruxelles, ce modèle complémentaire d’accès au logement vise prioritairement à contrer l’augmentation des prix de l’immobilier. Il se construit à travers l’acquisition de trois immeubles dans les communes d’Anderlecht et de Molenbeek. Son objectif est de permettre à des familles à revenu faible et modéré de devenir propriétaires de leur logement ainsi que d’y favoriser l’installation d’activités collectives ouvertes aux habitants du quartier tels que des crèches associatives ou des jardins partagés. Le droit d’usage du sol se formalise sous la forme d’un bail emphytéotique pour l’usage du terrain concédé par le CLT au propriétaire du bâti. Ce bail contient plusieurs clauses et mécanismes juridiques intégrant les principes du CLT et permettant d’assurer la continuité de ce droit d’usage lors de la revente. A Bruxelles par exemple, ces clauses stipulent qu’en cas de revente le ménage propriétaire ne perçoit que 25 % de la plus-value du logement et le CLT 6 % au titre des frais de fonctionnement. Le nouvel acquéreur ne déboursera lors de la transaction, en complément du prix d’achat initial, que 31 % de la plus-value. Ces clauses permettent de maintenir le logement abordable sans subvention supplémentaire de la collectivité.
Le CLT Bruxelles, une initiative associative participative activement soutenue par la collectivité
Né en 2012, le CLT Bruxelles est le résultat d’un partenariat actif et équilibré entre un réseau d’associations locales aguerries et la Région Bruxelles-Capitale à travers le soutien de son Secrétaire d’Etat au Logement qui a commandité dès 2009 une étude de faisabilité. Il a ensuite introduit la notion du Community Land Trust dans le code du logement et prévu d’investir 2 millions par an entre 2012 et 2016 pour lancer les premières opérations d’acquisition en l’intégrant à Alliance Habitat, un plan multi-acteurs régional en faveur du logement. Le soutien de la collectivité se traduit également financièrement via une double subvention garantissant l’accessibilité du modèle : la première permet l’achat du terrain par le CLT (jusqu’à 350€/m² d’incidence foncière), la seconde également versée au CLT (415€/m² de surface bâtie), de réduire davantage le prix de vente aux ménages. Elle vise à ce que les propriétaires ne déboursent pas plus de 30 % de leurs revenus dans le crédit hypothécaire qu’ils contractent sur 25 ans auprès de l’organisme de crédit social (le Fonds du Logement). Il s’agit d’un soutien supplémentaire pour les ménages et un signal fort d’implication de la Région.
Une approche atypique mais rentable de la propriété pour les habitants, les riverains et la collectivité
Du point de vue des autorités locales, ce dispositif garantit l’accessibilité permanente des logements aux ménages à faibles revenus, sans nouveau recours à l’investissement public. Mobilisant l’épargne locale et produisant des effets de leviers financiers importants, les CLT permettent aussi de diversifier les financements qui auraient été inaccessibles au seul secteur public. Par son fonctionnement anti-spéculatif et son ouverture sur le quartier, le CLT bruxellois agit également en faveur de la cohésion sociale. Le CLT représente un outil complémentaire, peu onéreux à moyen-terme pour la collectivité, de diversification de son parc de logements abordables. Du point de vue des ménages pour lesquels le statut de propriétaire apporte stabilité et intégration, le CLT leur permet d’accumuler un capital, même limité. L’accompagnement des ménages constitue également une mission majeure du CLT bruxellois afin d’assurer la stabilité et l’intégration des habitants dans les logements et dans le quartier. A Bruxelles, des formations au fonctionnement du CLT, à l’accès à la propriété ou à la gestion des énergies sont réalisées auprès des futurs acquéreurs pour le bénéfice de la collectivité. Les habitants des CLT aux Etats-Unis ont ainsi remarquablement résisté à la crise avec un nombre de saisies dix fois moindre en 2010 que les propriétaires classiques 3.
Les enjeux de la transposition du modèle
De par leur nécessaire densification, l’accessibilité de l’offre de logements et la mixité sociale sont les défis majeurs auxquels les villes européennes auront à faire face. Le logement social, en tant que service public, doit être en mesure de répondre à ces nouveaux défis. Au moment même où les pressions augmentent, il conviendra de s’appuyer sur les enseignements du développement des Community Land Trust dans la perspective d’un service d’intérêt général, garant de la mise en œuvre du droit au logement pour tous. Pour ce faire, l’expérience en Belgique démontre déjà que le respect des principes de base du CLT associé à un accompagnement des ménages dans la durée et à un portage politique et financier fort de la collectivité constituent les principaux facteurs de succès du développement des CLT en Europe.
De plus, le fractionnement sol/bâti et la gestion collégiale du CLT forment une approche singulière de la propriété qui amène à une réflexion plus globale sur les « biens communs » et leur gouvernance. Cette approche exige en conséquence un travail de sensibilisation auprès des collectivités locales et des riverains. Le fractionnement doit être autorisé légalement, ce qui est répandu dans des pays comme le Royaume-Uni, moins évident ailleurs où une autre conception de la propriété s’est développée. Le modèle économique, appuyé et supervisé par la puissance publique, doublé de la maîtrise de la gestion foncière constituent ainsi les deux piliers de la mise en œuvre opérationnelle du CLT en Europe.
Pour agrandir l’image
1 A Bruxelles en 2011,7% des ménages étaient en attente d’un logement social (sources : Etude de faisabilité des CLT en région bruxelloise)
2 Association sans but lucratif (ASBL)
3 National CLT Network. 2011-“Despite unemployment rates and subprime lending, delinquent mortgages and foreclosures continue to decline in Community Land Trusts”.
En savoir plus
Le site internet du CLT à Bruxelles
Etude de faisabilité des CLT en région bruxelloise
ONU-Habitat.2012. Community Land Trust, affordable access to land and housing. The Global urban economic dialogue series
Jean-Philippe Attard. 2013. Un logement foncièrement solidaire : le modèle des community land trusts. Mouvements.