Le covoiturage, réponse incomplète à la nécessaire réduction de la circulation automobile et à l’enjeu de transition écologique des mobilités
Nolwen Biard, septembre 2023
Les politiques publiques ont investi la thématique du covoiturage depuis un bon nombre d’années, mais sa mise à l’agenda massive est plus récente. Les évolutions législatives relatives à la LOM (loi d’orientation des mobilités – 2019) ont entraîné toute une série de reconfiguration de l’écosystème du covoiturage. Elles ont aussi participé à reconfigurer les pratiques. Les politiques publiques déployées et leurs impacts peuvent être analysés au regard des zones de pertinence définies dans la partie précédente. Au-delà des effets immédiats observés, on prendra également en compte le rôle du covoiturage dans une perspective de plus long terme.
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Bien que boostées par les financements publics, les pratiques de covoiturage incitées par les politiques publiques restent très largement minoritaires
Un covoiturage intermédié toujours marginal malgré un engagement croissant des pouvoirs publics
La montée en puissance du covoiturage via plateforme a été particulièrement forte, en particulier à partir de 2022 : un contexte inflationniste s’est conjugué à la mise en place renforcée d’une variété de dispositifs par les collectivités territoriales à travers la France. Le nombre de trajets est passé de plus de 220 000 trajets en janvier 2022 à plus de 780 000 trajets en janvier 2023. En 2023, la prime covoiturage a amplifié la dynamique et le nombre de trajets moyen par jour ouvré a été multiplié par deux 1. Le « boom » du covoiturage mesuré est rapporté dans les médias et dans les communications d’opérateurs et de collectivités par des taux d’évolution à trois chiffres. Pour certaines collectivités, comme Rouen Métropole, le nombre de trajets enregistrés par le RPC a été multiplié par 10 en une année.
Le rôle des incitations financières distribuées par les AOM aux covoitureurs est déterminant dans la croissance des trajets de covoiturage via plateformes. En 2022, 95 % des trajets enregistrés par le RPC ont été incités 2. Par ailleurs, dans le classement des territoires enregistrant le plus de trajets publiés sur l’Observatoire du covoiturage, on retrouve, en 2022, quasi-exclusivement des territoires ayant mis en place des dispositifs locaux d’incitations financières, en partenariat avec un ou plusieurs opérateurs. Ces derniers constatent ainsi une forte corrélation entre l’abondement de la collectivité et les volumes de covoiturage.
Les AOM rémunèrent ainsi les conducteurs selon différents niveaux d’incitations, variant selon le nombre de passagers et le nombre de kilomètres parcourus. Pour les passagers, le trajet peut être gratuit (l’AOM prenant en charge entièrement la rémunération du conducteur) ou payant. Les conducteurs sont rémunérés selon le nombre de passagers, en général à hauteur de 10 centimes par km et par passager. Les seuils planchers et plafonds font sensiblement varier les niveaux d’incitations moyens selon les collectivités. Depuis la LOM, ces dernières sont autorisées à inciter à des niveaux dépassant le montant des frais engagés pour le trajet 3. Le levier incitatif pour les conducteurs peut être particulièrement fort : dans certaines campagnes d’incitations lancées par les AOM, le coût par passager a pu atteindre 6 euros, par exemple.
Selon cet opérateur, le covoiturage est aujourd’hui une pratique « sous perfusion » destinée à « faire venir des usagers sur les plateformes » : « [Le covoiturage] « boom » aujourd’hui parce que des collectivités territoriales ont accepté de distribuer aux conducteurs trois à cinq euros par trajet. » Le dispositif de prime du Plan covoiturage a accentué cet effet, en accordant 25 € dès le premier trajet, puis 75 € supplémentaires en atteignant les 10 trajets.
Les incitations financières distribuées aux conducteurs, ainsi que les commissions distribuées à certains opérateurs pour chaque trajet enregistré, entraînent des budgets croissant avec le nombre de trajets, ce qui est difficilement pilotable pour la collectivité. L’augmentation du nombre de trajets peut vite devenir, avec un tel modèle, un « puits sans fond », comme le qualifie ce technicien de Tisseo collectivités : « Contrairement à une offre de transport en commun où vous maitrisez la situation, vous avez une offre de service, et quand il y a trop de monde vous rajoutez une offre de transport en commun, pour le covoiturage ça peut être exponentiel, parce que la pratique se démultiplie et que vous allez finalement payer un nouveau conducteur, une nouvelle commission à l’opérateur. Plus il y aura de covoitureurs, ce qui est une bonne chose, plus la collectivité va payer. » Certains partenariats sont même contreproductifs pour la politique de covoiturage, car le montant de la commission délivrée aux opérateurs augmente à mesure que le nombre de trajets augmente.
Si l’on se base sur le modèle actuel du covoiturage incité, le budget qui devrait être alloué aux seules incitations serait conséquent si l’on suit les objectifs fixés par le Plan covoiturage. En effet, pour passer de 0,9 à 3 millions de trajets quotidiens par ce biais, au niveau de rémunération conseillé par le RPC (2 euros par passager + 10 ct du km au-delà de 20 km), on arriverait à un budget de 5 millions d’euros par jour et 100,8 millions d’euros par mois pour les seules incitations financières aux conducteurs4. À cette somme devraient aussi s’ajouter la commission au trajet délivrée aux opérateurs et/ou les frais de fonctionnement des services de covoiturage. Cela représenterait finalement des sommes très élevées pour financer l’intermédiation. Plusieurs collectivités rencontrées ont fait part de leur volonté de se désengager, à terme, de l’incitation financière, mais elles considèrent qu’il est encore trop tôt pour l’envisager, la politique de covoiturage étant selon eux encore en phase de développement. Pour ce technicien du Pôle Métropolitain du Genevois français (PMGF), il faut utiliser les incitations financières comme « une sorte d’appât pour les rediriger vers le covoiturage, et si possible de façon pérenne. »
En effet, malgré la croissance exponentielle des trajets de covoiturage via plateforme, celui-ci reste très largement minoritaire par rapport au reste des trajets quotidiens. Au niveau national, les trajets enregistrés par le RPC en 2022 ont représenté en moyenne 0,04 % des trajets domicile-travail et 0,09 % au premier trimestre 2023. Cela ne représente qu’environ 1,5 % du nombre de trajets visés par le Plan covoiturage (3 millions de trajets quotidiens). Parmi les collectivités étudiées dans cette étude, la part modale kilométrique du covoiturage incité par les dispositifs locaux varie, mais est globalement très faible. Il représente en moyenne 1,1 % des kilomètres parcourus pour les trajets domicile-travail dans le périmètre de Rouen métropole et de l’agglo Seine-Eure, en 2022, et 3 % en février 2023 ; 0,71 % des kilomètres parcourus pour les trajets domicile-travail visés par le SMMAG début février ; ou encore 0,18 % des kilomètres parcourus pour les trajets visés par le dispositif Covoiturage Pays de la Loire. De plus, ces différentiels observés entre les collectivités ne signifient pas systématiquement des différences d’efficacité des politiques publiques à massifier le covoiturage global, mais plutôt des niveaux plus ou moins forts de développement du covoiturage mesuré par le RPC.
Le covoiturage par plateforme est largement mis en avant alors qu’il reste bien inférieur au covoiturage informel
Le « boom » du covoiturage par plateforme doit également être réinterrogé à l’aune des pratiques de covoiturage informel. Au premier trimestre 2023, le covoiturage par plateforme n’a représenté que 3 % du covoiturage total 5. Dans les collectivités étudiées pour cette étude, le covoiturage informel reste toujours largement supérieur. Dans l’agglomération toulousaine, les trajets enregistrés pendant le dispositif Commute sont cinq fois inférieurs au niveau de covoiturage déclaré par les salariés dans les enquêtes de mobilité menés avant le projet ; les trajets enregistrés par Nantes métropole ont représenté en moyenne 1 % des trajets de covoiturage domicile-travail informel ; à Rouen métropole, les niveaux de covoiturage informel vers le travail mesurés par l’EMD 2017 sont cinq fois supérieurs au covoiturage enregistré par le RPC en 2022.
Le covoiturage informel, bien que largement majoritaire, est invisibilisé au profit du covoiturage intermédié. Cela peut s’expliquer en partie par une méconnaissance des pratiques informelles de covoiturage par les acteurs du territoire. Ainsi, ce technicien d’une Métropole déclare : « On part de tellement loin, de zéro, 0 % de covoiturage avant. Le covoiturage domicile – travail n’existe pas, si ce n’est quelques collègues qui habitent à côté. C’est pour ça qu’on a souhaité mettre le paquet ». Cette posture, en entretien, est toutefois minoritaire ; la majorité des enquêtés évoque l’existence de pratiques informelles de covoiturage, même s’ils ne connaissent pas le profil des covoitureurs ni leur nombre. Pour cette technicienne d’un Syndicat mixte : « C’est un vrai sujet. On sait que le covoiturage informel existe, on le voit sur nos parcs relais. Mais il est difficile à appréhender, aujourd’hui on n’arrive pas à le dimensionner. » Différentes personnes rencontrées, travaillant au sein de collectivités territoriales ou au niveau de l’État, ont aussi fait part de leur souhait d’une meilleure prise en compte des pratiques informelles, même si aucune solution satisfaisante ne semble encore avoir émergée.
Malgré ce constat partagé, élus et techniciens mettent davantage en avant le covoiturage intermédié : les solutions liées à des plateformes numériques sont technologiquement « plus faciles à mettre en avant » que le covoiturage informel (Frétigny, 2022). En effet, les plateformes numériques enregistrent quotidiennement les trajets et fournissent des « preuves de covoiturage ». Ces preuves sont mobilisables, notamment dans les médias ou dans la communication publique, car elles constituent des preuves de l’efficacité des politiques publiques mises en place par les collectivités. La communication faite autour des chiffres du RPC permet de valoriser les territoires qui « covoiturent le plus », par le biais de classements notamment.
Ainsi, les trajets de covoiturage mesuré sont des outils de légitimation de leurs actions, valorisables, alors que le covoiturage informel, organisé sans la puissance publique, est largement « invisible ». De ce fait, le covoiturage « souffre d’un moindre soutien politique « lorsqu’[il] revêt un caractère auto-organisé ou non technologique » (Frétigny, 2022). Toutefois, si la justification du soutien au covoiturage intermédié (et la distribution d’incitations financières attirant des usagers sur les applications) ne repose que sur la production de preuves régulières et valorisables, cela revient à « payer le thermomètre » 6.
Le covoiturage est invisibilisé par les acteurs publics et privés dans leurs discours, mais il l’est également dans les politiques publiques mises en place. La majorité des financements sont, à ce jour, destinée à soutenir le covoiturage mesuré par le RPC, notamment pour la distribution des incitations financières nécessitant la production de preuves de covoiturage pour éviter les fraudes. Aussi, ces trajets doivent systématiquement être enregistrés et géolocalisés via les applications partenaires. Les plateformes ne respectant pas ce niveau de vérification ne peuvent pas proposer de subventions aux covoitureurs, comme la plateforme régionale publique Ouestgo, ou la plateforme Covoiteo de Tisseo collectivités.
Le plan covoiturage du Gouvernement et les 3 mesures annoncées pour 2023 concentrent également deux tiers des financements annoncés (150 millions d’euros) aux incitations financières, concernant uniquement les covoitureurs intermédiés, et en particulier les conducteurs. La nouveauté apportée par le dispositif de prime est que de nouvelles plateformes peuvent la distribuer, comme OuestGo ou le dispositif France Covoit proposé par Ecov 7. La dernière mesure annoncée du Plan peut bénéficier à la fois aux covoitureurs informels et intermédiés, puisqu’elle concerne l’aménagement d’infrastructures facilitant le covoiturage, ne nécessitant pas nécessairement l’usage d’une application pour l’utiliser.
Le seul autre dispositif qui incite financièrement les covoitureurs informels est le Forfait mobilité durable, si l’employeur intègre le covoiturage parmi les modes de transport remboursables et qu’il ne conditionne pas son obtention à l’utilisation d’une plateforme 8. Enfin, l’expérimentation d’un « péage positif » à Lille Métropole, qui devrait se mettre en place dans le courant de l’année 2023, pourrait aussi rétribuer financièrement des pratiques informelles de covoiturage 9.
Les politiques publiques créent-elles de nouvelles pratiques ?
En l’absence de panorama complet permettant de mesurer à la fois les pratiques informelles et les pratiques via plateforme, il est difficile de connaitre précisément les effets des politiques publiques sur les niveaux de pratique du covoiturage. Il existe en effet un risque d’effet d’aubaine due aux incitations financières : des personnes qui covoituraient déjà de manière informelle peuvent basculer vers les plateformes pour bénéficier des subventions. Si l’on peut considérer que cela vient récompenser des pratiques vertueuses, les politiques publiques ne viennent pas pour autant créer de nouvelles pratiques. « La part de pratique additionnelle et la part de révélation d’une pratique informelle ne sont pas claires avec les données du RPC » 10. À titre d’exemple, le panel mobilité du Grand Genève 2021 montre des niveaux de pratique du covoiturage équivalents entre les actifs français et suisses du territoire (9 % des répondants déclarent le pratiquer ponctuellement), mais un niveau bien plus important d’inscription sur des plateformes de covoiturage des résidents français (15 %) que des résidents suisses (3 %). Le risque d’un effet d’aubaine est connu par les collectivités rencontrées et souvent pointé comme limite dans l’interprétation des trajets enregistrés par le RPC sur leur territoire. De même, le paiement d’une commission aux opérateurs pose question pour des trajets qui s’organisaient déjà auparavant, sans leurs services.
Le manque de données d’enquêtes qualitatives rend difficile d’évaluer la création de nouvelles pratiques de covoiturage. Une récente enquête menée par la Région Pays de la Loire et le Cerema montre que 53 % des usagers du dispositif covoiturage sont de nouveaux covoitureurs, tandis que 47 % covoituraient déjà avant. Parmi eux, 11 % covoituraient déjà pour d’autres motifs, mais covoiturent désormais aussi pour le motif travail ou études. Les usagers du dispositif sont 21 % à déclarer covoiturer quotidiennement et 44 % plusieurs fois par semaine.
La présence de subventions peut également susciter un opportunisme financier et générer des fraudes. Ainsi, en février dernier, un article du Journal d’Elbeuf révélait des pratiques de fraude importantes chez des utilisateurs de Klaxit dans la métropole de Rouen 11. Ce « covoiturage de boîte à gant » comme le rapporte l’article est le fait de conducteurs et conductrices seul.es pour leurs trajets, mais utilisant deux smartphones pour rentrer dans les critères d’authentification de l’application, ou encore des usagers de transports en commun activant à plusieurs l’application lors de leurs trajets en bus. Aucune de ces pratiques n’est du covoiturage, elles ont pourtant été enregistrées comme telles par Klaxit et rémunérées par la Métropole de Rouen. Sur le territoire de Nantes métropole, les données du dispositif Covoit’tan ont révélé des « macro-utilisateurs » réalisant un nombre anormalement élevé de déplacements par jour, laissant suspecter de possibles fraudes.
Alors que la fraude est défavorable aux chiffres de fréquentation des transports en commun (puisque le trajet n’est pas enregistré), elle gonfle artificiellement les résultats des services de covoiturage. De même, on trouve cette problématique avec la rémunération « sièges libres » proposée par Ecov sur différentes lignes de covoiturage déployées. Si ce dispositif doit permettre de créer le service et atteindre une masse critique suffisante de conducteurs intégrés au système et prêts à prendre dans leur véhicule des passagers avec un temps d’attente le plus faible possible, cette salariée d’Ecov décrit comment certains conducteurs tentaient de détourner ce dispositif et comment Ecov et la collectivité ont intégré de nouvelles conditions pour éviter de telles pratiques :
« On s’est rendu compte de quelques dérives de conducteurs qui n’enregistraient leur trajet sur l’application qu’à Sainte-Julie [avant-dernier arrêt d’une des lignes Covoit’Ici de la Plaine de l’Ain], juste avant d’arriver, pour toucher les 50 centimes de la rémunération siège libre. Pour nous, ce n’est pas utile pour faire fonctionner le service. Depuis octobre [2022] il y a donc un changement : les 50 centimes ne peuvent être touchés que depuis les terminus des lignes, au départ ». Cette modification permet pour Ecov et la collectivité de s’assurer que les conducteurs rémunérés pour la mise à disposition de leur siège parcourent l’ensemble de la ligne et sont réellement prêts à prendre des passagers. La collectivité déclare s’autoriser à blacklister des personnes ne prenant jamais aucun passager, même si la sanction n’a pas encore été appliquée.
Le covoiturage représente ainsi une faible part des trajets quotidiens, et plus encore quand il s’agit du covoiturage enregistré par le RPC. Les incitations financières ont pourtant boosté cette forme de covoiturage et créé des effets d’aubaine voire des fraudes. Les politiques de covoiturage se sont caractérisées par un manque de ciblage et de pilotage de la part des AOM. Une partie d’entre elles intègrent désormais davantage de modalités dans leurs nouvelles campagnes incitatives pour réorienter les usages vers les zones de pertinence du covoiturage.
L’inadéquation des politiques publiques et le manque de ciblage limitent les effets réels sur la décarbonation
Un réseau de covoiturage majoritairement créé par les utilisateurs, sans pilotage de la puissance publique, entraînant de nombreux usages non pertinents
La très grande majorité des trajets enregistrés par le RPC ont été réalisés en 2022 auprès d’opérateurs de covoiturage planifié (Blablacar Daily, Karos, Klaxit). Le réseau est ainsi créé directement par les usagers qui choisissent le lieu de prise en charge et le lieu de dépose. Comme le dit cet opérateur en entretien, « On n’a pas la main sur la définition des trajets ». On constate, dans la plupart des campagnes d’incitations financières mises en place depuis la LOM, le faible nombre de conditions associées à la distribution des subventions aux covoitureurs. Cela témoigne, une fois encore, de l’absence de questionnement sur les zones de pertinence du covoiturage. Celui-ci est jugé bénéfique quoi qu’il en soit, sans considérer la concurrence avec des alternatives déjà existantes ou pertinentes.
L’absence de conditions spécifiques sur les trajets réalisés est également due au fait qu’une partie est incitée sans stratégie locale, par l’intermédiaire de dispositifs non ciblés. Avant le Plan covoiturage, des opérateurs ont notamment bénéficié du financement de leurs dispositifs et d’incitations aux covoitureurs via les Certificats d’économie d’énergie (CEE). Des chèques carburants ou chèques-cadeaux ont ainsi été proposés par les opérateurs qui ont pu inciter des trajets sans leur opposer de conditions particulières. Le Plan covoiturage a accentué cette dynamique via le dispositif de prime aux primo-conducteurs : celle-ci est délivrée sans aucune condition sur le type de trajets réalisés. Les trajets d’une distance inférieure ou égale à 80 km bénéficient de la prime pour le covoiturage courte-distance, et ceux supérieurs à 80 km peuvent bénéficier d’une prime pour le covoiturage longue distance. Les CEE offrent, en outre, des marges financières importantes aux opérateurs. Avec la nouvelle prime aux primo-conducteurs du Plan covoiturage, les niveaux d’économie d’énergie associés pour chaque nouveau conducteur réalisé ont été relevés. Chaque CEE délivrée a une valeur supérieure au montant de la prime, ce qui permet aux opérateurs de toucher une marge significative une fois les 100 euros versés au conducteur 12. Les marges financières des opérateurs leur permettent notamment d’inciter des trajets en dehors des cibles prédéfinies par les AOM. À titre d’exemple, le Syndicat mixte des mobilités de l’aire Grenobloise (SMMAG) concentre l’incitation financière sur des zones d’activités ou des lignes prédéfinies en amont. Or, sur l’ensemble des trajets enregistrés sur son territoire en février 2023, la moitié des trajets (48 %) n’a pas été incité par l’AOM, mais a pu faire l’objet de subventions via la prime aux conducteurs ou des incitations distribuées directement par des opérateurs privés.
Face au manque de pilotage, les trajets se sont majoritairement enregistrés au sein des zones les plus denses dans lesquelles des dispositifs incitatifs ont été mis en place.
Pour analyser le déploiement des trajets de covoiturage par plateforme, nous avons utilisé la typologie en huit classes d’EPCI 13. Entre les classes d’EPCI, les différences observées sont importantes puisque pour 1000 habitants, on comptabilise sur une année 222 trajets en proche banlieue parisienne, contre seulement 23 trajets pour 1000 habitants dans le périurbain élargi et seulement 5 trajets pour 1000 habitants dans les EPCI ruraux. Ainsi, les territoires où s’est déployé très majoritairement le covoiturage par plateforme sont les plus denses, où la part modale des transports en commun est plus élevée.
Ce développement du covoiturage par plateforme en zone dense s’observe aussi dans la part de trajets internes à une même commune, au coeur d’une agglomération. Si à l’échelle de la France, ces trajets internes représentent 7,3 % des trajets réalisés en 2022, à l’échelle d’un territoire, ils peuvent constituer une part beaucoup plus importante des trajets totaux. Ainsi, 23 % des trajets enregistrés dans la région des Pays de la Loire entre septembre 2021 et mars 2022 sont des trajets internes à Nantes ou internes à Angers, du fait de dispositifs locaux mis en place par les agglomérations. Au sein de Tisseo collectivités, AOM de l’agglomération toulousaine, 10 % des trajets sont internes à Toulouse en novembre 2022 et 10 % sont réalisés entre Toulouse et Blagnac, une commune limitrophe également très dense. Ce phénomène, s’il s’observe surtout au sein d’agglomérations métropolitaines, a également lieu au sein de plus petites agglomérations qui développent des partenariats avec des opérateurs de covoiturage et des politiques d’incitations financières : en novembre 2022, le trajet interne à Lannion (20 000 habitants, 466 hab./km2) fait partie du classement des 10 trajets les plus covoiturés à l’échelle nationale, et en février 2023, le trajet interne à Beauvais (ville moyenne de 56 000 habitants et une densité de population de 1 708 hab./km2) est le troisième trajet le plus covoituré de France.
Les trajets internes aux zones denses vont à l’encontre de l’objectif de décarbonation décrit dans la partie précédente, car à l’intérieur de ces zones, d’autres alternatives existent ou sont pertinentes. Les trajets intra-communaux sont en moyenne très courts (7,3 km en 2022) 14, alors même que la distance moyenne des trajets en covoiturage informel est de 20 km 15, et de 23,7 km pour le covoiturage enregistré par le RPC en moyenne en 2022.
Sur l’ensemble de l’année 2022, on constate qu’une part non-négligeable de trajets sont de courtes voire très courtes-distances : un quart (23,2 %) des trajets est inférieur à 9 km et 7,6 % inférieur à 4 km. Ainsi, ces trajets constituent une concurrence directe aux modes actifs 16 ou aux transports en commun urbain. Le covoiturage incité vient s’additionner à un ensemble de solutions déjà présentes ou pertinentes, remettant en partie en cause le constat d’une complémentarité avec les transports en commun.
De plus, de longs trajets ont aussi été observés : en 2022, 8,7 % des trajets sont supérieurs à 50 km et 16 % sont supérieurs à 40 km. Cela représente des distances particulièrement élevées, notamment pour un usage du covoiturage pour des trajets domicile-travail. La métropole d’Angers enregistre par exemple un quart de trajets supérieurs à 50 km en novembre 2022, avec une part importante de trajets en direction de Cholet et Le Mans. Entre des agglomérations denses, des transports en commun existent ou seraient pertinents. Si mutualiser des trajets de telles distances a des effets positifs sur la décarbonation, l’AOM n’a que peu d’intérêt de les inciter. D’une part, plus la distance est longue, plus l’intérêt à covoiturer est grand, car les pertes de temps associées au fait de covoiturer sont compensées par le gain économique du partage des frais. D’autre part, inciter financièrement de trajets supérieurs à 50 km, en particulier s’il s’agit de trajets quotidiennement réalisés, peut favoriser des ménages à résider très loin de leur lieu de travail, la Collectivité venant compenser le coût de tels trajets.
L’enjeu de l’accès aux données et de l’évaluation
L’efficacité des politiques de covoiturage ne se mesure donc pas seulement en nombre de trajets effectués. L’accès aux données et leur qualification sont cruciaux pour permettre de connaitre les usages et déterminer si le covoiturage est utilisé en addition de services existants, ou s’il est une réelle alternative à l’autosolisme. Bruno Tisserand, directeur mobilité et exploitation des transports à la Métropole, témoigne de la difficulté d’accéder aux données : « On a dû batailler pour accéder aux données de l’opérateur de covoiturage sur notre territoire. C’est une start-up en train de se structurer qui n’avait pas du tout la culture client collectivité. On a dû exiger qu’ils qualifient les origines-destinations, on voulait savoir plus précisément quels étaient les trajets réalisés, pour savoir quelles liaisons contrarier ou atténuer. » La collectivité a ainsi pu constater que sur son trajet le plus covoituré, entre Rouen et Saint Etienne du Rouvray, seul le campus universitaire enregistrait effectivement des trajets de covoiturage, c’est-à-dire que le système était utilisé exclusivement par des étudiants, qui plus est sur un tracé identique à l’une des lignes de tramway qui dessert le campus.
La production de données qualifiant les pratiques doit permettre d’analyser plus finement l’impact environnemental et social des dispositifs d’incitation au covoiturage. La récente évaluation du Cerema et de la Région Pays de la Loire du dispositif d’incitations Covoiturage Pays de la Loire a permis de constater, suite à un questionnaire distribué aux usagers du dispositif, que 53 % ne covoituraient pas avant, et que 88 % étaient d’anciens autosolistes 17.
Par ailleurs, une partie des dispositifs ne passe pas par l’enregistrement ou la géolocalisation des covoitureurs, mais organisent, sécurisent ou valorisent les pratiques de covoiturage ou d’autostop. C’est le cas par exemple de l’autostop organisé de Rezo Pouce ou des lignes de covoiturage simplifiées (simple panneau lumineux avec bouton-poussoir, sans enregistrement ni géolocalisation des trajets). Les aménagements sont parfois très simples, et misent sur la visibilisation du covoiturage dans l’espace public, à travers des poteaux ou des panneaux lumineux. Le président de l’association Autosbus, Jacques Toulemonde, revient sur les conclusions d’une enquête réalisée par son association et comparant l’efficacité de l’autostop organisé et de l’autostop « libre » : « Pendant les 2 premières années [de l’association], on a fait beaucoup de recherches, notamment par un tour des expériences européennes d’autostop organisé. On a été déçu du résultat en allant expérimenter sur le terrain : l’autostop organisé ne faisait pas mieux que l’autostop libre en termes de temps d’attente, qui est en moyenne de 6 minutes. » Toutefois, il ajoute : « Rezo Pouce permet de donner une meilleure image de l’autostop. L’autostop libre c’est 5 minutes d’attente, mais personne n’en fait. Si, grâce à l’autostop organisé ou une ligne de covoiturage, on a aussi 5 minutes d’attente, mais beaucoup plus de pratique, ça sera un succès. »
L’aménagement des aires de covoiturage est également une politique publique dont l’efficacité est plus difficile à mesurer. Dans le guide de l’ADEME 2017, l’aménagement d’aires de covoiturage est un investissement jugé « particulièrement efficace », à partir de l’estimation suivante : « Sur la base d’un coût moyen de mise en oeuvre de 2 000 € HT et compte tenu des spécificités de la pratique du covoiturage par le truchement d’une aire dédiée, le montant d’argent public investi s’élève ainsi à environ 0,50 € par trajet covoituré et 0,01 € par kilomètre covoituré. » Cette évaluation particulièrement optimiste, affichant un coût au trajet bien inférieur à celui pratiqué actuellement par les collectivités dans leurs différents partenariats avec des opérateurs de covoiturage, apparait questionnable. D’autres usages sont observables sur les aires de covoiturage : point de rendez-vous pour des échanges, aires de pause pour les automobilistes, stationnement classique pour effectuer une activité à proximité… Il est particulièrement difficile de contrôler les usages induits par une aire de covoiturage. Tout d’abord, une partie de la politique d’aménagements de ces aires repose sur la labélisation de parkings où on observe déjà des pratiques de covoiturage. La labélisation consiste souvent à poser un panneau de signalisation covoiturage et faire quelques réaménagements. Ensuite, des enquêtes auprès des utilisateurs et utilisatrices des aires rapportent leur générale satisfaction de ces aménagements, ce qui laisse penser que les aires de covoiturage valorisent la pratique dans l’espace public et la sécurise. En revanche, à notre connaissance, aucune enquête ne permet de démontrer que la présence d’une aire favorise de nouvelles pratiques de covoiturage. Notons par ailleurs que la construction d’aires de covoiturage peut impliquer l’artificialisation des terres, alors que l’on compterait en moyenne 1,85 place de stationnement par voiture en France 18.
Comme le résume cet agent d’un Département lors d’en entretien, « J’aime bien parler d’accompagner la pratique et mettre en place les conditions pour encourager les gens à covoiturer, mais ce n’est qu’une des briques d’une politique covoiturage que les partenaires devraient avoir. »
L’évaluation des politiques de covoiturage doit donc aussi être étendue, au-delà des trajets enregistrés, aux aménagements destinés à favoriser la pratique, en la sécurisant ou la valorisant, bien qu’il puisse s’agir d’effets plus diffus et donc plus difficilement quantifiables.
Le nécessaire – et difficile – ciblage des politiques de covoiturage vers ses zones de pertinence
Progressivement, les AOM qui ont mis en place des politiques d’incitations avec peu de critères d’attribution ont instauré de nouvelles modalités pour atténuer les usages non pertinents constatés. Des seuils plancher ont été instaurés ou rehaussés pour limiter les très courts trajets. Des seuils plafonds ont aussi pu être mis en place, ce qui permet de limiter les longs trajets et pour la collectivité de contrôler son budget. Ainsi, la Métropole de Rouen incite les trajets entre 2 et 30 km ; le Pôle métropolitain du Genevois français entre 4 et 40 km ; la Région Pays de la Loire entre 5 et 30 km. Ces nouvelles modalités ont permis, à Rouen, de diminuer la distance moyenne des trajets (passée de 26 km à 17 km) et de réduire le nombre de trajets supérieurs à 30 km (6 % du volume total contre 28 % avant).
Pour éviter d’inciter des trajets sur des lignes de transports en commun existant, des AOM ont cessé d’inciter dans certaines zones. La Métropole de Rouen exclut désormais de l’incitation financière les trajets dont l’origine et la destination se situent dans une zone de 400 mètres de part et d’autre des lignes de son réseau de transports en commun. La Métropole d’Angers a fait de même sur ses lignes de tram.
D’autres collectivités ont adopté dès le départ un ciblage des trajets correspondant aux objectifs visés. Le Syndicat mixte des mobilités de l’aire grenobloise (SMMAG), autorité organisatrice des mobilités de la grande région grenobloise, a décidé d’organiser ses différents services de covoiturage selon leur domaine de pertinence, en ciblant en priorité des trajets en échange entre la Métropole de Grenoble et les EPCI périurbains, pour lequel l’enjeu de décarbonation est le plus grand (60 % des émissions de GES pour 19 % des déplacements).
Avec des critères de distribution des incitations plus restrictifs, les trajets de covoiturage par plateforme sont moins nombreux. Pour la Métropole de Rouen, les nouvelles modalités ont diminué le nombre de trajets de 37 %. Le SMMAG enregistre moins de trajets que d’autres territoires équivalents, malgré un budget important déployé pour le fonctionnement des différents services M covoit’. Pour avoir un réel impact sur la décarbonation, tout en limitant les effets rebonds, les politiques de covoiturage demandent davantage d’efforts. Les acteurs engagés dans des politiques de covoiturage partagent un même constat : le covoiturage demande une démarche continue d’animation et beaucoup d’efforts pour le faire fonctionner. « Il faut rabâcher, car il y a beaucoup de turn over, il faut faire de la présence, de la visibilité » selon Mathilde Remuaux et Nadège Peteuil, qui travaillent à la mise en place de lignes de covoiturage au sein du Parc industriel de la Plaine de l’Ain. Le fonctionnement des lignes demande un temps de pédagogie et d’explications : « C’est un service plus compliqué à expliquer qu’une ligne de bus. Il y a une application, il faut renseigner une carte bancaire (même s’il y a aussi un parcours SMS), et il faut faire comprendre le principe de la garantie trajet. Quand on dit covoiturage, les gens pensent Blablacar. » La complexité vient aussi des différents horaires : il y a des horaires où la ligne peut être utilisée, mais où la garantie trajet n’est pas assurée, puis des horaires où s’applique la garantie trajet, mais seulement dans le sens précis de la ligne (correspondant aux déplacements pendulaires venant de l’extérieur vers le Parc).
Contrairement à ce qui était espéré, le covoiturage n’apparait pas comme un levier de décarbonation facilement activable. C’est pourtant le discours porté par plusieurs collectivités ou opérateurs de transports ; une offre immédiatement disponible, plus rapidement déployée que les transports collectifs. Dans les zones périurbaines et rurales en particulier, le déploiement du covoiturage organisé est lent, voire inexistant. La motorisation (voire la double motorisation) est rendue presque obligatoire en l’absence d’alternatives structurantes, et les contraintes à l’autosolisme sont faibles ; autant de raisons n’incitant pas à accepter les contraintes inhérentes à la pratique du covoiturage. De même, en dehors des métropoles et des axes fortement congestionnés, les effets négatifs de la voiture (congestions, pollution de l’air) sont moins visibles, comme le relate Chrystelle Beurrier, élue au Pôle métropolitain du Genevois français : « Dans les territoires les moins denses, là où il y a le plus de bénéfices à aller chercher sur la transition écologique [avec le covoiturage], l’acculturation est la plus compliquée à mettre en oeuvre. Il y a une telle habitude d’utiliser la voiture dans ces territoires, qu’on l’utilise pour des tout petits trajets. Ce sont des territoires qui sont moins touchés, en apparence, par l’impact des pollutions. » De plus, l’absence d’alternatives au covoiturage rend la prise de risque et les incertitudes pour le passager encore plus grandes.
Un certain nombre de trajets concurrençant directement ou indirectement des alternatives plus pertinentes, au sein des zones denses, ont pu être observés. Le covoiturage intermédié se développe beaucoup plus facilement là où la densité est la plus élevée et les AOM ont peu de marge de manoeuvre pour contrôler le réseau créé par les usagers. Ces pratiques sont également dues à des niveaux d’incitations financières avantageux, suscitant des effets d’aubaine et ne garantissant pas un usage durable du covoiturage. Viser des usages pertinents, réellement efficaces du point de vue de la décarbonation est difficile et résulte sur un nombre plus faible de trajets qu’au sein de collectivités sans ciblage. Dans une perspective de plus long terme, quelles sont les opportunités et les limites du covoiturage pour engager la transition écologique, face à nos besoins de mobilité toujours plus intenses et une dynamique renforcée d’éloignement entre domicile et travail ?
Opportunités et limites des politiques de covoiturage
Favoriser la formation de communautés de covoitureurs pour sécuriser les pratiques de partage de la voiture
Les plateformes de covoiturage, soutenues par les politiques publiques, ont déployé un ensemble de fonctionnalités permettant de sécuriser la pratique du covoiturage par plateforme. Avoir un profil vérifié, disposer d’une garantie départ, accéder à une assistance sur l’application en cas de problème… Tout cela participe à faciliter le partage d’un véhicule avec des inconnus. Si la politique d’incitations financières a eu un rôle non négligeable dans l’attrait de nouveaux covoitureurs, il ne s’agit pas du seul facteur. Les transactions financières dans les relations de covoiturage informel sont ainsi absentes pour neuf trajets sur dix selon les données de l’EMP 2019. Parmi les usagers interrogés lors de l’évaluation du dispositif Covoiturage Pays de la Loire, 60 % des usagers déclarent qu’ils continueraient à covoiturer malgré l’arrêt du dispositif incitatif mis en place par la Région. La sécurisation des pratiques et la familiarisation du covoiturage pour les trajets quotidiens, grâce à différents dispositifs d’incitation, peuvent participer à développer les usages partagés de la voiture.
Le covoiturage par plateforme rencontre cependant des limites que les avancées technologiques ne peuvent dépasser : dans les zones peu denses, la masse critique reste un obstacle au développement du covoiturage, tandis que dans les zones denses, le covoiturage intermédié s’est plus facilement développé. L’enjeu de la masse critique n’est pourtant pas le seul obstacle : dans l’EMC 2020 du SMMAG, seulement 1 % des répondants, n’utilisant jamais ou exceptionnellement le covoiturage, justifient leur non-pratique par le fait de ne pas avoir trouvé quelqu’un d’intéressé pour covoiturer. En revanche, la raison arrivant devant toutes les autres (évoquée par plus de 30 % des non-utilisateurs du covoiturage) est de ne pas vouloir voyager avec un inconnu. De fortes résistances sont observées, comme mentionné en partie 2, dans la nécessité de se confronter quotidiennement à de nouvelles personnes, dans une forme de proximité et de sociabilité peu communes dans nos modes de transports. Presque 10 % des répondants à l’enquête mentionnée déclarent ne pas covoiturer, car ils préfèrent être seuls en voiture. Les contraintes horaires (horaires non souples ou le fait de ne pas vouloir perdre du temps) sont également fréquemment mentionnées.
Cette contrainte à la sociabilité, renouvelée quotidiennement, peut être en partie dépassée par l’organisation du covoiturage au sein de cercles de covoitureurs, avec un certain degré d’interconnaissance et de proximité géographique (depuis le domicile : voisins, amis, famille, ou à destination : actifs d’une même zone d’activité ou collègues, membres d’une même association, etc.). La proximité géographique au départ et/ou à l’arrivée permet de réduire la perte de temps associée aux détours. L’interconnaissance entre les membres du cercle de covoitureurs réduit le frein de la confiance. Elle active également un levier social, celui de rendre service, élément essentiel dans les pratiques de covoiturage et d’autostop. Rendre service au sein de cercles d’interconnaissance apporte une reconnaissance sociale de la pratique, et permet d’entrer dans un système de « don / contre-don » 19. La formation de cercles de covoitureurs réguliers est l’une des propositions de l’association AutosBus pour massifier la pratique du covoiturage. Cette association recherche et expérimente depuis une décennie des alternatives à la voiture individuelle dans le périurbain de Bourg-en-Bresse, une ville moyenne de 40 000 habitants située dans le département de l’Ain. L’association constate les limites des systèmes d’intermédiation de covoiturage et plaide pour un modèle collectif basé sur des petits cercles de covoitureurs réguliers, construits par les individus : « Il faut une personne motrice très motivée, qui parle à ses collègues et à ses voisins pour constituer un petit groupe, lequel facilite la mutualisation et rend le changement de mobilité possible. » Dans un format plus large, des « écomobile clubs » peuvent regrouper une ou plusieurs dizaines de personnes dans une entreprise ou au sein d’un village. Jacques Toulemonde est témoin de ce covoiturage informel : « On a fait l’hypothèse qu’on n’était pas capable de développer le covoiturage informel donc on doit passer par des organisations, des intermédiaires. Pourtant, on le voit se former et fonctionner au quotidien. Mais comment faire pour le développer ? »
Il existe donc un enjeu à encourager et animer le covoiturage et l’autostop, sans pour autant créer une nouvelle dépendance numérique ou des contraintes quotidiennes à partager l’habitacle d’une voiture avec des inconnus.
Proposer une solution à la marge face à des tendances de long terme
La décarbonation du secteur des transports est un chemin long, semé d’obstacles et de résistances ; les émissions du secteur ont ainsi augmenté de 2 % en 2022 par rapport à 2021 20. Les changements dans les pratiques de mobilité sont particulièrement longs à advenir. La voiture reste un impensé, même pour des personnes engagées dans l’écologie (Demoli, Y., Sorin, M. & Villaereal, A., 2020), et son usage est souvent la pratique quotidienne perçue comme la plus difficile à changer (Sondage OpinionWay pour l’ADEME, 2021) 21.
Les politiques de mobilité sont touchées par une forme d’inertie, dans laquelle elles continuent d’accorder une place prépondérante à l’automobile, alors même que les alternatives existent et que les enjeux de décarbonation sont connus et urgents. Cette « dépendance au sentier » s’illustre par un accroissement de la longueur des routes de 12,6 % entre 1997 et 2017, de 8 % de la circulation routière et de 2 millions de véhicules du parc de voitures particulières (Sajous, 2020).
Sajous et al. (2020) montrent la contradiction qui existe entre des dispositifs contraignant l’usage de la voiture et des dispositifs destinés à rendre le parc moins polluant ou optimiser son usage (via le covoiturage notamment), ce qui revient à conforter le rôle de l’automobile dans l’organisation de la mobilité. De ce fait, l’implication grandissante des acteurs de l’automobile dans le développement du covoiturage est significative. La volonté de faire des millions de sièges vides en circulation un nouveau réseau de transport collectif résume cette inertie : elle adapte l’action publique à un état de fait, où 80 % des kilomètres parcourus le sont en voiture, au sein d’un véhicule surdimensionné pour la majorité des usages du quotidien. En effet, les mobilités quotidiennes témoignent d’un morcellement et d’une flexibilité encourageant une forme de mobilité individuelle, contre laquelle le développement du covoiturage vient se heurter.
Les retours d’expérience ou les résultats d’enquête montrent que le covoiturage s’est présenté, pour les individus ou les collectivités, comme une solution à la marge, face à des tendances de long terme. Tout d’abord, la particularité d’une partie des collectivités rencontrées pour l’étude, engagées depuis plus d’une décennie dans le développement du covoiturage ou ayant développé des politiques volontaristes et ambitieuses, est qu’elles connaissent une croissance démographique soutenue, supérieure à la moyenne nationale. Celle-ci est concentrée dans certaines zones du territoire et met sous pression le système de mobilité, de façon visible, avec la création de congestions importantes sur les flux en entrée de métropole, réunissant les flux dispersés venus du périurbain. La pression s’observe aussi sur les infrastructures de transports en commun, souvent décrites comme saturées sur certains axes, et la difficulté pour les AOM de déployer rapidement une offre supplémentaire correspondant aux besoins de mobilité. Le covoiturage est alors perçu comme faisant partie d’un « tout » à proposer, susceptible d’absorber une partie de la pression subie par la croissance de la demande de mobilité concentrée dans certains espaces. Le covoiturage est apparu comme une solution facile à déployer, disposant d’un potentiel important facilement activable pour faire face à des problématiques de congestion et de saturation des infrastructures.
L’exemple du PMGF témoigne des déséquilibres créés par la métropolisation, entre la concentration des flux dans certains espaces (vers ou depuis la Métropole de Genève par exemple), et la poursuite de l’étalement urbain dans des espaces à la densité plus diffuse (ici dans les espaces périphériques français). Ce technicien d’une communauté d’agglomérations périurbaine d’une métropole argumente : « Si on veut investir sur de grands projets, on ne peut pas mettre des lignes qui ne fonctionnent pas. C’est aussi une question de densité et ça, les gens le comprennent. Aujourd’hui le territoire est déjà pas mal couvert par le Transport à la Demande et les coûts au voyageur se rapprochent des coûts du taxi. » À l’heure où de grands projets de transports se développent ou sont amenés à se développer autour des principales métropoles 22, le pendant de ces flux structurants est des flux moins denses, dispersés, pour lesquels les collectivités disposent de peu d’alternatives ou de moyens. La dispersion de ces flux a d’ailleurs été permise par la voiture. Les trajets de covoiturage enregistrés par le RPC ont montré une grande diversité d’origine-destination, reflétant la dispersion des flux et la couverture territoriale du covoiturage.
Le développement des transports en commun peut également être ralenti du fait de difficultés politico-administratives ; certains flux dépassent les frontières administratives, et celles-ci compliquent la mise en place de transports en commun. Cet opérateur de covoiturage indique ainsi : « On déploie nos services hors des centres-ville, là où il n’y a pas de transports en commun. On dépasse les frontières même des métropoles, en général on est sur des liaisons de l’extérieur de la métropole vers la métropole. Or, sur ces zones, on n’entre pas dans le périmètre administratif ». Le covoiturage est une compétence de mobilité plus facilement déléguée à une échelle interterritoriale que celle concernant l’organisation de transports en commun. Une telle échelle interterritoriale permet de couvrir ce type de déplacements en échange entre plusieurs échelons administratifs. Sur les sept collectivités rencontrées pour l’étude, quatre ont développé des projets de covoiturage à une échelle interterritoriale et parmi elles, trois sont des structures interterritoriales ; le Syndicat mixte des mobilités de l’aire grenobloise (SMMAG), le Pôle métropolitain du Genevois français (PMGF), et Tisseo collectivités. Les EPCI membres de ces trois structures ont tous délégué la compétence mobilité partagée relative au covoiturage. Seule Tisseo collectivités exerce l’ensemble de la compétence mobilité pour l’ensemble de ses membres.
Enfin, la concentration des activités au sein des métropoles a été l’une des causes de l’allongement des distances domicile-travail, qui ont augmenté de moitié en vingt ans dans les zones rurales 23. La moitié des actifs résidant en zone rurale, mais travaillant en ville parcourent au moins 20 km pour se rendre au travail, contre 5 km pour ceux qui restent travailler dans le rural. Face à cet allongement des distances, dans des territoires sans alternative à la voiture individuelle, le poids du budget transport est de plus en plus pesant. Dans la Plaine de l’Ain, entre le périurbain et le rural, l’attractivité de la métropole de Lyon, située à trente kilomètres, impacte le prix des logements, obligeant les individus aux plus bas salaires à résider de plus en plus loin de leur lieu de travail. De telles distances à parcourir rendent une partie des emplois du Parc industriel de la Plaine de l’Ain peu attractifs. Les politiques de mobilité, dont fait partie le covoiturage, permettent à court terme de compenser des situations de dépendance automobile et d’éloignement des lieux de vie et de travail.
Sans contrainte plus forte à l’autosolisme, les politiques de covoiturage ont un impact réduit sur la décarbonation
Le report modal, de la place de conducteur autosoliste à celle de passager de covoiturage, est nécessaire pour avoir de réels effets sur la réduction de la circulation automobile et la décarbonation. Or, les autosolistes sont les plus difficiles à convaincre, comme le montre une enquête de G. Monchambert et A. le Goff : une partie des autosolistes se déclarant prêts à covoiturer choisiraient uniquement la place de conducteur pour conserver leur autonomie 24. Au-delà de la perte d’autonomie et les incertitudes liées à la pratique (trajet retour, retard éventuel du conducteur), le covoiturage suppose également une perte de temps, liée au temps de prise en charge ou de dépose, ainsi qu’à l’éventuelle rupture de charge si le trajet n’est pas de « porte-à-porte ». Or, cette perte de temps n’est compensée économiquement que pour des ménages ayant une faible valeur du temps.
La pratique du covoiturage est ainsi directement concurrencée par la facilité d’être autosoliste et la préférence pour l’autonomie, la liberté et les gains de temps procurés. Pour diminuer l’usage de la voiture individuelle, il faut favoriser le covoiturage en réduisant la vitesse de l’autosolisme et en améliorant celle du covoiturage. Les politiques publiques peuvent encourager la restriction de la place de l’autosolisme par la mise en place de voie réservée au covoiturage, la réduction du nombre de voies ouvertes aux automobilistes, ou encore l’attribution de places de stationnement réservées, notamment au niveau des entreprises. Des situations de contraintes portées à l’autosolisme (présence du péage augmentant le coût de l’autosolisme, difficulté de stationnement) améliorent les niveaux de pratiques du covoiturage. C’est notamment la conclusion du diagnostic des déplacements domicile-travail en Belgique 2018 (voir encadré p.36), qui analyse l’effet des politiques de mobilité des employeurs sur les pratiques des salariés : « Les places de stationnement réservées au covoiturage augmentent fortement le nombre de covoitureurs, alors que le nombre de travailleurs qui viennent seuls avec la voiture est beaucoup plus faible s’ils doivent payer pour leur place de stationnement. »
Les contraintes à l’autosolisme, au-delà de favoriser le covoiturage, peuvent aussi participer d’elles-mêmes à une réduction de la circulation automobile. C’est le concept de trafic évaporé, développé notamment dans la thèse de P. Hosotte, qui montre à partir de plusieurs exemples de restriction ou de fermeture de voies de circulation, qu’une partie du trafic routier disparait et ne se retrouve pas déporté sur d’autres axes 25.
La stratégie covoiturage du bassin lémanique 26 a fait des contraintes à l’autosolisme le principal levier pour favoriser l’essor du covoiturage. Ces contraintes subies ou imposées aux autosolistes doivent devenir des opportunités pour les covoitureurs, sur un principe de « push-pull ». Les contraintes posées aux autosolistes (contrainte de stationnement, goulets d’étranglement) doivent donner des avantages aux covoitureurs en confort et en économie de temps et/ou d’argent (pull) tout en réduisant ces avantages pour les autosolistes (push). Le SMMAG a adopté une posture similaire avec la voie réservée au covoiturage mise en place depuis 2020, en souhaitant faire de cette voie une contrainte pour les autosolistes, tout en proposer en contrepartie, comme compensation, un service de covoiturage. L’enjeu est donc de se servir du covoiturage comme le moyen de contraindre l’autosolisme, tout en offrant un service alternatif.
Pour le moment, les voies réservées en France restent au stade de l’expérimentation, puisqu’aucune contravention n’est délivrée en cas de mauvais usage de la voie sur les axes où elles sont mises en place. Ainsi, « au début l’usage de la voie était un peu respecté, mais aujourd’hui, de moins en moins » rapporte cet élu du SMMAG. Aussi, comme le taux de respect est très bas, et qu’il n’y a pas de sanction, les administrés ne se plaignent pas encore de cette voie. Si des sanctions doivent peu à peu se mettre en place 27, la question de la faisabilité de la contrainte se pose : faut-il généraliser le recours à la vidéoverbalisation ?
Ces contraintes posées à l’autosolisme risquent de susciter de fortes contestations 28, alors même qu’en parallèle, les métropoles se préparent à la mise en place des Zones à faibles émissions (ZFE). Les voies réservées peuvent en effet créer une mobilité à deux vitesses : la voie réservée au covoiturage sur le territoire du SMMAG est également accessible aux véhicules à très faibles émissions détenteurs d’une vignette Crit’Air zéro émission, c’est-à-dire les véhicules 100% électrique ou hydrogène, quel que soit le nombre de personnes à bord, ainsi qu’aux taxis. D’un côté, des contraintes sont posées à l’autosolisme poussant vers la pratique du covoiturage (elle-même source de contraintes d’organisation, d’incertitudes) et de l’autre, une mobilité individuelle non régulée est possible, mais en véhicule à faible émission, alors même que ceux-ci restent trop chers pour de nombreux ménages. Les contraintes posées par le covoiturage posent des questions de justice sociale et territoriale en l’absence d’alternatives à la voiture, en particulier si les dispositifs incitatifs sont restreints à l’utilisation de plateformes et créent une nouvelle dépendance numérique ou un niveau trop important d’incertitudes pour les passagers de covoiturage.
À ce stade, le covoiturage a davantage été proposé comme un service supplémentaire, en addition, que comme une réelle alternative à la voiture individuelle. Les contraintes à l’autosolisme restent, à ce jour, difficiles à porter politiquement, comme en témoigne cette technicienne d’une Collectivité : « Jusqu’à présent, on a plutôt proposé des services en plus, et pas trop de restrictions. C’est difficile. Est-ce qu’économiquement on ne défavorise pas le territoire ? Il y a d’autres enjeux [que la transition écologique]. Ça dépend aussi du modèle de développement que les élus souhaitent porter sur le territoire. »
Or, sans contrainte posée à l’autosolisme, le partage des frais issus du covoiturage n’est attractif d’un point de vue économique que pour des individus à faible revenu. Les contraintes inhérentes au covoiturage, en particulier en tant que passager, entraînent de fortes résistances. Pour dépasser cela, les collectivités ont déployé des politiques très incitatives en direction des conducteurs. Les coûts de telles politiques, dans un objectif de décarbonation, entraînent des coûts d’abattement de la tonne de CO2 élevés. Ainsi, pour un trajet de 20 km rémunéré à hauteur de 10 ct du kilomètre, et à raison d’une commission à l’opérateur de 50 ct par trajet (soit un coût de 2,50 € pour éviter 20 km d’autosolisme), le coût de la tonne de CO2 évitée revient à 725 €. En additionnant la prime covoiturage de 100 € pour 10 trajets, le coût de la tonne de CO2 évitée équivaut à 3 623 € 29. Dans les différentes collectivités étudiées pour cette étude, le coût de la tonne de CO2 évitée est variable selon les périodes, le service de covoiturage ou le type de coût considéré. Il oscille, en moyenne en 2022, entre 580 € et 9700 € pour les services les plus onéreux, et entre 520 et 3500 € début 2023. Ces différents niveaux observés sont largement supérieurs à la valeur de l’action pour le climat préconisée par la commission Quinet, qui proposait dans un rapport publié en 2019 de relever la valeur de l’action pour le climat à 250 € la tonne de CO2 économisée d’ici 2030. Cette valeur tutélaire incite à mobiliser en priorité les gisements de décarbonation dont les coûts d’abattement sont et seront inférieurs à celle-ci 30. Les coûts de la décarbonation permise par le covoiturage sont plus élevés dans les zones peu denses, où des dispositifs divers cherchent à surmonter l’obstacle de la masse critique et la facilité d’usage de l’automobile. Ces dispositifs entraînent cependant des coûts de fonctionnement très élevés.
D’autres mécanismes peuvent également diminuer le facteur incitatif des subventions, en diminuant le coût global de l’utilisation de la voiture : l’État a ainsi dépensé 7,5 milliards d’euros pour réduire le prix des carburants 31, ce qui revient à maintenir artificiellement bas le prix des carburants, tandis que les collectivités financent le covoiturage, ce qui revient à baisser artificiellement son coût. Ces deux politiques ont des effets opposés.
Sans contrainte plus forte posée à l’autosolisme, le covoiturage n’est attractif que pour des publics en situation de mobilité contrainte (utilisation d’une voiture impossible ou trop coûteuse), liée à l’absence (ponctuelle ou structurelle) d’alternatives à la voiture individuelle. Plusieurs enquêtes mobilité révèlent d’ailleurs une pratique plus importante et plus fréquente chez les jeunes, un public généralement moins motorisé : jusqu’à 20 % des jeunes entre 18 et 24 ans en stage, formation ou apprentissage pratiquent le covoiturage plusieurs fois par jour sur le territoire du SMMAG par exemple (EMC2 2020). Plusieurs retours qualitatifs permettent de constater que les étudiants se sont également saisis du covoiturage via plateforme : les trajets les plus covoiturés de Rouen métropole sont réalisés entre Rouen et deux communes limitrophes où se situe sur chacune d’entre elles un campus universitaire. Dans la métropole d’Angers, une part importante de trajets internes à Angers a été constatée, au départ ou à destination du campus universitaire Belle-Beille Angers. Il s’agit d’une zone desservie uniquement par des bus, où le tram est encore en phase de travaux, ce qui peut expliquer l’utilisation de plateformes de covoiturage. De même, parmi les trajets les plus covoiturés dans la région Île-de-France, de nombreuses communes abritent des campus universitaires (Evry- Courcouronnes, Massy, Palaiseau), dont le déficit en transport en commun face à l’affluence est régulièrement souligné 32. Les enjeux sociaux des politiques de covoiturage sont donc à souligner, en particulier dans un contexte inflationniste sur le prix du carburant. L’impact sur la décarbonation est en revanche faible ou très coûteux.
À plus long terme, l’enjeu est de ne pas maintenir la place largement dominante et incontournable de la voiture sur les pratiques de déplacement. Pourtant, en réduisant les coûts d’un déplacement en voiture, le covoiturage pourrait inciter les ménages à résider plus loin des centres d’emplois, « renforçant les phénomènes d’étalement urbain et de périurbanisation, et par conséquent la dépendance automobile de ménages le plus souvent modestes » (Coulombel, Delaunay, 2019). Cela participerait à renforcer les problèmes structurels de nos mobilités et de l’aménagement du territoire. Face à ces problèmes auxquels l’offre de transports collectifs répond de plus en plus difficilement, la voiture continuerait ainsi de concurrencer des transports en commun jugés moins performants, moins flexibles ou moins confortables. Le risque est d’entrer dans un cercle vicieux, où une faible desserte en transport en commun entraîne une faible fréquentation, elle-même entraînant une diminution de la desserte. Dans Guide pour une mobilité quotidienne bas carbone (2021) du Shift Project, les auteurs proposent de « prendre le problème dans l’autre sens » : « Au lieu de « se contenter » d’adapter la desserte [en transport en commun] à une urbanisation existante desserrée, avec de faibles fréquences de passage et des amplitudes horaires réduites, il s’agit de […] créer une ligne structurante de transport, et densifier en même temps. » Pour sortir de cercle vicieux entre faible densité et faible fréquentation, il faut donc parier sur le caractère aménageur des transports collectifs publics. Pour provoquer le report modal des automobilistes sur ces lignes ou vers les modes actifs, il faut cependant remettre en question les dynamiques d’allongement des distances et de dispersion des flux.
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1 En moyenne 21 139 par jour ouvré en 2022 contre 43 799 au 1er trimestre 2023.
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2 Calcul de l’autrice à partir des données brutes du RPC.
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3 Le dépassement des frais de déplacement engagés par le conducteur est autorisé pour les trajets inférieurs à 15 km.
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4 Le calcul a été effectué sur la base d’une distance moyenne des trajets de 24 km, soit une rémunération de 2,40 euros par trajet (sachant qu’un trajet = 1 conducteur et 1 passager), en partant de l’hypothèse où le trajet est gratuit pour le passager. Soit, par jour, 2,1 millions de trajets multipliés par 2,40 €, et par mois (20 jours ouvrés), 42 millions de trajets multipliés par 2,40 €.
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5 Au 1er semestre de l’année 2023, on dénombrait 27 000 trajets covoiturés et réalisés via des plateformes selon l’Observatoire national du covoiturage. Selon le plan national du covoiturage 900 000 trajets sont covoiturés chaque jour. Les trajets réalisés grâce aux plateformes représentent donc 3% des trajets covoiturés.
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6 Cette expression a été utilisée par l’un des participants aux tables-rondes sur le covoiturage de proximité organisées à Rosporden en novembre 2022 par l’association Ehop.
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7 Avec France Covoit, les covoitureurs n’utilisent pas les lignes de covoiturage d’Ecov et se rencontrent de façon informelle. Les passagers doivent s’inscrire et communiquer une pièce d’identité, puis ils scannent le QR code généré par le conducteur. Celui-ci perçoit jusqu’à 150 € et le passager 16 €.
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8 Pour attribuer le Forfait mobilité durable, les employeurs peuvent choisir de demander aux salariés de fournir la preuve de la réalisation effective des trajets, en passant par le RPC, ou bien leur demander de remplir une attestation sur l’honneur (pouvant alors concerner des trajets réalisés via une plateforme ou hors plateforme). Selon le Baromètre Forfait mobilité durable 2022, le Registre de preuve de covoiturage est très peu connu des entreprises, qui utilisent majoritairement l’attestation sur l’honneur.
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9 Le péage positif est un « écobonus » de deux euros par trajet pour les automobilistes inscrits au sein du dispositif et qui changent de moyen de transport, ceux qui se mettent au covoiturage, et ceux qui décalent leurs déplacements à des horaires moins intenses. Le dispositif vise à désengorger les axes les plus empruntés de la métropole. (www.lemonde.fr/economie/article/2022/12/16/lille-lance-un-peage-positif-pour-inciter-les-automobilistes-a-faire-du-covoiturage_6154780_3234.html)
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10 Ecov.
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11 Le journal d’Elbeuf, « Métropole de Rouen : quand l’argent public passe par les fenêtres de certains covoitureurs », le 05/03/2023. (actu.fr/normandie/rouen_76540/metropole-de-rouen-quand-l-argent-public-passe-par-les-fenetres-de-certains-covoitureurs_57803874.html?utm_source=pocket_saves)
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12 Voir l’article Alternatives économiques, « Le boom du covoiturage est-il lié à l’action du gouvernement ? », Alternatives Economiques n°434 - 05/2023.
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13 Ces huit classes sont : les 22 métropoles (classe M) ; la proche banlieue parisienne (Classe A) ; le périurbain de la région parisienne et de certaines métropoles ou zones transfrontalières (classe B) ; le périurbain élargi et la campagne autour des métropoles ou de villes moyennes (classe C) ; les EPCI des villes moyennes (classe D) ; les EPCI de villes moyennes ou petites, du rural, EPCI XXL (classe E) ; les EPCI ruraux et périurbain de villes moyennes (classe F) ; les EPCI ruraux (classe G).
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14 Cette moyenne et les prochains calculs ont été réalisés à partir de l’ensemble des données brutes du RPC de l’année 2022 (janvier à décembre).
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15 Pour le covoiturage extra-familial, d’après les données de l’ENTD 2008 (ADEME-Inddigo, 2015).
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16 En moins de quinze minutes, les trajets de 4 km peuvent être effectués en vélo classique et ceux de moins de 9 km en vélo à assistance électrique.
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17 Parmi les 88 % d’autosolistes, l’enquête n’indique pas la part de passagers et de conducteurs se déclarant anciens autosolistes. Or, si les conducteurs étaient vraisemblablement autosolistes avant de covoiturer, les passagers peuvent être non motorisés et anciens usagers des transports en commun.
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18 Selon les estimations d’une étude de la Fédération nationale des associations d’usagers des transports (Fnaut) www.banquedesterritoires.fr/la-fnaut-presente-laddition-salee-du-stationnement-automobile-en-france
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19 Le système de don / contre-don a été mis en avant par l’anthropologue Marcel Mauss comme « une prestation obligeant mutuellement donneur et receveur et qui, de fait, les unit par une forme de contrat social ». Il est fondé sur la réciprocité : même si le contre-don n’est pas contractuellement obligatoire, il est incité socialement. Enfin le don / contre-don permet d’appartenir à la société. (www.sietmanagement.fr/theorie-du-doncontre-don-donnerrecevoirrendre-m-mauss/)
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21 Parmi les quinze actions proposées dans le Baromètre des représentations sociales du changement climatique, les trois actions récoltant le plus de réponse défavorable (« vous ne pouvez pas le faire » ou « vous pouvez le faire mais difficilement ».
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22 Emmanuel Macron a par exemple annoncé fin 2022 vouloir développer un équivalent du RER francilien dans dix métropoles françaises comme alternative à la voiture, avec notamment la volonté d’accélérer des projets existants. (www.banquedesterritoires.fr/transports-emmanuel-macron-veut-developper-un-rer-dans-dix-metropoles-francaises)
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23 Chaumeron, Lécroart, 2023. « Le trajet médian domicile‑travail augmente de moitié en vingt ans pour les habitants du rural », Insee, Insee Première No 1948. (www.insee.fr/fr/statistiques/7622203)
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25 Hosotte, P. G. T. (2022). L’évaporation du trafic, opportunités et défis pour la mobilité d’aujourd’hui et demain [EPFL]. (doi.org/10.5075/epfl-thesis-9879)
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26 Le bassin lémanique est un espace transfrontalier autour du Lac Léman, de part et d’autre de la frontière franco-suisse. Voir 6t-bureau de recherche. (2020). Stratégie covoiturage du bassin lémanique avec zoom sur le Grand Genève. Rapport final
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27 Les métropoles de Lyon et de Grenoble vont expérimenter, au deuxième semestre 2023, la vidéoverbalisation des voies réservées au covoiturage.
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28 La mairie de Paris a reçu plus de 80 % d’opinions défavorables à la consultation lancée en avril-mai 2023, sur la pérennisation du dispositif de voie réservée au covoiturage sur le périphérique au-delà des JO 2024.
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29 10 trajets de 20 km pour un coût unitaire de 2,50 €, et 100 € de prime covoiturage, soit un coût de 0,625 € du km, et une émission de 172.5 g de CO2 par véhicule-km. Soit un coût de de 3 623 € la tonne de CO2 évitée.
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30 La proposition de valeur de l’action pour le climat est de 87 €2018/tCO2e pour 2020, 250 €2018/tCO2e pour 2030 et 500 €2018/tCO2e pour 2040. Rapport de la Commission présidée par A. Quinet, 2019, La valeur de l’action pour le climat. Une valeur tutélaire du carbone pour évaluer les investissements et les politiques publiques, France Stratégie.