Retours sur une expérimentation : l’Accompagnement Personnalisé dans la Prévention des Expulsions Locatives dans le Gard
Une évaluation du dispositif par les personnes accompagnées - (APPEL 30)
septiembre 2023
Depuis 2015, l’Agence Départementale d’Information sur le Logement du Gard (ADIL 30) et l’Association pour le Logement dans le Gard (ALG) mettent en oeuvre une action conjointe d’Accompagnement personnalisé dans la Prévention des Expulsions Locatives (APPEL 30). Il s’agit d’un escorte assurée par un binôme composé d’une juriste de l’ADIL et d’une médiatrice sociale de l’ALG. Cette escorte permet de recevoir à l’ADIL, dès la réception de l’assignation, la personne orientée par un travailleur social afin de la préparer à l’audience à laquelle elle peut, si elle le souhaite, être accompagnée physiquement par la médiatrice sociale. Les effets de ce dispositifs sont analysés ici à la lumière des paroles des personnes en ayant bénéficié. Cette analyse a été menée par Pascale Vincent, Directrice des études à l’ADIL du Gard.
Contexte territorial1
Un taux de chômage parmi les plus élevés de province malgré la croissance de l’emploi
Avec 13,6 % de la population active à la recherche d’un emploi en 2016, le Gard se classe au 4e rang des départements de province les plus touchés par le chômage. Le taux de chômage des 50 ans ou plus est encore plus important et positionne le Gard à la 2e place des départements de province. Le taux de chômage est particulièrement fort dans les zones d’emploi d’Alès (16,5 %) et de Nîmes (13,5 %), ainsi que dans la zone d’emploi de Ganges qui déborde sur le Gard au nord-est de l’Hérault. Il est plus faible dans le Gard rhodanien, à Bagnols-sur-Cèze (12,3 %) et dans la partie gardoise de la zone d’emploi d’Avignon (11,0 %), mais ces taux restent supérieurs à la moyenne de province. Pourtant, l’emploi progresse dans le Gard : + 0,4 % par an en moyenne entre 2009 et 2014.
Dans le Gard, comme dans l’ensemble de la région, l’emploi est davantage concentré dans le secteur tertiaire (79 %) qu’en moyenne en province (76 %), et a contrario moins représenté dans l’industrie (10 % des emplois dans le Gard comme en Occitanie, contre 14 % en province). Les parts de la construction et de l’agriculture sont comparables à la moyenne de province (respectivement 7 % et 4 %).
Une pauvreté importante et de fortes inégalités de revenus
Dans le Gard, une personne sur cinq vit sous le seuil de pauvreté en 2014, c’est-à-dire avec un revenu disponible inférieur à 1 008 euros par mois (définitions). C’est le 5e département de province ayant le taux de pauvreté le plus élevé. Le niveau de vie médian (définitions) est parmi les plus bas de province (80e rang) : la moitié des habitants vit avec moins de 18 603 euros par an en 2014, soit 1 550 euros par mois pour une personne seule et 2 790 euros pour un couple avec un jeune enfant. Par ailleurs, les inégalités de revenus sont fortes : on observe un différentiel de 3,5 fois entre le revenu plancher des 10 % les plus riches et le revenu plafond des 10 % les plus pauvres. Le département se place ainsi au 10e rang des départements de province les plus inégalitaires.
Un dynamisme démographique soutenu
Troisième département le plus peuplé d’Occitanie, la population du Gard augmente de 0,8 % par an entre 2010 et 2015, soit 5 700 habitants supplémentaires chaque année. Cette croissance démographique classe le Gard au 17e rang des 88 départements de province. L’augmentation de la population est due principalement aux arrivées de nouveaux habitants plus nombreuses que les départs (+ 0,6 %). Dans une moindre mesure, l’excédent des naissances sur les décès contribue aussi au dynamisme démographique (+ 0,2 %).
Avec un âge médian de 43 ans, la population gardoise est l’une des plus jeunes d’Occitanie. La part des retraités dans la population (24 %) est l’une des plus faibles de la région.
Un territoire fortement urbanisé
La part de la population résidant dans les grandes agglomérations ou leurs zones d’influence est très élevée (84 % contre 74 % en Occitanie). Le Gard se caractérise aussi par une forte proportion de la population vivant dans les espaces multipolarisés, situés entre les grandes aires urbaines du département et les départements littoraux limitrophes. Au final, la part de la population du département vivant dans une commune rurale est parmi les plus faibles de province (75e rang) et d’Occitanie (10e rang).
Contexte de mise en place du dispositif
Par son action de terrain, l’Association pour le Logement dans le Gard (ALG) a développé au cours des années une expertise approfondie sur les problématiques et les besoins des personnes défavorisées. L’Agence Départementale d’Information sur le Logement (ADIL) du Gard a quant à elle développé au fil du temps des interventions dans le champ de la prévention des expulsions locatives, et mené parallèlement des études qualitatives sur les ménages menacés d’expulsion. Le dispositif APPEL 30 a démarré en 2015, à l’initiative conjointe de ces deux structures qui, fortes de leurs expériences complémentaires, ont pu montrer à quel point la non comparution d’un ménage menacé d’expulsion pouvait être préjudiciable à la suite de son parcours.
L’idée initiale était de mettre en place un accompagnement qui permettrait aux personnes concernées de se présenter devant le juge en y étant préparé. Pour atteindre cet objectif, le projet a pris la forme d’une « escorte », au sens premier, (accompagnement physique) comme au sens figuré (accompagnement pour entourer). Assurée par un binôme composé d’une juriste et d’une médiatrice sociale, cette escorte a consisté à recevoir à l’ADIL, dès la réception de l’assignation, la personne orientée par un travailleur social afin de la préparer à l’audience où elle pourrait, si elle le souhaite, être accompagnée physiquement par la médiatrice sociale.
Une évaluation qualitative du dispositif
Le projet prévoyait la réalisation d’une évaluation qualitative reposant sur le recueil des points de vue des acteurs premiers de ce dispositif, les ménages accompagnés. L’objet de la présente note est de rendre compte de ces points de vue. La méthode choisie pour ce bilan est l’entretien téléphonique libre, avec pour point de départ la question très large de l’intérêt que le dispositif a représenté pour la personne accompagnée. L’idée était de solliciter un témoignage susceptible de faire émerger, à partir d’un ressenti, le degré d’efficience de l’accompagnement au regard de la situation actuelle de la personne interrogée. Une quinzaine de personnes a été ainsi questionnée.
A une exception près,les personnes interrogées ont exprimé à l’unisson les effets bénéfiques de l’accompagnement. Ces effets, analysés ici à la lumière des paroles des personnes ayant bénéficié du suivi personnalisé, ont pu parallèlement être validés par une observation comparative des audiences ayant eu lieu au Tribunal d’Instance de Nîmes pour des personnes accompagnées dans le cadre du dispositif APPEL 30, et pour des personnes comparaissant sans aucun accompagnement. Les propos de ces dernières ont été relevés à l’occasion d’un travail d’observation mené au tribunal en tant qu’auditeur libre.
La compréhension de la procédure, un premier pas vers la comparution
La grande majorité des citoyens français n’a jamais mis les pieds dans un tribunal. Les ménages recevant une assignation à comparaître ne font pas exception : ils n’ont bien souvent aucune idée de ce qu’il va s’y passer, de ce qu’ils devront faire ou dire, de « ce que l’on va leur faire » ou leur dire. A la difficulté de devoir faire face à une injonction de payer une somme dont on ne dispose pas, et à celle de devoir affronter le risque de perdre son logement, s’ajoute une angoisse liée à l’inconnu d’une situation que l’on va chercher à tout prix à éviter… en ne se rendant pas au tribunal.
Pour beaucoup de ménages accompagnés dans le cadre du dispositif APPEL 30, les connaissances du binôme accueillant, visibles dès l’entrée dans le bureau, sont un premier élément d’apaisement : « On voit plein d’affiches qui entourent ces deux braves dames, et on se dit qu’on est déjà bien dans la bataille. » (Comparant suivi dans le cadre d’APPEL 30)
Les explications sur le dossier, sur les termes juridiques, sur les étapes de la procédure, sur les droits à faire valoir, finissent de rassurer la personne assignée qui commence à envisager de se présenter au tribunal : « Au début on ne sait pas ce qui nous arrive. Au niveau des démarches, on ne sait pas qui voir, quoi faire, où chercher. Et puis on n’ose pas demander car on n’a pas été élevés comme ça. Et puis le juridique, c’est pas notre truc, on y comprend rien. » (Comparant suivi dans le cadre d’APPEL 30)
Le fait même de se trouver face à une personne qui entreprend de calculer le montant de la dette, de vérifier la conformité ou non de l’impayé, place déjà la personne assignée en position d’acteur : « Mon dossier était très compliqué. Il y avait plein de choses, plein de problèmes, des petits points. Mais elles ont tout regardé mon dossier, et elles m’ont expliqué. Parce que c’est dur de savoir exactement ce qu’on vous reproche ! » (Comparant suivi dans le cadre d’APPEL 30)
La complémentarité du binôme juriste/médiatrice est perçue par les ménages comme une opportunité de comprendre les « tenants et les aboutissants » de leur situation dans sa globalité. « J’ai reçu un courrier mais j’ai pas compris. Je ne savais pas si j’allais être expulsé. Elles ont répondu à toutes mes questions, car j’ai 23 ans et être assigné à 23 ans c’est déjà très difficile. » (Comparant suivi dans le cadre d’APPEL 30)
Ce travail de déchiffrage des étapes de la procédure, effectué en amont de l’assignation, permet au locataire comparant d’éviter de rechercher en vain des explications auprès d’un magistrat dont ce n’est pas la vocation. En témoigne cet échange entre un juge et une personne assignée pour impayé de loyer venue se présenter à la barre du tribunal sans préparation et sans accompagnement :
Monsieur : Je ne comprends pas comment ça marche…
Le juge : ça marche qu’il faut payer tous les mois le loyer déjà Monsieur !
(Observation au Tribunal d’Instance - Comparant hors dispositif APPEL 30)
La préparation de la comparution, un atout pour une décision de justice opportune
La perspective de rencontrer un juge est souvent vécue comme une possibilité de se justifier, et d’expliquer pourquoi, en toute bonne foi, on n’a pas pu payer son loyer. Les personnes assignées ne savent généralement pas que le juge attend d’elles une proposition concrète, faute de quoi il résiliera le bail. L’accompagnement permet aux ménages convoqués de préparer une défense, c’est à dire un argumentaire suivi d’une demande de délai de paiement, ou, le cas échéant, d’une demande de délai pour se reloger.
L’étude financière réalisée, et les échanges avec la personne concernée, permettent d’élaborer un plan d’apurement réaliste, que la personne sera en mesure d’assumer. Si le maintien dans le logement n’est pas envisageable, la possibilité de demander un délai pour trouver une solution de repli permet d’impulser un projet tenant compte de la situation, et éventuellement de solliciter une aide financière pour accéder à un nouveau logement. Dans tous les cas, le temps gagné est un précieux allié pour la suite du parcours : « La juge m’a dit : c’est quoi votre proposition aujourd’hui ? Et j’ai pu m’exprimer parce que j’avais préparé, j’avais écrit ce que je devais dire. » (Comparant suivi dans le cadre d’APPEL 30)
« Justificatifs » est sans doute le mot le plus fréquemment entendu au tribunal dans le cadre des comparutions pour impayés de loyers. Leur décision ne pouvant reposer que sur les éléments étayés par les pièces justificatives qui leur sont transmises, les magistrats expriment de manière répétées leur agacement à devoir prendre des décisions sans pouvoir tenir compte des propos tenus oralement par les comparants, quand ceux-ci n’ont pas été préparés, comme le montre ce dialogue entre un juge et un assigné non accompagné :
Le juge : « Vous n’avez apporté aucun justificatif. Je suis sensée vous croire sur parole ? Monsieur, ça va de soi que quand on est convoqué au tribunal on amène tous ses papiers. Enfin, c’est évident, même si ce n’est pas écrit dans la convocation ! »
Monsieur : « Mais on ne m’a pas prévenu qu’il fallait apporter tout ça. »
Le juge : « Monsieur, c’est une question de bon sens j’ai envie de dire. Enfin, quoi, quand on est convoqué au tribunal, on est inquiet, on prépare ses papiers ! »
(Observation au Tribunal d’Instance - Comparant hors dispositif APPEL 30)
Les personnes accompagnées dans le cadre d’APPEL 30 réalisent souvent dans l’après-coup tout le bénéfice d’avoir préparé, dans la perspective de la comparution, un dossier comprenant les pièces justifiant de leur situation : « Sans elles [binôme APPEL 30], je serai peut-être allé au tribunal, pour essayer de me défendre. Mais ce qui est sûr c’est que j’aurais pas apporté les courriers pour éclaircir. Là je l’ai fait et la juge elle a vu que j’étais réglo grâce aux papiers qu’on m’a dit d’apporter. » (Comparant suivi dans le cadre d’APPEL 30)
L’observation des comparutions confirme la part non négligeable de ménages en situation de mal logement ayant utilisé le non-paiement du loyer comme mesure de rétorsion envers leur propriétaire. L’absence de préparation, et le manque de pièces justificatives, empêche le juge de pouvoir prendre une décision adaptée à la situation du locataire : « Vous me parlez de mauvais état du logement et vous dites qu’il y a des travaux à faire. Mais vous n’avez pas amené de justificatifs de l’état du logement. Rien. Vous auriez pu fournir une photo, un témoignage d’un voisin, quelque chose. Mais là, rien : je ne peux pas le prendre en compte. » (Observation au Tribunal d’Instance - Comparant hors dispositif APPEL 30)
De même, l’obtention de délais de paiement n’est possible que si le juge dispose de documents lui permettant de juger de la fiabilité de la proposition. L’absence de diagnostic social, ou d’éléments prouvant la capacité financière du ménage, rend caduque la demande formulée par le comparant non préparé : « Vous avez été convoquée par l’enquête sociale de prévention et vous n’y êtes pas allée non plus. Sans justificatif de votre situation financière, je ne peux pas juger de la somme que vous êtes capable de payer pour régler votre dette. C’est tout, allez. Délibéré le 23 du mois prochain. » (Observation au Tribunal d’Instance - Comparant hors dispositif APPEL 30)
L’accompagnement physique à l’audience, une conjuration de la peur
Guider les comparants jusqu’à la salle d’audience n’est pas un objectif poursuivi par les tribunaux. La difficulté de s’orienter, de trouver la salle où l’on doit se rendre, est un facteur de stress préjudiciable au bon déroulement de la comparution. Pour cette raison, l’accompagnement physique permet de réduire considérablement, dès l’arrivée au tribunal, l’état d’anxiété : « Très utile déjà pour trouver la salle, parce que j’étais perdu. Un vrai labyrinthe. J’étais paumé quoi. Elle marchait devant moi, en avant-garde en quelque sorte ! » (Comparant suivi dans le cadre d’APPEL 30)
Les ménages interrogés dans le cadre de ce bilan parlent unanimement du sentiment de peur qui « ne s’arrête pas, même la nuit ». Les deux principaux types de comportements de l’être humain face à la peur, analysés par le sociologue Edgar Morin, se retrouvent dans leurs propos : un « comportement actif de fuite » (la non comparution), et « un comportement de paralysie au moment où l’être, complètement dépassé, n’a plus la capacité de trouver une réponse comportementale »2.
Proposé systématiquement dans le cadre du dispositif APPEL 30 pour empêcher la peur d’immobiliser le comparant, l’accompagnement physique au tribunal remplit une fonction « d’anti-peur »3 que les personnes accompagnées identifient très rapidement : « Heureusement vous êtes là, on parle, cela fait moins peur. » ; « Vous pensez que ça va aller ? » ; « J’avais très peur. Il faisait une chaleur terrible. Mme Narette était là, elle m’a tenu compagnie tout l’après-midi, et même, comme je transpirais beaucoup, elle me passait des serviettes en papier pour m’essuyer. » (Comparants suivis dans le cadre d’APPEL 30)
Convoqués le lundi en début d’après-midi, tous les comparants se retrouvent au même moment dans la salle d’audience. Les avocats, représentant généralement les bailleurs, sont là aussi. Leur nombre (pouvant dépasser une vingtaine), leur tenue, et leur agitation avant la plaidoirie, produisent un effet impressionnant sur quiconque n’est pas habitué à assister à une audience, à fortiori quand on est soi-même comparant.
La présence bienveillante de la médiatrice d’APPEL 30, familiarisée avec cette ambiance si particulière, et disponible pour répondre aux questions, est perçue par les ménages accompagnés comme une sécurité face à l’inconnu : « Il y a énormément d’Avocats, ils ont fait beaucoup d’étude… » ; « Pourquoi il y a tant d’avocats ? Ah bon, et le juge il est pas seul ? » (Comparants suivis dans le cadre d’APPEL 30)
Cette présence rassurante décrite par la médiatrice d’APPEL 30 (« je ne suis pas loin ; je n’ai pas le droit de parler au juge, mais ils savent que je suis là ») donne aux personnes comparantes un courage que beaucoup ne pensaient pas pouvoir trouver : « La dame m’a dit : c’est à vous de vous débrouiller, mais s’il y a le moindre problème, j’essaierai d’intervenir, vous vous rendez compte ? Alors qu’elle n’est même pas avocate ! Alors j’y suis allé. » ; « Madame Narette m’a dit : c’est à vous maintenant, allez-y, dites ce que vous avez à dire. Ça m’a beaucoup aidée car au début j’osais pas ». (Comparants suivis dans le cadre d’APPEL 30)
Finalement, l’escorte d’APPEL30, investie en tant que « sujet supposé savoir4 », suscite parfois des comportements positifs parmi les plus inattendus : « Le tribunal est vraiment beau, toutes ces peintures partout sont magnifiques, vous savez ce qu’elles représentent ? » (Comparant suivi dans le cadre d’APPEL 30)
La mise en place des conditions favorisant l’échange avec le juge, une prévention efficace contre l’expulsion
L’apaisement lié à la compréhension du dossier, à la préparation en amont, à la présence physique d’une personne « de son côté » permet à la personne assignée d’être mentalement présente au point d’être en capacité de saisir une occasion qu’elle n’aurait pu saisir si elle avait été trop angoissée : « Quand elle a fait l’appel, la juge m’a dit de m’approcher. Puis elle m’a dit, je vous appellerai tout à l’heure, qu’est-ce que vous allez demander ? J’ai dit : ce que je voudrais, c’est payer avec de toutes petites mensualités. Elle m’a dit : alors allez voir l’avocat de la partie adverse pour en parler. C’est ce que j’ai fait. Au début, il était froid. Mais j’ai dit : c’est la juge qui m’a conseillé de vous voir. Et on a pu discuter. Et ça a marché ! » (Comparant suivi dans le cadre d’APPEL 30)
Préparés à donner au juge les bons arguments pour leur défense, les ménages accompagnés ont plus de chance d’obtenir des délais, soit pour régler leur dette, soit pour se reloger. « Être accompagnée, ça a eu un effet positif sur le juge, on a pu montrer que je cherchais un logement, que c’était en cours, qu’il y avait de la mobilisation. Heureusement, parce que l’avocat, en face, c’était un vrai pitbull. » (Comparant suivi dans le cadre d’APPEL 30)
La préparation de l’argumentaire est d’autant plus décisive que le rythme d’enchaînement des audiences laisse peu de temps au comparant pour s’exprimer : « Au tribunal, ça va très vite. On a pas le temps de s’installer. Ils ont beaucoup de dossiers et ça va très vite. » « Au tribunal, il y a plein de mots savants. Alors quand on nous explique, ça aide beaucoup. » (Comparants suivis dans le cadre d’APPEL 30)
Continuer son parcours
La plupart des ménages interrogés, qu’ils se soient maintenus dans le logement ayant fait l’objet d’un impayé ou qu’ils l’aient quitté, expriment une reconnaissance envers l’accompagnement. Plusieurs d’entre eux décrivent une amélioration de leur situation :
« Ça va bien maintenant. On remonte la pente » ;
« Ça va mieux. Ma dette est plus adaptée. Je suis contente » ;
« Je suis bien maintenant. Je touche une toute petite retraite mais j’essaie de me débrouiller et ça va. Et je vais vous dire un truc rigolo : je devais une grosse somme d’argent à ma propriétaire, et quand j’ai reçu ma retraite, enfin, j’ai payé tout le monde, mon frère, ma sœur, et ma propriétaire, parce que j’avais eu des délais. Et maintenant, elle vient de me téléphoner pour me dire que c’est elle qui me doit de l’argent. Elle me doit 150 euros ! » ;
« Ça m’a beaucoup aidé. J’ai connu ce système un peu tard et j’aurais aimé le trouver avant. J’ai dû payer normalement mes retard de loyer c’est normal. Mais mon propriétaire, lui, a été bloqué par la CAF qui est intervenue pour logement insalubre. Je suis dans un logement social, dans un appartement qui me convient. Là où c’est le plus dur pour vous, quand vous tombez, le plus dur c’est de vous relever. Tout va bien maintenant, je suis sorti d’affaire et je travaille dans la cafétéria du Crous. J’ai deux chambre, une pour mon fils, une pour ma fille. Et ici il n’y a pas de soucis avec l’appartement. Dès que vous avez un souci, de chaudière ou quoi, c’est réglé tout de suite. C’est confortable ! » ;
« Je suis toujours là et ça va ! Je dois payer tous les mois 71€ et ça va, je m’en sors bien. Oui tout va bien… » ;
« Je suis partie vivre chez mon ami. Tout s’est arrangé. J’ai encore de la dette mais je paie petit à petit, je me suis arrangée comme ça. C’est loin derrière moi tout ça. Ma situation est résolue. » ;
« J’ai continué mon parcours et je ne me suis pas arrêtée sur mes acquis. Je me reconstruis doucement, tout est en voie ou va se stabiliser. J’ai un appartement grand et aéré, les petits l’adorent, on se sent bien car le logement est bien. Un jour c’est moi qui vais vous appeler pour vous dire que je m’en suis complètement sortie… »
(Comparants suivis dans le cadre d’APPEL 30)
Bien entendu, pour d’autres, en particulier pour ceux qui souffrent d’un cumul de difficultés, financières, médicales, familiales…, la situation reste extrêmement fragile.
« La poisse continue. Jusqu’au bout (…) Mais je suis quand même très satisfait car au début je ne voulais pas y aller [au tribunal]. Je me disais que ça servait à rien, on avait tellement de retard, pas de travail, pas d’argent. Elles m’ont dit, allez-y, comme ça vous pourrez prouver votre bonne foi. Et j’y suis allé, je regrette pas. On paie bien les 200 euros de remboursement. Mais pour le loyer, on y arrive pas. Mais maintenant j’ai l’information, je sais que je dois aussi continuer à le payer, alors j’ai envoyé le préavis pour partir dans la maison de la grand-mère » ;
« J’ai demandé le JEX et j’attends la réponse. Je dois passer aussi en DALO, le 14 avril. J’ai repris en partie le paiement du loyer mais un petit peu, car on a obtenu le RSA. On souffle un peu mais tant qu’on aura pas changé de domicile on a toujours une épée de Damoclès sur la tête… »
(Comparants suivis dans le cadre d’APPEL 30)
Le suivi effectué, après le jugement, par le binôme d’APPEL 30, constitué par Mesdames Delchambre (ADIL30) et Narette (ALG) est un élément rassurant que les ménages ressentent comme un « filet de sécurité » facilitant la poursuite de leur parcours logement :
« Elles m’ont téléphoné, elle ont pris de mes nouvelles. Elles disaient : est-ce que vous êtes bien ? Est-ce que ça va ? Est-ce que vous êtes bien logé ? Et même quand j’ai déménagé, elles ont pris de mes nouvelles ! » ;
« Elle continue à prendre de mes nouvelles. Elle répond tout de suite quand je l’appelle. Ça m’a beaucoup rassurée. Ça m’a donné confiance. C’était un soulagement. Elles ont répondu à beaucoup, beaucoup de questions que je me posais. Elles m’ont motivée pour que je me batte; elles m’ont reboostée, remotivée… j’étais en train de couler… »
(Comparants suivis dans le cadre d’APPEL 30)
Conclusion
Évaluer une expérimentation par une approche qualitative implique une mise en lumière des paroles exprimées par les ménages ayant bien voulu y participer.
La dernière personne interrogée dans le cadre de ce bilan se fait l’écho d’un discours entendu de façon récurrente au cours des entretiens téléphoniques. Les mots qu’elle choisit pour désigner les personnes en situation de menace d’expulsion, « eux », « les gens », témoignent d’une distanciation (elle n’est plus concernée) que la participation à l’expérimentation APPEL 30 a sans aucun doute favorisée : « Il faut continuer à accompagner les gens au tribunal. C’est important pour eux. Ça les aide. C’est un soutien psychologique, on est pas dans le stress comme quand on ne connaît pas et qu’on y comprend rien… C’est important de continuer ».
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1 Ce contexte territorial est tiré du Dossier Occitanie n°8 de l’Insee daté d’octobre 2018.
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2 Morin Edgar. Les anti-peurs. In: Communications, n°57, 1993. Peurs, sous la direction de Bernard Paillard. pp. 131-139.
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3 Ibid., p.132.
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4 Concept défini par Jacques Lacan, Séminaire XI