Pourquoi différencier la métropolisation de la périurbanisation ? (I)

Une perspective transatlantique.

Cynthia Ghorra-Gobin, 2014

Monde pluriel

Cette fiche, issue du numéro 6 de la revue Tous urbains, livre une analyse théorique sur la transposition des concepts de « métropolisation » et de « périurbanisation » dans différentes langues. Les mots permettent de penser le monde et sa complexité et, partant, révèlent les conceptions politiques des chercheurs et des praticiens dans leur manière d’appréhender l’espace et les territoires.

Avec l’intensification des flux d’échanges et de communication — une des caractéristiques de la mondialisation —, la difficulté de traduction des concepts dans les langues étrangères (comme l’arabe, l’anglais, l’espagnol ou le chinois) ne fait pas vraiment l’objet d’un débat majeur. Ce déficit provient en grande partie du fait que les sciences sociales — peut-être dans un souci de mimétisme par rapport aux sciences exactes — s’inscrivant dans une perspective universalisante accordent peu d’importance aux référentiels que représentent les traditions scientifiques. Nombreux sont les individus qui partent du principe que les concepts sont aisément transposables d’une tradition à une autre (à condition de faire un léger effort d’ordre linguistique). Pour ma part, j’estime que l’intentionnalité des chercheurs participe certes de la quête de l’universel, mais que leur discours a pour effet principal de participer à la construction des choix politiques à l’échelle nationale. Les sciences sociales navigueraient donc entre l’universel et le national, une affirmation que je compte valider au travers du concept de « métropolisation ». Il est certes admis de tous qu’il renvoie à un processus quasi universel touchant la grande majorité des villes mais force est de constater que chez nous il est nettement différencié de la périurbanisation alors qu’il en est autrement aux Etats-Unis.

En tant que chercheure particulièrement intéressée par la logique de variation du phénomène urbain à travers le monde, je suggère d’élucider la distinction faite chez nous entre métropolisation (metropolization) et périurbanisation (exurbanization1). Il ne s’agit pas de signaler des usages linguistiques pour eux-mêmes, mais d’exprimer ce qu’ils révèlent des spécificités de nos représentations de la ville et de l’urbain qui tout compte fait engagent les choix politiques. Difficile en un éditorial de tout dire sur le sujet. Aussi, je propose de lancer une interrogation quitte à la poursuivre la réflexion dans un prochain numéro de Tous urbains (Cf. 2-Pourquoi différencier la métropolisation de la périurbanisation ? .

Une perspective pour le débat public. Pourquoi différencier — comme nous le faisons — la dynamique spatiale de la métropolisation dont un des symptômes relève pourtant de l’étalement urbain (urban sprawl) et la logique intrinsèquement économique ?

Comme l’indique une récente étude du Certu2 , la métropolisation se comprend comme « un nouveau processus de transformation généralisée de l’urbain dont le fond de scène est la globalisation de l’économie et des échanges, et dont les composantes s’articulent autour de la capacité des territoires à nouer des liens, à se connecter sur les différents réseaux d’échanges » (p. 7). Il est question :

  1. de la reconnaissance de la traduction infranationale de la globalisation et

  2. de l’avènement d’une structure polycentrique succédant à la traditionnelle vision de la centralité.

Quant à la périurbanisation, elle fait référence à un phénomène ancien déjà identifié par le rapport Mayoux (1979) dénonçant « l’étalement urbain sur le mode pavillonnaire au-delà de la banlieue ». On parle alors d’«exode urbain», qu’on met en relation avec l’important investissement public en faveur des infrastructures routières et la croissante pression foncière dans les villes centres sans pour autant négliger le souhait d’accéder à la propriété d’un pavillon à proximité de l’environnement naturel. La périurbanisation est également synonyme d’« émiettement urbain » en raison de la construction de maisons individuelles en diffus. Et lors du recensement de 2010, l’Insee a comptabilisé 18 millions d’habitants (soit 29 % de la population) dans le périurbain.

Aux Etats-Unis, la métropolisation se définit comme un processus de « restructuration » économique et sociale en lien avec la globalisation de l’économie qui se traduit notamment par l’étalement urbain. Le terme « restructuration » concerne l’ensemble des villes mais à des degrés divers en fonction du potentiel économique de chacune et de son poids démographique. Aussi depuis 2003, le recensement américain distingue les aires « métropolitaines » des aires « micropolitaines » : les premières disposent d’une ville centre de plus de 50.000 habitants alors que les secondes regroupent les villes centres dont la taille varie entre 10.000 et 49.000 habitants. En 2010, 10 % de la population américaine vit dans une aire micropolitaine et 83,7 % dans une aire métropolitaine.

On comprend ainsi que l’ensemble de la population est désormais touchée directement ou indirectement par le phénomène de la globalisation de l’économie alors que chez nous seuls les habitants des grandes villes seraient concernés par la métropolisation et s’inscriraient dans les échanges et réseaux globaux. D’où les questions suscitées par la comparaison :

En guise de première réponse, je dirai que les professionnels, les chercheurs et les politiques français choisissent de considérer l’urbain comme un simple cadre de vie alors que les anglo-américains le pensent comme un creuset socio-économique susceptible d’accéder au statut d’ écosystème.

À suivre…

1 Le périurbain se traduit par exurbs ou outer suburbs.

2 Le Processus de métropolisation et l’urbain de demain, Lyon, Certu, décembre 2013.

Références

Pour consulter le PDF du du numéro 6 de la revue Tous Urbains