Mise en place d’une équipe mobile de prévention des expulsions à La Réunion
août 2023
Après avoir mis en place en 2020 un dispositif d’accompagnement aux droits liés à l’habitat (ADLH) qui s’est traduit par la tenue de permanences au sein des sous-préfectures de l’île avec pour objectif d’accompagner les ménages en procédure d’expulsion, l’ADIL de La Réunion a candidaté à l’appel à projets des équipes mobiles de prévention des expulsions lancé par l’Etat en fin d’année 2020. Ce dispositif, à destination des ménages en procédure d’expulsion inconnus des services sociaux, a permis de toucher de nombreux ménages effectivement inconnus des services sociaux grâce à un « aller vers » réalisé par différents modes de contacts (courrier, SMS, téléphone, visites à domicile…) par deux travailleuses sociales recrutées en interne par l’association. Cet aller vers a été accueilli très favorablement par les ménages et les données recueillies dans ce cadre ont permis d’alimenter les commissions de coordination des actions de prévention des expulsions (CCAPEX) de l’île. Cette mission a également permis à l’ADIL de développer un accompagnement socio-juridique des ménages et l’a conduite à mettre en place un dispositif expérimental appelé service d’accompagnement et de prévention des expulsions (SAPEX) combinant le dispositif d’ADLH et celui d’équipe mobile.
Contexte territorial1
En 2014, 40 % des Réunionnais vivent sous le seuil de pauvreté métropolitain, soit environ 1000 euros par mois et par unité de consommation. Ce chiffre est trois fois plus élevé qu’en métropole. Fin 2016, 17 % de la population est par ailleurs bénéficiaire du Revenu de Solidarité Active (RSA). Néanmoins, de fortes disparités en matière de pauvreté sont à noter en fonction des différentes zones de l’île. Le taux de pauvreté s’échelonne ainsi de 15 % à Sainte-Marie La Mare à 61 % à Saint-Louis Sud. La part des familles monoparentales, plus exposées à la pauvreté, varie elle-aussi, de 14 % à La Possession Ravine à Malheur à 56 % au Port-ZAC.
L’Insee a établi 5 groupes de quartiers homogènes au regard de la précarité :
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Les quartiers urbains cumulant les difficultés socio-économiques
Ils représentent 12 % de la population de l’île et cumulent les fragilités socio-économiques les plus aiguës. 52 % des habitants de ces quartiers vivent sous le seuil de pauvreté. Cette forte précarité sociale est due à la faiblesse des revenus d’activité en lien avec la faible proportion des habitants en âge de travailler.42 % des jeunes ayant arrêté leurs études n’ont pas d’emploi. Cette précarité est aggravée par le structures familiales qui pèsent sur les niveaux de vie : 14 % de familles nombreuses et 45 % de familles monoparentales.
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Les quartiers pauvres de propriétaires, à dominante rurale
Ils représentent le quart de la population de l’île. Ils se caractérisent par une pauvreté très élevés au sein de communes à dominante rurale mais sont moins dépendants des aides sociales que les habitants du groupe précédent dans la mesure où ils sont 66 % à être propriétaires de leur logement (contre 51 % en moyenne) et que la part des familles monoparentale y est plus faible. La part des bénéficiaires de l’allocation personnalisée d’autonomie y est quant à elle plus importante puisqu’elle s’élève à 16 % contre 12 à La Réunion.
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Les quartiers vulnérables proches des centres-villes
Ils représentent 20 % de la population. Dans ces quartiers, deux fois plus de ménages qu’à La Réunion vivent dans un logement social (38 % contre 21 % en moyenne) et les personnes seules y sont nettement plus nombreuses (34 % des ménages contre 26 % en moyenne). Les familles monoparentales y sont plus nombreuses que la moyenne régionale.
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Les quartiers de propriétaires moins pauvres et éloignés des centres-villes
Ils représentent 30 % de la population de l’île et sont localisés dans des quartiers relativement éloignés des centres-villes. 62 % d’entre eux sont propriétaires de leur logement. Ils bénéficient par ailleurs d’une meilleure insertion en matière d’emploi et de structures familiales plus favorables.
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Les quartiers les plus aisés
Ils rassemblent un Réunionnais sur six. Le niveau de vie médian des habitants de ces quartiers est comparable à celui de la métropole tout en ayant un taux de pauvreté de 24 %, soit deux fois supérieur à la moyenne nationale dans la mesure où les inégalités de revenus y sont plus fortes qu’ailleurs.
Contexte de mise en place de la mission
Depuis 2020, l’ADIL 974 déploie sur son territoire un dispositif d’Accompagnement aux Droits Liés à l’Habitat (ADLH), cofinancé par l’Etat et la Fondation Abbé Pierre (FAP). Il prend la forme d’un conseil juridique délivré dans le cadre de permanences en sous-préfectures aux personnes ayant reçu un courrier de la commission de coordination des actions de prévention des expulsions (CCAPEX), et ce quel que soit le stade de la procédure. Néanmoins, dans les faits, le conseil délivré concerne majoritairement sa phase avale. Cette action a été mise en place à l’initiative de l’ADIL après avoir eu connaissance de l’existence de dispositifs du même type en métropole.
Fin 2021, l’ADIL a candidaté à l’Appel à Projets du dispositif d’équipe mobile de prévention des expulsions dès sa parution du fait notamment d’un souhait en interne de recruter des travailleurs sociaux afin de développer la dimension sociale du conseil délivré aux ménages. Cette sensibilisation à la dimension sociale du conseil s’est notamment opérée via l’animation par l’ADIL du Plan départemental d’action pour le logement et l’hébergement des personnes défavorisées (PDALHPD). La complémentarité des approches sociale et juridique du conseil a ainsi conduit la direction de l’ADIL à souhaiter recruter des travailleurs.euses sociales en interne. L’appel à projet des équipes mobiles a donc été perçu comme une opportunité pour cela.
Portage du dispositif
L’ADIL étant la seule signataire de la convention de déploiement du dispositif d’équipe mobile, elle en est le seul porteur officiel. Néanmoins, dans les faits, les missions sont réalisées à parts égales et selon les mêmes modalités de travail avec une autre association du territoire, ESF Réunion (économie sociale et familiale à La Réunion). Cette dernière est spécialisée dans le travail social. Elle réalise des missions d’Accompagnement Vers et Dans le Logement (AVDL), d’accompagnement Social Lié au Logement (ASLL) et porte un point conseil budget, qui vise à favoriser l’éducation budgétaire et à prévenir le surendettement. Les deux structures se sont partagé le territoire, avec une équipe intervenant au Nord et à l’Est de l’île et une autre intervenant au Sud et à l’Ouest. Ce découpage a été opéré par l’Etat dans le cadre de l’appel à projet du dispositif, ce qui laissait donc entendre que le marché serait attribué à deux équipes distinctes. L’ADIL a donc fait le choix de proposer une réponse commune avec une autre structure du territoire plutôt que de s’en voir imposer une dans l’hypothèse où sa candidature aurait été accueillie favorablement par l’Etat.
Modalités de travail
Bien qu’appartenant à deux structures distinctes, les équipes mobiles du Nord et de l’Est et du Sud et de l’Ouest organisent ensemble des réunions hebdomadaires. Ces réunions permettent d’échanger concrètement sur les situations des ménages et de partager des retours d’expériences. Les deux associations n’évoluent par ailleurs pas dans les mêmes réseaux de partenaires et peuvent donc bénéficier l’une l’autre du réseau de chacune. Les deux structures se sont également réparti la participation aux 5 CCAPEX du territoire.
L’équipe est composée de 4 Equivalents Temps Plein (ETP) de travailleuses sociales (2 au sein de l’ADIL et 2 au sein d’ESF Réunion) et de 0,20 ETP de juriste (au sein de l’ADIL).
Un dispositif mobilisé majoritairement en direction du parc privé
L’équipe mobile est mobilisée en direction du parc privé dans le cadre des signalements pour impayés de loyer réalisés par les bailleurs à la CAF (valant saisine de la CCAPEX) ainsi qu’au stade du commandement de payer (CDP). A la marge, les sous-préfectures peuvent également orienter des situations au stade du commandement de la force publique (CFP). Dans ce cas, sont concernés aussi bien le parc privé que le parc social. L’équipe mobile est très peu intervenue lors de la phase avale de la procédure d’expulsion. Néanmoins, la Direction Départementale, de l’Emploi, du Travail et des Solidarités (DDETS) souhaiterait recentrer l’accompagnement de l’équipe mobile exclusivement sur l’amont.
Profil des publics accompagnés
Le public cible de l’équipe mobile sont les ménages inconnus des services sociaux. Le public réellement touché est constitué à 95 % de ménages effectivement non accompagnés, parmi lesquels la majorité sont des employés, suivis des personnes sans emploi. L’équipe mobile a également touché un nombre significatif d’entrepreneurs.
Modalités de contact des ménages
Sur la période du 1er décembre 2021 au 15 septembre 2022, les 4 travailleuses sociales ont réalisé 575 déplacements à domicile, dont 53 % ont été infructueux. Ces 575 déplacement ont concerné 308 ménages.
Ce sont les CCAPEX qui orientent les situations vers l’ADIL. Néanmoins, dans la mesure où elles ne disposent que de très peu d’informations, cela a pu donner lieu à de nombreuses erreurs d’orientation.
Les modalités de contact des ménages ont évolué au fil de la mission. Au départ, les prises de contact se faisaient majoritairement via l’envoi de courriers ainsi que via des visites à domicile avec avis de passage.
Dès janvier 2022, la CAF a indiqué pouvoir octroyer à l’équipe mobile un accès au service CDAP (Consultation du Dossier Allocataire par les Partenaires) sur le profil T16. Néanmoins, seuls 2 accès sur 4 ont effectivement été ouverts.
La prise de contact avec les ménages a par la suite été grandement facilitée grâce à la récupération des numéros d’appartement des ménages rendue possible par l’interfaçage du logiciel des commissaires de justice (logiciel ADHEC) avec le logiciel EXPLOC. Cette solution a vu le jour dans le cadre des CCAPEX.
Au-delà des courriers et des visites à domicile, l’équipe mobile utilise l’ensemble des modes de contact à sa disposition : téléphone lorsqu’elle dispose des numéros, SMS (une fois que les ménages ont déjà été rencontrés), mail… L’ADIL tire comme enseignement la nécessité d’utiliser l’ensemble des modes de contact à sa disposition en s’adaptant au cas par cas en fonction des ménages accompagnés.
Type d’accompagnement
Sur les 308 ménages contactés, les travailleuses sociales ont réalisé 131 diagnostics de situation. Parmi ces 131 ménages, 76 ont fait l’objet d’un accompagnement et 35 avaient une dette réglée ou en cours de régularisation (du fait du temps de traitement des CDP par la CCAPEX).
Parmi les 76 ménages accompagnés, 27 ont bénéficié d’ouvertures de droits. Néanmoins aucune demande n’a pu être faite auprès du Fonds de Solidarité Logement (FSL) compte tenu des critères de revenu du fonds.
Une bonne insertion de l’ADIL dans le tissu partenarial local qui facilite la conduite de la mission
Au départ, la Direction Départementale de l’Emploi, du Travail et des Solidarités (DDETS) était le seul pilote et financeur du dispositif. La CAF s’est par la suite mobilisée pour son financement et son pilotage. Le département, bien que non financeur, a de son côté été associé dès le départ au pilotage de l’équipe mobile.
Un large panel d’acteurs est par ailleurs associé, notamment :
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Les commissaires de justice, avec plus ou moins de facilités. Le Président de la Chambre des commissaires de justice étant membre du conseil d’administration de l’ADIL, cela permet de lever certaines des difficultés rencontrées.
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Les agences immobilières, avec lesquelles les travailleuses sociales travaillent en bonne intelligence.
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Les maisons départementales des solidarités et les centres communaux d’action sociale (CCAS). Une démarche de rencontre individuelle de ces acteurs sociaux a été opérée dès le début de la mission puis au fil de l’eau afin de bien expliquer le périmètre d’intervention de l’équipe mobile, en soulignant qu’elle n’avait pas pour objet de remplacer le droit commun.
Le positionnement de l’ADIL dans le tissu des acteurs locaux et sa bonne connaissance des partenaires pilotes financeurs du dispositif a été un élément facilitateur. Le fait que l’ADIL fasse partie d’un réseau comprenant une douzaine d’autres ADIL réalisant ce travail d’aller vers a également été un élément facilitateur pour la conduite de la mission.
Des apports positifs de la mission
L’« Aller vers », un puissant effet mobilisateur, qui vient pallier le manque d’effectifs des maisons de la solidarité départementales
L’équipe mobile a été très bien accueillie. Le fait que les travailleuses sociales se déplacent à domicile a été très apprécié par les ménages, d’autant plus que les travailleuses sociales des maisons départementales des solidarités sont en sous-effectif et n’ont donc pas toujours les moyens de se rendre au domicile des ménages.
Une équipe mobile qui permet de préparer les ménages à l’audience
La préparation des ménages à l’audience est un levier essentiel pour limiter les jugements d’expulsion. Or, aucun acteur ne prenait en charge cet accompagnement avant la mise en place de l’équipe mobile. Dans ce cadre, sur 123 dossiers accompagnés au stade de la prévention ou du CDP, 31 l’ont également été au stade de l’assignation. Ces 31 ménages ont alors pu bénéficier d’une préparation à l’audience.
Des travailleuses sociales formées au droit et des juristes sensibilisé.es à la dimension sociale de l’accompagnement
Les travailleuses sociales ont bénéficié d’une formation en interne sur la procédure d’expulsion. Elles ont pu relayer leurs questions auprès des juristes de l’ADIL et ainsi développer une compétence juridico-sociale.
De leur côté, les juristes ont été sensibilisés à la dimension sociale de l’accompagnement grâce à la mission d’ADLH conduite depuis 2020 par l’ADIL, de telle sorte qu’ils ont pu percevoir la plus-value des équipes mobiles. Néanmoins, ils et elles ne sont pour l’instant pas favorables au fait d’intervenir au domicile des ménages dans le cadre de cette mission d’« aller vers ».
Une articulation entre les dispositifs d’équipe mobile et de chargé de mission PEX qui permet d’améliorer la prévention des expulsions
En parallèle du travail de contact et d’accompagnement des ménages réalisé par l’équipe mobile, le chargé de mission PEX contribue de son côté à l’amélioration du fonctionnement des CCAPEX. Les deux dispositifs se complètent l’un l’autre dans la mesure où l’amélioration du fonctionnement des CCAPEX permet d’assurer un traitement efficace des données recueillies par l’équipe mobile. Et, à l’inverse, la récupération de données dans le cadre de l’équipe mobile permet d’alimenter les CCAPEX et de contribuer ainsi à leur bon fonctionnement. En effet, avant la mise en place de l’équipe mobile, « il ne se passait rien pour le parc privé » et seules les situations du parc social étaient traitées.
Un pôle social consolidé
L’ADIL est aujourd’hui organisée autour de trois pôles distincts : un pôle juridique, un pôle études et un pôle social. Ce dernier a été mis en place en amont de l’arrivée de l’équipe mobile et s’est largement étoffé au fil de l’eau. Le fait de recruter des travailleuses sociales en interne a bousculé les représentations et a créé de la curiosité, montrant la nécessité de constituer des binômes juriste / travailleuse sociale sur ce type d’accompagnement.
Un service d’accompagnement et de prévention des expulsions (SAPEX) développé en interne
Forte de ses missions d’« équipe mobile » et d’ADLH, l’ADIL 974, en partenariat avec l’association ESF Réunion, a créé en mars 2023 un dispositif expérimental appelé Service d’accompagnement et de prévention des expulsions (SAPEX). Ce dispositif, composé de quatre travailleuses sociales et de deux juristes, réunit le dispositif d’équipe mobile et celui d’ADLH d’ADLH en l’étoffant, notamment grâce à un co-financement élargi à Action Logement et la Fondation abbé Pierre. Il s’adresse aux ménages non accompagnés en situation d’impayé locatif et d’expulsion en vue de leur proposer un accompagnement sociojuridique en fonction de leurs besoins. Un numéro local SOS Loyer a également été adossé à ce nouveau dispositif.
L’ADIL continue de contribuer à la coanimation du réseau ADLH avec les partenaires locaux au moyen de formations (DALO, impayés) et d’ateliers thématiques.
Le champ d’action de l’ADIL a de fait évolué du fait de l’intégration en interne de travailleuses sociales. Il existe donc aujourd’hui un enjeu pour l’ADIL à communiquer sur ses activités afin d’en garantir une bonne lisibilité pour ses partenaires.
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1 : le contexte territorial présenté dans le cadre de cette fiche est tiré de deux documents de l’Insee : Bilan économique 2021 - La Réunion , rédigé par Manuela Ah-Woane, Ourida Cherchem et Aliette Cheptitski ; Cartographie de la pauvreté à La Réunion, rédigé par Ludovic Besson