Accompagnement social des ménages menacés d’expulsion dans les Landes

Une analyse de la pratique par une psychologue pour faciliter l’accompagnement

Elvire Tribalat, septiembre 2023

L’ADIL des Landes est constituée d’un pôle social comptant trois conseillères en économie sociale et familiale (CESF) et d’un pôle juridique comptant six juristes. Elle est chargée d’une mission spécifique de prévention des expulsions depuis le début des années 2000. Afin d’appuyer les travailleuses sociales chargées d’accompagner les ménages en difficulté, l’ADIL a mis en place depuis plusieurs années un partenariat avec une psychologue qui accompagne les par une analyse de leur pratique. A hauteur de 2h par mois, la psychologue intervient donc auprès des trois CESF afin de les aider à décrypter les mécanismes de défense mis en place par les ménages accompagnés et à apaiser le sentiment d’impuissance qu’elles peuvent parfois ressentir. Il s’agit, in fine, d’améliorer la relation d’aide et de permettre aux ménages de s’en saisir au mieux pour trouver des solutions positives aux difficultés rencontrées.

Contexte territorial1

Deuxième plus vaste département de l’Hexagone, les Landes comptent 405 200 habitants au 1er janvier 2015. Le département bénéficie d’un taux d’accroissement de la population, de 1,2 % par an depuis 2008, ce qui en fait le territoire le plus attractif de la région Aquitaine-Limousin-Poitou-Charentes. Grâce au pin maritime qui domine le paysage landais, la filière bois-papier est bien implantée, tout comme les groupes des industries agroalimentaires avec la culture du maïs et l’aviculture, notamment le canard à foie gras. Grâce à son littoral et au thermalisme, le département des Landes est un haut lieu touristique. Dans une région traditionnellement liée aux activités de la défense, le secteur aéronautique landais s’est aussi solidement développé. En matière d’emploi, le tertiaire marchand et l’administration publique dominent. Néanmoins, le département est l’un des plus industrialisés de la région (16,3 %). Non épargnées par le chômage, avec un taux de 9,6 % en 2014, les Landes restent cependant l’un des départements les moins touchés par la pauvreté et l’un des moins inégalitaires.

L’accompagnement social à l’ADIL des Landes

Depuis 2002, l’ADIL des Landes est en charge de la prévention des expulsions locatives.

Cette mission a pour objet de prévenir les expulsions locatives, tout en renseignant les locataires et les propriétaires sur leurs droits et obligations, ainsi que sur la procédure judiciaire en résiliation de bail.

En 2007, un premier poste de travailleuse sociale a été financé par le conseil départemental afin de porposer un accompagnement global aux locataires menacés d’expulsion. Ce financement s’inscrivait dans le cadre du plan d’action de la charte de prévention des expulsions.

Aujourd’hui, l’ADIL est organisée en un pôle juridique, comptant 6 juristes, et un pôle social, comptant 3 conseillères en économie sociale et familiale (CESF). Ces dernières sont chargées de la relation avec les locataires alors que les juristes sont chargées de la relation avec les bailleurs, afin de garantir une neutralité de l’accompagnement.

La mission sociale réalisée par les CESF consiste en un accompagnement renforcé des locataires ayant répondu aux sollicitations de l’ADIL. Un courrier est ainsi envoyé à l’ensemble des locataires au stade du commandement de payer (CDP). L’ADIL 40 reçoit en effet l’ensemble des actes de la procédure d’expulsion : CDP, mais également assignation, jugements, commandements de quitter les lieux et demandes de concours de la force publique. Le tableau ci-dessous recense le nombre d’actes reçus par l’ADIL en 2021.

1 : Nombre d’actes de la procédure d’expulsion reçus par l’ADIL 40 en 2021

La mission sociale de l’ADIL conduite par les CESF consiste en un accompagnement renforcé des locataires, qui passe notamment par :

Les consultations peuvent parfois être réalisées en binôme avec les conseillères juristes ce qui permet d’avoir une approche globale tout en conservant l’approche et la logique d’intervention propres à chaque professionnelle. Les ménages bénéficient donc d’un accompagnement pleinement social et pleinement juridique, plutôt que d’un accompagnement hybride juridico-social.

Les ménages accompagnés sont souvent en prise à des difficultés complexes et multiples, ce qui rend la mission d’accompagnement social parfois difficile. Cela, tant du fait des blocages que développent les ménages que des conséquences sur les travailleuses sociales et donc sur la relation ménage-CESF et par conséquence sur l’accompagnement des ménages.

Une analyse de la pratique réalisée par une psychologue pour appuyer les CESF et faciliter l’accompagnement des ménages

Les ménages accompagnés ont souvent des profils de personnes ayant subi des polytraumatismes et donc un vécu émotionnel chargé. Ils vont ainsi développer des mécanismes de défense pouvant sembler entraver l’accompagnement. Une mission d’analyse des pratiques a ainsi été mise en place à hauteur de 2h par mois en direction des 3 CESF. Le format collectif permet de prendre conscience de similitudes dans les difficultés vécues et permet également une forme de vigilance et donc d’entraide pour l’accompagnement de certains ménages.

L’analyse des pratiques conduite par la psychologue vise dès lors à accompagner les professionnelles pour qu’elles puissent prendre du recul sur leurs pratiques et comprendre le focntionnement des personnes accompagnées ainsi que leurs mécanismes de défense. « On se rend bien compte que les personnes que l’on accompagne sont souvent confrontées à des problématiques sous-jacentes. On parvient parfois à les identifier mais pas toujours à savoir comment (ré)agir. La psychologue nous aide donc à comprendre les mécanismes de défense que peuvent mettre en place les locataires. »

2 : Les freins à la bonne réception de l’information par les ménages menacés d’expulsion

Les mécanismes de défense mis en place par les locataires peuvent conduire les professionnelles à se sentir en situation d’impuissance lorsque leur volonté d’aider les ménages se confronte à une incapacité pour les ménages à se saisir de cette aide. Cela, compte tenu des mécanismes de défense développés mais également d’un décalage dans l’appréhension de la temporalité. En effet, les professionnelles peuvent parfois avoir conscience du risque et des conséquences pour les ménages sans que cela ne soit complètement appréhendé par ces derniers. Cela provoque alors un fort sentiment d’impuissance chez les professionnelles, difficile à vivre. « Elles ont envie d’aider mais elles se retrouvent parfois avec seulement la moitié des cartes en main sans réussir à faire en sorte que la personne en face se saisisse de ses propres cartes. » L’analyse des pratiques, en leur donnant les moyens de mieux appréhender le fonctionnement des ménages vient apaiser ces situation d’impuissance.

Par ailleurs, compte tenu des enjeux conséquents induits par la procédure d’expulsion, les locataires peuvent parfois témoigner d’une certaine forme d’agressivité du fait d’un sentiment d’injustice et d’abandon. Dès lors, le fait, pour les professionnelles, de disposer d’un espace leur permettant de témoigner de la violence subie leur permet de s’en décharger et de pouvoir ainsi poursuivre l’accompagnement de ces ménages dans de bonnes conditions.

Le soutien des professionnelles impacte donc directement la relation d’aide aux ménages à divers degrés. En effet en « prenant soin » des professionnelles et en leur permettant de comprendre le fonctionnement des ménages accompagnés, cela favorise la capacité de ces derniers à se saisir de l’aide apportée et donc à trouver des issues positives aux difficultés rencontrées.

  • 1 Ce contexte territorial a été rédigé par Virginie Régnier de l’Insee ; il fait partie du dossier « Les Landes à grands traits » paru le 3 mars 2016.