Pourquoi différencier la métropolisation de la périurbanisation ? (II)
Une perspective pour le débat public
Cynthia Ghorra-Gobin, 2014
Cette fiche, issue du numéro 7 de la revue Tous urbains, continue la réflexion (Cf. Pourquoi différencier la métropolisation de la périurbanisation ? ) sur l’imbrication entre métropolisation et périurbanisation. L’auteur explique qu’on assite à un double mouvement dans lequel la périurbanisation s’inscrit dans le processus de métropolisattion.
Elucider la distinction faite chez nous entre métropolisation et périurbanisation pour démontrer sa faible pertinence pour le débat public, se poursuit ici. Le premier article (Cf. Pourquoi différencier la métropolisation de la périurbanisation ? ) faisait un détour par les Etats-Unis pour souligner combien la métropolisation était perçue comme un processus de « restructuration multidimensionnelle » concernant le social, l’économique et le culturel qui se traduisait d’un point de vue spatial par un étalement urbain dans le prolongement de l’univers suburbain. Il y aurait ainsi une continuité entre le suburbain (suburbs) et le périurbain (outer suburbs ou exurbs) même s’il est vrai que la superficie de certaines demeures dans le périurbain s’avère plus importante qu’en banlieue, comme l’indique l’expression médiatique McMansions. La métropolisation concernerait par ailleurs aussi bien des villes moyennes que des grandes dans la mesure où elle s’inscrit dans une dynamique de déterritorialisation-reterritorialisation indissociable de la mondialisation1. La présente analyse reconnaît certes la spécificité du périurbain français en raison de ce subtil mixte entre urbains ruralisés et ruraux urbanisés mais se propose de déconstruire l’image d’une rivalité voire d’une opposition entre d’une part des périurbains habitant une maison individuelle et d’autre part des métropolitains inscrits dans le récit de la mondialisation. La localisation géographique du lieu d’habitation ne détermine en aucun cas le degré d’insertion dans la mondialisation. Difficile par ailleurs d’assimiler la condition périurbaine à une perte de qualités humaines en raison du vote extrémiste de quelques municipalités périurbaines (Cf.Le vote Front national dans le périurbain. Il nous revient de dépasser l’impression – comme l’indiquent clairement Olivier Mongin et Jacques Donzelot dans l’introduction d’un dossier intitulé Tous périurbains – que l’on assisterait à un simple déplacement du débat public « des relégués des cités » aux « oubliés du périurbain »2.
Aux Etats-Unis comme chez nous le périurbain résulte de l’exode urbain. Ce qui revient à dire que l’on s’installe dans le périurbain parce que l’on ne bénéficie pas de revenus élevés autorisant à disposer d’une surface équivalente dans les quartiers centraux « gentrifiés » Mais il arrive aussi que l’on s’installe dans le périurbain en raison de la structure polynucléaire du territoire métropolitain avec l’émergence des Edge Cities. Ce terme – inventé par Joel Garreau en 1991 – indique la reconnaissance de la structure polycentrique du territoire métropolisé. Il se traduit chez nous par l’usage de « pôles suburbains » qui fait référence à la concentration d’emplois dans des immeubles de bureaux localisés à proximité d’un échangeur autoroutier ou d’une gare multimodale. Or ni le pôle suburbain ni la référence à la structure polycentrique ne sont vraiment convoqués dans le débat sur le périurbain alors qu’ils symbolisent tous les deux la restructuration économique et la diffusion d’emplois sur un périmètre dépassant la ville et parfois s’étendant jusqu’à la campagne. Ce mixte d’habitats et d’emplois relevant soit d’un exode urbain d’emplois soit de la création de nouveaux emplois témoigne du redéploiement spatial de l’économique et d’un changement non négligeable dans la nature de la banlieue. Le temps d’un trajet du périurbain au pôle suburbain est rarement mentionné alors que celui-ci est désormais équivalent au trajet banlieues-ville – même s’il faut reconnaître que la voiture l’emporte dans les déplacements ayant pour origine le périurbain. L’analyse du périurbain tend ainsi chez nous à le dissocier du territoire métropolisé alors qu’en fait le périurbain s’avère une de ses composantes et que le pôle suburbain donne à voir interactions et échanges.
La métropolisation ne se limite pas à la seule sphère économique, elle induit des changements d’ordre social et spatial. Aux Etats-Unis, les travaux reconnaissent certes l’embourgeoisement des quartiers centraux avec le recours au terme gentrification mais ils indiquent également le changement dans la composition sociale et raciale des banlieues qui jusque dans les années 1990 était principalement blanche alors qu’à présent 35 % de sa population est composée de minorités ethniques et raciales. La croissance suburbaine incluant le périurbain se comprend en raison d’un exode urbain touchant les minorités ainsi que l’arrivée de nouvelles populations issues de l’immigration. D’où le sentiment d’une articulation entre les différentes entités de l’urbain métropolisé allant dans le sens d’une reterritorialisation multidimensionnelle alors que chez nous suburbanisation et métropolisation sont systématiquement opposées dans le discours.
Ce bref éclairage sur l’expérience américaine permet de déceler l’étrangeté de nos débats associant les périurbains aux « exclus » de la mondialisation. Il souligne combien la dynamique et l’intensité des échanges intramétropolitains sont complètement négligés. La différenciation entre métropolisation et périurbanisation qui relève probablement de la division du travail entre disciplines bien cloisonnées s’avère néfaste et exige d’être dépassée. Aussi la perspective dessinée par Olivier Mongin qui dans son dernier ouvrage aborde la thématique des flux paraît souhaitable pour mettre en évidence la dimension relationnelle s’opérant entre les différentes composantes du territoire métropolisé. Elle permettrait également d’assurer une plus grande visibilité aux travaux centrés sur les flux et d’affirmer leurs caractères multiscalaire et transcalaire.
En guise de conclusion on peut dire que la périurbanisation ne correspond nullement à une bifurcation de la suburbanisation et de son corollaire l’étalement spatial. Ensembles elles participent de la métropolisation.
1 Pour les définitions et les bibliographies, consulter le Dictionnaire critique de la mondialisation, Paris, Armand Colin, 2012.
8 Voir la revue Esprit n° 393, mars-avril 2013.
Références
Pour consulter le PDF du du numéro 7 de la revue Tous Urbains
En savoir plus
Pour en savoir plus sur l’expression McMansions : »les Américains parlent de single-family house (maison individuelle) dont la superficie dans les outer suburbs peut souvent être plus vaste que la maison localisée dans les banlieues traditionnelles. Ils signalent toutefois sur un ton péjoratif les exemples de grandes demeures (oversized houses) en ayant recours à l’appellation McMansions, un mot inventé par les médias à Los Angeles dans les années 1980« (Ghorra Gobin, 2014).
Un compte-rendu de lecture du dossier Tous périurbains réalisé par la revue Esprit
Un compte rendu de lecture de JOËL Garreau, Edge City : Life on the New Frontier