Mise en place d’Equipes Mobiles pour lutter contre les expulsions dans les Hauts-de-Seine

diciembre 2022

Au lendemain de la crise sanitaire, l’ADIL des Hauts-de-Seine a été retenue pour porter un dispositif expérimental d’Equipe Mobile dans le département. En partenariats avec de nombreux acteurs locaux, un binôme composé d’un juriste et d’un travailleur social proposent un accompagnement à des ménages menacés d’expulsion, qui varie selon les difficultés rencontrées par les ménages et le stade de la procédure juridique où ils se trouvent.

Contexte

Contexte territorial

Avec plus d’1,6 millions d’habitants en 2020, les Hauts-de-Seine représentent le septième département le plus peuplé de France et le deuxième plus dense d’Île-de-France après Paris 1, intégralement urbanisé à l’exception de deux grandes forêts. Les indicateurs sociodémographiques altoséquanais témoignent d’un territoire favorisé : le revenu médian est relativement élevé (28 810 euros en 2020, contre 24 490 euros à l’échelle régionale et 22 400 à l’échelle nationale la même année)2, les actifs sont surreprésentés parmi la population (79% contre 76,5% dans la région)1, et notamment les cadres (avec un indice de concentration de l’emploi cadres atteignant 133.1)3, tandis que le taux de pauvreté est l’un des plus faibles de la région (11,9% en Hauts-de-Seine, contre 15,5% en moyenne en Île-de-France)2.

Le territoire altoséquanais est cependant marqué par de fortes inégalités sociales : le rapport interdécile s’y élevait à 4,9 en 2019, contre 3,4 en France métropolitaine la même année 3. Parmi les 36 communes du département, huit d’entre elles concentrent les 21 quartiers prioritaires de la politique de la ville des Hauts-de-Seine 4, et le taux de pauvreté oscille entre 9% et 21% selon les EPCI du département.

Au regard de l’habitat, la part des propriétaires est plus faible dans les Hauts-de-Seine (43%) qu’en Île-de-France (47%) en 2020 1. La part de logements sociaux avoisine les 25% dans le département 3, mais ce taux varie entre 6% et 66% selon les communes 5, illustrant de fortes disparités territoriales. Le marché du logement privé est particulièrement tendu, le parc social est saturé et comprend de longs délais d’attente. Les prix élevés du foncier et des loyers rendent difficile l’accès au logement des ménages, particulièrement ceux dont les revenus sont les plus faibles.

En France comme dans les Hauts-de-Seine, la crise sanitaire survenue dès 2020 a renforcé les inégalités territoriales en aggravant les situations de pauvreté préexistantes et en faisant basculer une partie de la population dans la précarité. Ces fragilités se manifestent à la fois d’un point de vue économique et social, mais également au regard du logement et de la santé, notamment la santé mentale 6.

Contexte de la mission

La crise sanitaire survenue dès 2020 a laissé craindre une hausse massive des expulsions locatives liées aux impayés de loyer, suite au prolongement de la trêve hivernale et la précarisation d’une partie de la population. Afin de répondre à cette problématique, l’Etat a lancé un Appel à Manifestation d’Intérêt (AMI)7 à destination de partenaires territoriaux pour la création d’Equipes Mobiles, s’inscrivant dans une logique d’ « aller-vers ». Cette mission s’appuie sur des binômes constitués de juristes et de travailleurs sociaux qui s’adressent à des ménages en difficulté menacés d’expulsion, non-accompagnés et pas – ou peu – connus des services sociaux.

Dans les Hauts-de-Seine, c’est la Direction Régionale et Interdépartementale de l’Hébergement et du Logement (DRIHL)8 qui a sollicité l’ADIL afin qu’elle réponde à cet AMI. En effet, les deux structures entretiennent des liens fréquents compte tenu de l’expertise et la plus-value juridique qu’apporte l’ADIL dans le département, forte d’un ancrage territorial. Elle est notamment à l’initiative de plusieurs projets, comme c’est le cas d’un projet mené avec la Commission de Coordination des Actions de Prévention des Expulsions (CCAPEX)9 à laquelle l’ADIL signale des situations de ménages ayant reçu un commandement de payer leur loyer.

Contenu de la mission

Cadre de la mission

L’Equipe Mobile des Hauts-de-Seine est composée par l’ADIL du 92 et l’association SOLIHA10, opérateur secondaire. Cette structure missionne un travailleur social, qui correspond à un Emploi Temps Plein (ETP). De son côté, l’ADIL mobilise 4 juristes qui se divisent 2 ETP sur la mission en se répartissant différentes tâches et dossiers selon des jours. L’ADIL a également recruté un travailleur social interne à la structure, il est en contrat de professionnalisation.

Partenaires mobilisés dans le cadre de la mission

Public cible

L’Equipe Mobile de l’ADIL des Hauts-de-Seine intervient auprès des ménages menacés d’une procédure d’expulsion :

L’orientation des ménages menacés d’expulsion vers l’Equipe Mobile

L’ADIL des Hauts-de-Seine intervient en faveur de la prévention des expulsions au-delà du cadre de son Equipe Mobile, qui s’articule aussi avec d’autres missions des juristes de la structure. Elle accompagne des ménages menacés d’expulsion, quel que soit le stade de la procédure juridique auquel ils se trouvent. Selon leur situation, l’ADIL décide d’orienter les dossiers qu’elle reçoit vers l’Equipe Mobile ou vers l’accompagnement classique proposé.

Au stade de l’impayé locatif

Les partenaires de l’ADIL ne lui transmettent pas de dossiers au stade de l’impayé locatif, c’est-à-dire en amont du premier acte de la procédure. Les personnes qu’elle accompagne dans ce cas sont celles qui ont directement sollicité la structure pour bénéficier d’un accompagnement juridique. Ces ménages ne seront ainsi pas orientés vers l’Equipe Mobile, mais seront pris en charge dans le cadre classique des missions réalisées par l’ADIL.

Au stade du Commandement De Payer (CDP)

La DRIHL et les services sociaux du CD à l’ADIL les dossiers de personnes en situation d’impayé à partir du stade du commandement de payer. A ce stade, ces ménages sont contactés par courrier par l’ADIL qui leur propose un accompagnement juridique. S’ils répondent favorablement à ce moment-là, ils sont pris en charge par l’ADIL.

Au stade de l’assignation et au-delà

Lorsque le ménage n’a pas répondu ou n’a pas adhéré à la proposition d’accompagnement au stade du commandement de payer, son dossier est pris en charge par l’Equipe Mobile. C’est en effet un critère fixé par la structure dans l’orientation des ménages.

Au stade du Concours de la Force Publique (CFP)

Les préfectures et sous-préfectures orientent vers l’Equipe Mobile des dossiers de ménage qui sont au stade du concours de la force publique, c’est-à-dire qu’ils n’ont pas quitté leur logement après une décision de justice leur commandant de quitter les lieux dans un délai de deux mois. Ces services de l’Etat remettent un dossier détaillé à l’ADIL au cours d’une réunion en physique, qui comprend généralement un ensemble de données : coordonnées, mail, téléphone, digicode…

La prise de contact par l’Equipe Mobile

Auprès du locataire

Auprès du bailleur

La prise du contact par l’Equipe Mobile avec le bailleur du logement n’est pas systématique. Elle se fait à partir des coordonnées disponibles.

L’accompagnement par l’Equipe Mobile

Le suivi du dossier par le juriste et le travailleur social

Lorsque le ménage répond favorablement aux sollicitations de l’Equipe Mobile, un premier rendez-vous lui est proposé et il est alors reçu par un travailleur social et un juriste qui traitent ensemble le dossier.

Le binôme se réunit également une fois par semaine pour échanger sur les dossiers suivis. Ils ont recours à un outil de gestion commun nommé Dual Corps, qui leur permet de renseigner les informations sur un ménage, de les mettre à jour et de suivre l’avancement du dossier. Cet outil permet de réaliser un diagnostic de la situation du ménage, qui sera transmis aux travailleurs sociaux du Département pour la réalisation du Diagnostic Social et Financier (DSF) remis au juge au moment de l’audience.

Les solutions proposées par le binôme

Selon les besoins et la situation de la personne, l’Equipe Mobile adapte son accompagnement. Ils peuvent par exemple engager un plan d’apurement de la dette lorsque les conditions du ménage le permettent. Au stade de l’assignation, le juriste prépare la personne à l’audience. Au stade du concours de la force publique, l’accompagnement procuré par l’Equipe Mobile consiste principalement à trouver une solution de relogement au ménage.

Le binôme travaille notamment en partenariat avec d’autres structures comme le SIAO pour les demandes de mise à l’abri, avec le bureau d’accès au logement de la DRIHL pour l’obtention d’un hébergement, mais également avec des structures médicales et psychiatriques dans le cas où l’orientation vers une structure pour seniors ou une structure psychiatrique serait plus appropriée.

Eléments de bilan de l’action

Le public effectivement rencontré

Sur les 124 dossiers transmis au stade de l’assignation, 32 ménages ont été rencontrés. Sur les 71 dossiers transmis au stade du concours de la force publique, 37 ont été accompagnés.

Bien que le fait d’être inconnu des services sociaux est un critère pour l’accompagnement, il peut arriver qu’un travailleur social ait déjà accompagné le ménage mais qu’il ait clôturé le dossier par manque d’adhésion. Il arrive donc qu’une mesure d’Accompagnement Vers et Dans le Logement (AVDL) ou qu’une procédure de Droit Au Logement Opposable (DALO) aient déjà été initiées lors de l’intervention de l’Equipe Mobile.

En termes de profil, l’Equipe Mobile rencontre beaucoup de ménages âgés, beaucoup de personnes qui souffrent de problèmes de santé mentale mais aussi des personnes qui cumulent des critères de majeur protégé et des problèmes de santé mentale, ce qui justifie un partenariat nécessaire avec les structures médico-sociales du territoire.

Les critères de vulnérabilité les plus fréquents sont ainsi l’âge, la situation économique et le handicap.

La plus-value d’un travailleur social au sein de l’ADIL

L’Equipe Mobile est à la fois en collaboration avec les travailleurs sociaux de l’association SOLIHA, mais elle a également recruté un travailleur social en interne. Cela permet de dépasser les inconvénients liés au travail entre structures, comme le fait de ne pas être dans les mêmes bureaux, d’avoir des temporalités différentes de fonctionnement. Le recrutement d’un travailleur social au sein de l’ADIL représente ainsi un gain de temps et fluidifie le fonctionnement de l’Equipe Mobile.

L’ADIL reconnaît la plus-value de l’intégration du travail social parmi son panel de compétences, sentant des besoins sur ce volet. En effet, la structure pouvait se trouver bloquer dans certaines situations qui nécessitent un travailleur social, comme pour une demande de Fonds de Solidarité Logement (FSL), notamment compte tenu de délais d’attente parfois importants pour obtenir une réponse des services sociaux du Conseil Départemental. Avec l’Equipe Mobile, le volet social est traité directement en rendez-vous, en même temps que le volet juridique, et l’ADIL dispose des prérogatives spécifiques du travailleur social.

Un intérêt de l’aller-vers confirmé

L’ADIL était très intéressée par cette nouvelle approche et considère que son intérêt a été démontré au cours de la mission : la structure n’est pas attentiste et peut prendre les devants face à de nombreux locataires qui ne se mobilisent pas pour différentes raisons. L’aller-vers permet de faire connaître aux ménages leur situation, et c’est un facteur d’engagement : « Dès qu’on a touché le locataire, c’est rare qu’il n’y ait pas d’adhésion ». C’est d’autant plus important qu’il est parfois difficile de faire adhérer le public à un accompagnement.

Les difficultés d’un accompagnement au stade du concours de la force publique

Au départ de la mission, l’Equipe Mobile recevaient surtout des dossiers de personnes au stade du concours de la force publique, soit le dernier stade de la procédure d’expulsion. Rapidement, ils ont constaté que ce n’était pas le stade optimal car, bien qu’il est efficace pour l’aller-vers, il est assez tardif dans l’accompagnement. Le travail porte sur le relogement ou sur le maintien in extremis dans le logement, mais il ne peut y avoir de travail dans la durée.

Constats et perspectives

  • Une mission qui s’articule avec d’autres dispositifs complémentaires, qui permettent d’identifier et d’accompagner le plus grand nombre de ménages, grâce à un maillage territorial,

  • Un binôme qui pallie au manque de travailleurs sociaux s’occupant des problématiques de logement des ménages,

  • Une mission reconduite dans ses financements, mais une convention annuelle qui empêche d’inscrire l’action dans la durée malgré une plus-value large et bien identifiée.

Para ir más allá