Prévention des expulsions dans le Lot-et-Garonne
Aller vers les ménages en procédure d’expulsion. Une approche juridico-sociale.
janvier 2023
Agence Départementale d’information sur le logement du Lot-et-Garonne (ADIL 47)
Depuis 2017, l’Agence Départementale pour l’Information sur le Logement (ADIL) du Lot-et-Garonne mène une action d’« aller vers » les ménages menacés d’expulsion, à tous les stades de la procédure, en mobilisant un binôme composé d’une juriste et d’une travailleuse sociale. Depuis 2021, elle conduit également une mission d’Accompagnement Vers et Dans le Logement (AVDL) afin d’apporter un accompagnement social aux ménages qui en auraient besoin.
Contexte territorial du Lot-et-Garonne
Situé entre les métropoles bordelaises et toulousaines, le Lot-et-Garonne est un département majoritairement rural et l’un des moins peuplés de la région Nouvelle-Aquitaine. Territoire marqué par le vieillissement de sa population, les plus de 60 ans y représentent un tiers des habitants – 33,3% en 2019, contre 30,6 % dans la région et 26,2 % en France métropolitaine. Ce phénomène participe de la décroissance démographique dans le département qui, malgré un solde migratoire positif, a vu sa population diminuer de -0,1% entre 2013 et 2019 – alors qu’elle a évolué de 0,5 % à l’échelle régionale et de 0,4 % à l’échelle nationale.
Le Lot-et-Garonne est l’un des départements qui présente les indices de précarité les plus importants de Nouvelle-Aquitaine. Le niveau de vie des habitants est plus faible que celui de leurs voisins, la médiane du revenu disponible s’y élevant à 20 550 € en 2020 – contre 22 030 € dans la région et 22 400 € en France métropolitaine. Le département est également marqué par un taux de pauvreté important – 16,8 % en 2020 – nettement supérieur aux taux régionaux (13,3 %) et nationaux (14,5 %). L’emploi, marqué par une importance de l’industrie et de l’agriculture, diminue depuis plusieurs à l’inverse du taux de chômage, qui atteint 14 % en 2019 – alors qu’il était de 12,7 % en Nouvelle-Aquitaine la même année.
Le parc de logements se caractérise par une surreprésentation des propriétaires occupants – 64,5 % en 2019 contre 62,3 % dans la région et 57,6 % en métropole – et un taux de vacance important – 11,7 % en 2019 contre 8,5 % en Nouvelle-Aquitaine et 8,2 % en France métropolitaine. La vulnérabilité économique des habitants se traduit par des situations fréquentes de mal-logement : 1 locataire sur 6 et 12 100 propriétaires vivent dans des logements indignes ; 20 % des ménages sont en situation de précarité énergétique en 2020.
Contexte de la prévention des expulsions
En 2014, la loi pour l’accès au logement et un urbanisme rénové (ALUR) a rendu obligatoire la réalisation du « diagnostic social et financier » au stade de l’assignation dans le cadre des procédures d’expulsion pour impayés de loyer. Auparavant, « l’enquête sociale » n’était exigée qu’en tant que de besoin.
Le conseil départemental ne pouvant porter en interne l’obligation nouvelle liée à la réalisation de ces diagnostics, de premières expérimentations sont conduites par l’association Soliha 47, disposant de la compétence sociale en interne. La dimension juridique n’est pas intégrée à ces premières expérimentations.
Fin 2017, Soliha 47 met la clé sous la porte. Une antenne régionale, qui ne dispose pas de la compétence sociale en interne, prend le relais sur le territoire.
Début 2017, était par ailleurs paru le premier plan interministériel de prévention des expulsions locatives. Une circulaire, datée du 22 mars 2017, ainsi qu’un guide, étaient également publiés afin d’accompagner les acteurs dans la mise en œuvre de ce plan. Ces documents évoquent pour la première fois la nécessité de mobiliser une double compétence sociale et juridique pour réaliser les diagnostics sociaux et financiers. Ces documents font également état de l’intérêt de mettre en place des antennes de prévention des expulsions pouvant être animées notamment par les ADIL, sous l’égide des commissions de coordination de prévention des expulsions (CCAPEX).
Compte tenu de ces éléments, l’ADIL 47 est alors missionnée depuis fin 2017 pour réaliser le diagnostic social et financier dans son ensemble, en intégrant ainsi la double dimension juridique et sociale. Il s’agit de récupérer les informations juridiques, financières et sociales des ménages menacés d’expulsion et de leur proposer des solutions adaptées à leur situation afin d’éviter l’expulsion du ménage.
L’ADIL est missionnée pour récupérer ces informations au stade de l’assignation, mais également au stade du commandement de payer et à celui du commandement de quitter les lieux.
Financement
Le financement de cette mission s’inscrit dans le cadre de la convention globale signée entre l’ADIL 47 et le conseil départemental (CD). Celui-ci attribue une subvention de fonctionnement de 75 000 euros à l’ADIL, sans distinguer sa contribution à la mission socle d’information de celle liée à la récupération auprès des ménages concernés des informations juridiques, financières et sociales à tous les stades de la procédure.
La Caisse d’Allocations familiales (CAF) du Lot-et-Garonne subventionne également l’ADIL 47 à hauteur de 10 000 euros depuis 2022 pour l’accompagnement de ses allocataires, sans distinction là non plus de la mission socle et de la récupération des informations auprès des ménages menacés d’expulsion.
Public cible
L’ADIL intervient auprès des ménages soumis à une procédure d’expulsion :
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ayant reçu un commandement de payer, une assignation à comparaître, un commandement de quitter les lieux.
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logeant dans le parc privé (pour tous les actes) ou dans le parc social (uniquement pour les assignations et les commandements de quitter les lieux - les CESF des bailleurs sociaux étant mobilisées au stade des commandements de payer).
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Non accompagnés par les services sociaux du territoire (CAF et CD).
Contenu de la mission
La commission de coordination des actions de prévention des expulsions (CCAPEX) transmet à l’ADIL les actes de la procédure pour les ménages menacés d’expulsion qui ne sont pas accompagnés par les services sociaux de la CAF ou du conseil départemental.
Très peu de ménages menacés d’expulsion étant accompagnés par les services sociaux du territoire, l’ADIL 47 réalise ainsi 90 % des diagnostics sociaux sur son territoire, mobilisant en interne 1/2 équivalent temps plein (ETP) de juriste, 1ETP de Conseillère en Economie Sociale et Familiale (CESF) ainsi qu’une CESF en alternance.
En 2021, le nombre de diagnostics réalisés, tous stades confondus, est le suivant :
Tableau : nombre d’actes de la procédure d’expulsion reçus par l’ADIL 47 et nombre de ménages avec lesquels un contact a pu être établi - 2021
A réception des commandements de payer (uniquement pour le parc privé) :
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L’ADIL envoie un premier courrier au locataire et un courrier au bailleur. La « fiche bailleur » transmise par l’ADIL lui permet de récupérer des éléments contradictoires auprès du bailleur (fiche retournée dans 50 % des cas).
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Sans nouvelles du locataire, un courrier de relance est transmis au locataire 5 jours plus tard. Aucune relance n’est adressée au bailleur. Le courrier lui sera de nouveau transmis si le dossier passe au stade de l’assignation.
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Si le locataire recontacte l’ADIL, une conseillère en économie sociale et familiale (CESF) réalise le diagnostic, par téléphone, sur un lieu de permanence ou dans les locaux de l’ADIL, selon la préférence du ménage. A ce stade, il s’agit principalement de réaliser une analyse du budget et d’identifier les capacités et les souhaits de maintien du locataire dans le logement ; la CESF de l’ADIL est néanmoins en mesure de traiter également les premiers éléments d’ordre juridique s’il y en a.
A réception des assignations (parc privé et parc social) :
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L’ADIL envoie un premier courrier au locataire.
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Un courrier est également adressé au bailleur (pour une mise à jour des éléments éventuellement reçus au stade du commandement de payer ou pour récupérer des premiers éléments d’information contradictoires si la fiche bailleur n’avait pas été retournée).
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Sans nouvelles du locataire, un second courrier lui est transmis 5 jours plus tard. Celui-ci fixe un rendez-vous (sans horaire précis) pour une visite à domicile.
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Les visites à domicile sont ensuite organisées, que le locataire ait répondu ou non au courrier, et sont systématiquement réalisées par un binôme juriste / travailleuse sociale.
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Lors des visites à domicile, le binôme réalise le diagnostic social et financier et prépare les ménages à l’audience. Il s’agit d’expliquer le déroulé de l’audience aux ménages, de les rassurer et de les outiller. L’ADIL leur transmet ainsi un mode d’emploi de l’audience et une méthodologie pour les conclusions, afin de les aider à préparer leur dossier. L’ADIL n’a néanmoins pas de visibilité sur la présence ou non à l’audience des ménages qu’elle a accompagnés.
A réception des commandements de quitter les lieux (parc privé et parc social) :
Cet acte intervenant à un stade avancé de la procédure d’expulsion, l’enjeu porte principalement sur la question du relogement. Si le ménage y a droit, l’ADIL mobilise le DALO (droit au logement opposable) qui, à ce stade, est le seul dispositif pouvant bloquer l’expulsion. L’ADIL sollicite également le juge de l’exécution afin de solliciter des délais pour l’exécution de l’obligation de quitter les lieux qui a été ordonnée.
Eléments de bilan de l’action
Un travail partenarial qui permet d’améliorer l’accompagnement des ménages
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Participation aux CCAPEX
Le Lot-et-Garonne comprend une CCAPEX départementale, qui se réunit annuellement, ainsi que 4 sous CCAPEX territoriales, depuis 2011, qui se réunissent tous les deux mois et qui ont pour objet de traiter les dossiers.
Deux CESF de l’ADIL 47 participent à l’ensemble des sous-CCAPEX territoriales, ce qui leur permet de rencontrer régulièrement les référents des structures sur chaque territoire, et de développer ainsi une relation de confiance avec les différents professionnels intervenant dans le champ de la prévention des expulsions.
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Contributions à l’évolution du règlement du Fonds de Solidarité Logement (FSL)
L’ADIL 47, du fait de son intervention auprès des ménages à tous les stades de la procédure d’expulsion, dispose d’une bonne visibilité concernant leur profil et des difficultés qu’ils peuvent être amenés à rencontrer. L’ADIL ayant fait le constat que la moitié des ménages qu’elle rencontrait étaient des salariés pauvres, des travaux ont été menés avec le conseil départemental afin de faire évoluer les conditions d’accès au FSL : les montants de loyers et les conditions de ressources ont été révisés dans ce cadre, afin de permettre aux salariés pauvres de pouvoir bénéficier des subventions du FSL. Des échanges sont par ailleurs actuellement en cours afin de permettre aux ménages de bénéficier du FSL « maintien » sans condition de reprise de paiement du loyer depuis deux mois.
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Instauration d’une relation de confiance avec les travailleuses sociales du territoire
Au départ, la conduite par l’ADIL de missions disposant d’un volet social ont pu inquiéter les travailleurs sociaux du territoire, qui ont pu craindre un empiétement sur leurs missions propres.
Des réunions d’information et de présentation des missions de l’ADIL ont donc été organisées avec les structures du territoire employant des travailleuses sociales (centre médico-social, bailleurs sociaux, conseil départemental…). L’information s’est également faite au fil de l’eau ainsi que dans le cadre des sous-CCAPEX territoriales.
Aujourd’hui, la compétence sociale développée par l’ADIL a en réalité permis de développer une compétence sociale spécifiquement liée au logement, qui pouvait faire défaut sur le territoire. En effet, les travailleuses sociales de secteur sont majoritairement des assistantes sociales, dont la formation initiale est très succincte en matière de logement.
Les travailleuses sociales du territoire sollicitent aujourd’hui plus facilement l’ADIL, par le biais des CESF et donc « entre pairs », mais également en mobilisant directement les juristes. Les relations avec les travailleuses sociales du territoires sont ainsi facilitées.
Des modalités de contacts multiples qui renforcent la capacité de joindre les ménages
La diversité des modalités de contact des ménages employée permet d’en toucher un plus grand nombre et facilite la pérennisation d’un suivi dans le temps.
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Les SMS permettent :
- de rentrer en contact avec certains ménages qui n’osent pas appeler l’ADIL ;
- d’adresser aux ménages des rappels de rendez-vous ;
- aux ménages d’envoyer leurs documents ;
Au global, les SMS permettent une plus grande réactivité dans la relation avec les ménages.
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Les appels téléphoniques :
Ils sont plus efficaces que les courriers pour atteindre les ménages. Certains d’entre eux trouvent plus facile le contact par téléphone que de devoir se rendre sur un lieu de permanence ou dans les locaux de l’ADIL. Certains ménages peuvent néanmoins parfois être méfiants vis-à-vis de l’ADIL ("comment avez-vous eu mon numéro ?").
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Les visites à domicile :
Elles permettent de mobiliser certains ménages qui n’ont pu être contactés autrement. Certains font part au binôme de l’ADIL du fait qu’ils attendaient leur venue, bien qu’ils n’aient pu leur confirmer le rendez-vous par téléphone. Sur 329 assignations reçues en 2021, 115 ménages ont recontacté l’ADIL après réception du second courrier, qui fixe la visite à domicile.
Un intérêt avéré de l’aller vers
Les visites à domicile reçoivent un accueil globalement très favorable de la part des ménages qui se sentent ainsi considérés et pris en compte.
De manière plus générale, l’ensemble des moyens mis en œuvre pour contacter les ménages, à tous les stades de la procédure, permettent :
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de mobiliser des publics qui ne se seraient pas nécessairement manifestés auprès de l’ADIL ou des services sociaux. Parmi les ménages accompagnés par l’ADIL, la moitié sont en effet des travailleurs pauvres, qui n’ont souvent pas conscience du fait qu’ils peuvent bénéficier d’aides.
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aux ménages de mieux appréhender la procédure d’expulsion et de s’en saisir.
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de transmettre aux CCAPEX les données sur la situation des ménages et de faire avancer ainsi le traitement des dossiers.
Une importance primordiale du binôme juriste / travailleuse sociale
L’ADIL 47 bénéficie d’une antériorité dans la mise en œuvre de ces missions qu’elle conduit depuis 2017, alors que l’appel à manifestation d’intérêt des « équipes mobiles » porté par la direction interministérielle à l’hébergement et à l’accès au logement (Dihal) visant les mêmes objectifs d’aller vers les ménages menacés d’expulsion inconnus des services sociaux, est paru en fin d’année 2020. En conséquence, alors que sur certains territoires de déploiement des équipes mobiles, ce binôme n’apparaissait pas comme « naturel » et pouvait faire l’objet de certaines appréhensions, il apparaît au contraire comme « une évidence » pour les juristes et CESF de l’ADIL 47.
Issues de cultures professionnelles différentes, elles disposent en effet d’une approche complémentaire. Le travail en binôme permet une acculturation de chacune à la culture professionnelle de l’autre, et permet aux ménages de bénéficier d’une approche globale. L’accompagnement est également plus lisible pour les ménages puisque les deux professionnelles sont issues de la même structure.
L’approche juridique permet par ailleurs aux ménages de se sentir moins stigmatisés, ce qui facilite le travail à conduire dans leur direction. Par ailleurs, l’explicitation du jargon juridique et les informations apportées sur le déroulement de l’audience permettent de rassurer les ménages, qui sont alors plus investis car mieux informés.
Les juristes, qui pouvaient avoir des appréhensions liées au fait de devoir se rendre au domicile des ménages, ont pu être rassurées par la présence de la CESF, qui dispose du recul et de la méthodologie nécessaires en cas de confrontation à des situations sociales complexes. Le fait d’être deux lors des visites permet également de faire face plus facilement à ce type de situations sociales complexes, qui représentent 25 % des cas sur le territoire (problématiques d’addiction, de santé mentale, de violence… qui viennent s’ajouter aux problématiques financières en jeu dans le cadre de la procédure d’expulsion).
Constats et perspectives
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un binôme travailleuse sociale / juriste à sanctuariser
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un accompagnement renforcé des ménages nécessaire
Les ménages rencontrés aux différents stades de la procédure par l’ADIL ne poursuivaient pas nécessairement seuls les démarches lorsqu’ils étaient réorientés vers le droit commun.
L’ADIL a alors proposé de conduire une action d’Accompagnement Vers et Dans le Logement (AVDL), afin de proposer un accompagnement social spécifique aux ménages qui en auraient besoin. L’ADIL 47 accompagne ainsi une quarantaine de ménages par an depuis 2021. Elle dispose pour cela d’une convention spécifique avec la Direction Départementale de l’Emploi, du Travail, des Solidarités et de la Protection des Populations (DDETSPP) pour le financement de cette action. Néanmoins, les fonds proviennent du Fonds National d’Accompagnement Vers et Dans le Logement (FNAVDL), lui-même géré par la Caisse de Garantie du Logement Locatif Social (CGLLS). La subvention accordée à l’ADIL dans ce cadre s’élève à 40 000 euros.
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des partenariats à consolider avec le monde médico-social
Parmi les situations complexes que l’ADIL est amenée à accompagner, certaines comprennent des enjeux d’ordre médico-social (addictions, pathologies psychiatriques non traitées, impact sur la santé des logements indignes…). Pour accompagner au mieux les ménages confrontés à ces situations, l’ADIL commence à développer des partenariats avec le monde médico-social dans le cadre de sa mission d’AVDL. Ces partenariats devront être consolidés dans le futur.
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des protocoles de cohésion sociale (PCS) à développer en lien avec les bailleurs sociaux du territoire
Une fois le bail résilié, les bailleurs sociaux peuvent signer avec leurs locataires des protocoles de cohésion sociale, qui valent titre d’occupation et ouvrent droit au versement de l’allocation logement. Ils intègrent obligatoirement un plan d’apurement qui doit permettre de résorber la dette. Un accompagnement social peut être proposé aux ménages dans ce cadre.
L’ADIL souhaiterait travailler en partenariat avec les bailleurs sociaux du territoire afin de lever leurs réticences à développer ce type de protocole.
Références
En savoir plus
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www.dreets.gouv.fr (comprendre l’action des DDETS)
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www.cglls.fr (pour comprendre comment sont décidés et alloués les fonds des FNAVDL)