Mise en place d’Equipes Mobiles pour lutter contre les expulsions en Seine-Maritime

diciembre 2022

En collaboration avec des associations du territoire, l’ADIL de Seine-Maritime porte l’Equipe Mobile de son département, chargée d’identifier et d’accompagner des ménages non connus des services sociaux menacés d’une procédure d’expulsion. En associant un accompagnement social et juridique à des méthodes novatrices de prise de contact avec les ménages, l’ADIL de Seine-Maritime contribue activement à une meilleure prise en charge d’un public jusqu’à lors peu suivi. Ce dispositif nécessite un travail partenarial avec différents organismes sociaux, services de l’Etat et structures sanitaires et sociales, renforçant ainsi le maillage territorial en faveur de la prévention des expulsions.

Contexte de la mission

Contexte territorial

Département Normand, la Seine-Maritime est touchée depuis plusieurs années par le vieillissement de sa population : la part des plus de 60 ans est passée de 22% en 2009 à 26,5% en 2020 ; ainsi que par la diminution de la taille des ménages : les personnes seules représentant 38% des ménages en 2020 contre 33% en 20091. La croissance démographique de la Seine-Maritime est très légèrement positive (+0,01% entre 2013 et 2019), malgré un solde migratoire négatif dans l’ensemble du département, à l’exception des périphéries rouennaises et dieppoises.

La Seine-Maritime présente plusieurs indicateurs de précarité : elle est relativement plus touchée par le chômage que le reste de la région (14,2% contre 12,5 en Normandie) et affiche un taux de pauvreté de 14,6% en 2020 plus important qu’en Normandie (13,2%) et en France (14,2%)2. La médiane du revenu disponible s’élève à 21 700 euros, contre 21 820 à l’échelle régionale et 22 400 à l’échelle nationale.

Le département est cependant empreint d’inégalités importantes. Au centre du territoire, le long de la Vallée de la Seine, habite une population plus jeune, plus active et au revenus en moyenne plus élevés. Les zones rurales, à l’Est et au Nord du département, se composent d’une population plus âgée et percevant des revenus plus faibles; quand les centres-urbains de Rouen, du Havre et de Dieppe affichent les taux de pauvreté les plus importants du département, s’élevant à plus de 18%.

Ces disparités territoriales se reflètent également en termes d’habitat. La part des propriétaires est plus faible dans le département que dans la région (53% contre 58,6%), mais elle apparaît plus importante dans les secteurs périurbains et ruraux. Au contraire, la part de locataires est plus élevée dans les agglomérations, où l’on retrouve la majeure partie des logements sociaux du territoire. Dans les zones rurales en revanche, le parc privé se révèle être un parc social de fait, plus exposé à l’insalubrité et à la précarité énergétique3. C’est notamment dû à l’ancienneté des logements dans le département : 47% du parc de logement a été construit avant 1971, cette part étant plus élevée encore dans la partie rurale du département.

Contexte de la prévention des expulsions

Les actions menées par l’ADIL de Seine-Maritime en lien avec la prévention des expulsions

Dans le cadre d’un partenariat avec la Fondation Abbé Pierre 4, l’ADIL de Seine-Maritime finance un poste lié à l’accompagnement de ménages dans le cadre de la prévention des expulsions. Les locataires sont orientés vers l’ADIL par différents moyens, notamment par la CAF, des huissiers ou des travailleurs sociaux.

L’ADIL mène également un partenariat avec la CAF, qui transmet chaque mois un tableau recensant les coordonnées de locataires en situation d’impayé de loyer. A partir de cette liste, l’ADIL contacte les ménages par téléphone ou par mail. La CAF est informée des impayés locatifs par le biais des propriétaires qui ont l’obligation légale de les déclarer à l’organisme. Pourtant, en Seine-Maritime, la CAF s’est rendu compte que 40% des dettes n’étaient pas connues de la CAF au moment du commandement de payer, soit à la première étape contraignante de la procédure juridique, du fait des manquements des propriétaires à effectuer ces signalements.

Le déploiement de l’Equipe Mobile en Seine-Maritime

La crise sanitaire survenue dès 2020 a laissé craindre une hausse massive des expulsions locatives liées aux impayés de loyer, suite au prolongement de la trêve hivernale et la précarisation d’une partie de la population. Afin de répondre à cette problématique, l’Etat a lancé un Appel à Manifestation d’Intérêt (AMI)5 à destination de partenaires territoriaux pour la création d’Equipes Mobiles, s’inscrivant dans une logique d’ « aller-vers ». Cette mission s’appuie sur la collaboration de juristes et de travailleurs sociaux qui s’adressent à des ménages en difficulté menacés d’expulsion, non-accompagnés et pas – ou peu – connus des services sociaux.

Compte tenu de son implication en matière de prévention des expulsions, l’ADIL s’est portée candidate à l’AMI. La constitution d’une Equipe Mobile permettait de surmonter le manque d’efficacité et la perte d’adhésion rencontrée dans le suivi de certains ménages, grâce à une logique d’aller-vers autorisant davantage de démarches à l’égard du public, comme se rendre à leur domicile.

Contenu de la mission

Cadre et démarrage de la mission

La mission a commencé en juin 2021. L’ADIL porte 2 Emploi Temps Plein (ETP) destinés à l’Equipe Mobile.

Partenaires mobilisés dans le cadre de la mission

Public cible

L’Equipe Mobile de l’ADIL de Seine-Maritime intervient auprès d’un public menacé d’expulsion :

L’orientation des ménages menacés d’expulsion par l’Equipe Mobile

Chaque département organise des Commissions de Coordination des Actions de Prévention des Expulsions (CCAPEX) 12 qui réunissent différents acteurs du territoire autour de dossiers de ménages menacés d’expulsion. En Seine-Maritime, la CCAPEX centrale se conjugue à cinq sous-commissions, qui correspondent à la division du département en cinq Unités Territoriales d’Action Sociale (UTAS).

La CCAPEX examine les dossiers transmis par la CAF. Lorsqu’il s’agit de locataires du parc privé non connus des partenaires, elle transmet les coordonnées des locataires à l’ADIL. En amont des sous-commissions, L’ADIL traite alors le dossier, contacte le ménage par téléphone ou par mail et lui propose éventuellement un rendez-vous d’accompagnement. La structure récolte ainsi le plus d’informations possible, avant de travailler sur le dossier avec les partenaires présents à l’occasion des sous-commissions.

Dans le cadre d’une expérimentation menée avec la DDETS et la CAF, certains dossiers au stade du Commandement de payer (CDP) sont transmis à l’Equipe Mobile sans avoir été étudiés par la CCAPEX. Ils sont d’abord identifiés par la DDETS grâce aux signalements effectués aux commissaires de justice, qui fait l’extraction d’une liste transmise à la CAF dans un second temps, puis à l’ADIL qui sélectionne les dossiers de ménages prioritaires à rediriger vers l’Equipe Mobile. Une expérimentation partenariale en Seine-Maritime pour améliorer la prise en charge de ménages menacés d’expulsion

La collaboration avec les travailleurs sociaux du territoire

Contrairement aux Equipes Mobiles déployées par les ADIL dans d’autres départements (comme par exemple en Gironde, dans les Hauts-de-Seine ou encore dans le Gard), l’Equipe Mobile de Seine-Maritime n’est pas constituée de binômes de juristes et de travailleurs sociaux. La collaboration entre ces professionnels s’inscrit au-delà de cette forme par paire. En effet, l’ADIL de Seine-Maritime travaille à la fois avec les travailleurs sociaux de droit commun, des CC(I)AS ou des CMS, mais aussi avec un consortium d’associations locales qui sont spécialisées dans l’Accompagnement social lié au logement (ASLL) : l’Association Garantie Logement (AGL)9, la Fondation Les Nids 10 et l’Œuvre Normande des Mères (ONM)11.

Les dossiers traités par l’Equipe Mobile sont ainsi répartis entre l’ADIL et le consortium selon les problématiques rencontrées par les ménages : les associations prennent en charge les dossiers pour lesquels le volet social est le plus important ; l’ADIL se charge de suivre les locataires qui nécessitent principalement un accompagnement juridique. Lorsque les problématiques du dossier ne sont pas connus, ils sont répartis aléatoirement et de manière égalitaire entre les opérateurs. Chaque opérateur traite ses dossiers séparément. Les structures peuvent se poser des questions et y répondre entre elles, mais aucune n’intervient directement sur les mêmes dossiers.

La prise de contact et la rencontre avec les ménages par l’Equipe Mobile

Pour entrer en contact avec les ménages dont le dossier lui a été transmis, l’ADIL favorise en priorité les visites à domicile sans rendez-vous, en semaine entre 16h et 19h. Pour les ménages dont le dossier provient d’une sous-commission en CCAPEX, deux passages maximum sont effectués ; et trois maximum pour les dossiers orientés dans le cadre de l’expérimentation avec la DDETS et la CAF.

Lorsque ces visites n’aboutissent pas à une rencontre avec les locataires, l’ADIL tente alors de les contacter par mail ou par téléphone selon les coordonnées dont elle dispose.

Ces modalités de prise de contact sont similaires pour le consortium d’associations.

L’accompagnement des ménages par l’ADIL et ses partenaires locaux

L’ADIL de Seine-Maritime accompagne et oriente les ménages tout au long de la procédure d’expulsion.

Lorsque l’ADIL doit accompagner un ménage sur une question sociale, elle se dirige dans un premier temps vers les travailleurs sociaux du droit commun, c’est-à-dire des CC(I)AS ou des CMS. Si le délai est trop long, l’ADIL peut s’en charger directement, ce qui n’est pas toujours possible car certaines démarches nécessitent d’être réalisées par un travailleur social.

L’ADIL travaille en partenariat avec des associations du territoire spécialisées en matière de santé, de psychologie et d’addictions, qui peuvent prendre en charge les ménages qui ont besoin d’un accompagnement au regard de ces thématiques.

Eléments de bilan de l’action

Le public effectivement rencontré par l’ADIL

Les profils rencontrés par l’Equipe Mobile sont relativement variés : il s’agit principalement de familles, les personnes seules restent relativement marginales. C’est notamment dû au fait que les personnes avec enfants sont souvent mieux identifiées par les services sociaux ou les organismes sociaux comme la CAF, contrairement aux personnes seules qui témoignent parfois de leurs difficultés d’accompagnement par les travailleurs sociaux du Département.

En moyenne, l’Equipe Mobile prend en charge 25 nouveaux dossiers chaque mois : 10 orientés par les sous-CCAPEX, 15 orientés grâce à l’expérimentation menée avec la DDETS et la CAF. Les nouveaux dossiers s’ajoutent à ceux des mois précédents, mais l’ADIL estime que cinq à sept des dossiers trouvent une résolution ou sortent de l’accompagnement chaque mois. D’autres locataires contactés ne sont pas réellement captés par l’Equipe Mobile. L’ADIL estime ainsi que les ménages relevant d’un accompagnement actif se comptent mensuellement autour d’une quinzaine.

L’inscription de la mission dans le paysage local du travail social

L’Equipe Mobile étant un dispositif récent, il n’était préalablement pas connu et identifié par les organismes locaux, notamment ceux opérant en matière d’accompagnement social. Ainsi, les travailleurs sociaux du département ont pu avoir l’impression que ce nouveau dispositif se confondait avec leur travail d’accompagnement effectué auprès de certains ménages. L’ADIL a ainsi dû mener un travail d’information auprès de ses partenaires afin de faire connaître l’Equipe Mobile et d’en faire valoir l’utilité.

L’ADIL a ainsi su convaincre les travailleurs sociaux de l’intérêt d’informer la sous-CCAPEX de leur connaissance et suivi d’un ménage afin d’éviter l’orientation de ménages déjà suivis vers l’Equipe Mobile. Celle-ci est en effet censée prendre en charge des dossiers de personnes qui ne sont justement pas accompagnées par des travailleurs sociaux. Favoriser la transmission et le partage d’informations entre ces acteurs permet ainsi de fluidifier le fonctionnement de la prévention locale des expulsions, en orientant au mieux les ménages vers le dispositif qui leur est destiné.

Une plus-value de l’aller-vers renforcée dans les milieux ruraux

La démarche d’aller-vers le public s’avère très intéressante et particulièrement efficace pour certains profils de ménage. Dans les territoires ruraux du département, l’intérêt est renforcé : pour les ménages qui n’ont pas le permis ou qui ont des difficultés à se déplacer, le fait de se rendre à leur domicile modifie le rapport entretenu et favorise leur adhésion à l’accompagnement. Les ménages se sentent écoutés et apprécient qu’un interlocuteur, autre que le commissaire de justice, prenne en compte leur isolement géographique et les difficultés que cela engendre. C’est un sentiment partagé à la fois par l’ADIL et par les associations.

En milieu urbain, l’intérêt de l’aller-vers est moindre : les visites à domicile sont plus fréquemment mobilisées par les acteurs locaux, notamment les CC(I)AS et les CMS, ainsi l’Equipe Mobile ne se distingue pas ou peu comme un interlocuteur privilégié. Les difficultés d’accès se ressentent également moins en centre urbain, notamment car l’ADIL assure des permanences au Conseil départemental d’accès aux droits (CDAD)13 et peut recevoir les ménages dans ses propres locaux situés à Rouen, à Dieppe et au Havre.

Constats et perspectives

Referencias