Précarité(s) alimentaire(s) et accès à une alimentation de qualité : définitions et contexte
Agir contre la précarité alimentaire en favorisant l’accès de tou·te·s à une alimentation de qualité
septembre 2020
Le Labo de l’économie sociale et solidaire (Labo ESS)
La demande d’aide alimentaire explose en même temps qu’augmente le taux de chômage et que les cantines scolaires ne remplissent plus leur office auprès des enfants de familles à faibles revenus. Bien heureusement un élan de solidarité national a traversé la France. Des groupes d’entraide se sont organisés dans les territoires entre les habitant.e·s, avec des associations, des collectivités locales, des commerçant·e·s, des producteur·rice·s de proximité. Parallèlement, jamais la demande d’alimentation de qualité n’a été aussi importante avec une croissance exponentielle des achats de produits issus du bio et/ou de circuits de proximité. Comment faire converger ces deux France ? Pourquoi la qualité seraitelle réservée aux personnes qui peuvent se le permettre, au détriment de celles qui n’en ont pas les moyens ? Comment procéder pour concilier ce qui semble impossible : accéder à une alimentation de qualité avec de faibles revenus ? Quelles réformes, quelles actions engager pour permettre l’exercice d’un véritable droit à un niveau de vie suffisant pour assurer, dans la dignité, son alimentation ? Quel type d’organisations systémiques favoriser dans les territoires pour apporter des réponses concertées, complémentaires, coopératives et efficaces entre tou·te·s les acteur·rice·s concerné·e·s ? Et comment participer ainsi à cet enjeu majeur qui nous concerne tou·te·s : changer nos habitudes alimentaires pour améliorer notre impact sur l’environnement et sur notre santé ? Cette étude souhaite contribuer à explorer certaines pistes pour éclairer ces questionnements en s’appuyant sur des rencontres de terrain, des interviews et la lecture d’une abondante littérature dont nous n’avons pas fini de faire le tour.
À télécharger : 2020.09.17_publication_precalim.pdf (9,5 Mio)
Précarité(s) alimentaire(s) : de quoi parle-t-on ?
Qu’est-ce que la précarité alimentaire ?
La notion de précarité alimentaire a émergé en France à la fin des années 1980 dans la lignée des travaux du sociologue Serge Paugam et d’une définition de la précarité proposée par le Conseil économique et social français. Bien plus que l’insécurité alimentaire, plus populaire dans d’autres pays, cette notion replace l’accès à l’alimentation au coeur d’un enjeu social, dépassant donc le prisme quantitatif et nutritionnel pour faire plus profondément le lien entre alimentation et exclusion 1. Parce que sa définition varie souvent, la précarité alimentaire reste une situation qu’il est difficile de traduire en chiffres. À titre d’exemple, 25% des interrogé·e·s dans le cadre du Baromètre de la pauvreté 2019 réalisé par IPSOS pour le Secours Populaire Français déclarent rencontrer des difficultés pour se procurer une alimentation saine permettant de faire 3 repas par jour 2. Cette étude-action en propose une définition élargie, intégrant notamment les enjeux de qualité, de durabilité et de dignité.
La précarité alimentaire, une dimension de la précarité en tant que situation globale
La précarité est une situation globale que l’on peut définir à la suite du Conseil économique social et environnemental (CESE) comme « l’absence d’une ou plusieurs des sécurités, notamment celle de l’emploi, permettant aux personnes et familles d’assumer leurs obligations professionnelles, familiales et sociales, et de jouir de leurs droits fondamentaux » 3.
Comme l’indique cette définition, elle résulte de la conjonction de plusieurs insécurités dont la précarité alimentaire n’est que l’une des facettes possibles : précarité de l’emploi, précarité énergétique, précarité liée au logement, etc.
Ces différentes dimensions de la précarité sont interreliées et ne doivent pas être considérées de façon cloisonnée. De ce constat, on tire deux enseignements précieux :
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On ne peut « résoudre » la précarité alimentaire sans s’attaquer à la précarité en tant que situation globale (et donc à ses autres dimensions).
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Inversement, la précarité alimentaire représente une porte d’entrée pertinente pour mieux comprendre la précarité de façon globale et y apporter des solutions.
De la précarité alimentaire aux précarités alimentaires : différents profils, différentes situations, différents besoins
Il est courant dans les discours de ramener cette notion à certaines visions simplifiées, voire stéréotypées. La précarité alimentaire est plutôt le résultat de la combinaison de plusieurs paramètres sociaux particuliers, par exemple : la situation familiale, la situation professionnelle, l’âge, le logement, la santé, la situation réglementaire, la situation géographique et la mobilité. À cette diversité de situations correspond une pluralité des besoins et des formes d’adaptation à la précarité alimentaire. On ne peut donc y apporter de réponse unique.
L’alimentation de qualité : dépasser les visions réductrices
Aujourd’hui, le thème de la qualité de l’alimentation est devenu un sujet de société majeur. L’importance prise par la qualité dans le rapport des Français·es à l’alimentation s’explique par la conjonction de plusieurs variables :
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Une inquiétude croissante concernant les effets sanitaires de l’alimentation, notamment à cause du développement des produits ultra-transformés ou l’omniprésence de perturbateurs endocriniens et de sucre dans les produits.
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Une réalisation des effets néfastes de l’évolution des comportements alimentaires liés aux modes de vie modernes (alimentation « sur le pouce », à réchauffer, fast-foods, plateaux-télés, etc.) qui encouragent la consommation de produits de mauvaise qualité et contribuent à fragiliser l’importance de la commensalité (le « manger ensemble ») dans l’alimentation.
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Un intérêt de plus en plus grand pour les conséquences environnementales de l’alimentation.
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Une prise en compte progressive des impacts sociaux de l’alimentation, tant par les inégalités d’accès à une alimentation de qualité que par les conditions de vie et de travail des personnes impliquées dans l’ensemble de la chaîne de l’alimentation.
Au centre de ces préoccupations, l’industrialisation de l’alimentation est particulièrement mise en question. La chaîne de l’alimentation est de plus en plus complexe et opaque pour les consommateur·rice·s qui ont de moins en moins de contrôle sur ce qu’ils ou elles mangent 4. Mais si la notion d’alimentation de qualité est aujourd’hui omniprésente et aussi fédératrice, sa définition n’en demeure pas moins floue. Elle se trouve souvent associée à de multiples concepts : « bio », « zéro-phyto », « de proximité », « sans sucres », « sans matières grasses », etc. Il est donc difficile de poser a priori une définition de l’alimentation de qualité, valable pour tou·te·s et dans tous les contextes. On peut cependant en identifier les principales composantes et proposer alors une définition exigeante servant de point de repère et d’idéal à atteindre : Alimentation de qualité : alimentation saine pour le corps et pour l’environnement, gustative, composée de produits dont on connaît l’origine, vendue à un prix équitable et juste pour les agriculteur·rice·s, dans le respect des conditions de travail, accessible pour les consommateur·rice·s et porteuse de lien social.
L’accès à une alimentation de qualité : le porte-monnaie mais pas que
La notion d’accès à l’alimentation peut être appréhendée à travers quatre dimensions :
Accessibilité économique
Elle résulte à la fois du prix proposé et du pouvoir d’achat des personnes (revenus, aides, etc.). Elle constitue le premier facteur des inégalités d’accès à une alimentation de qualité.
Accessibilité pratique
Elle concerne à la fois la condition physique des personnes (âge, handicap par exemple), leur milieu de vie et leur mobilité, leur accès au matériel adéquat (accès à une cuisine, aux outils) et leur temps disponible.
Accessibilité sociale et culturelle
Elle renvoie à l’alimentation comme pratique sociale et culturelle liée à l’identité de l’individu et à son rapport aux autres. Elle désigne donc la capacité d’avoir accès à une alimentation en accord avec ses valeurs, traditions et pratiques.
Accessibilité citoyenne
Elle renvoie à la nécessité d’avoir accès à une bonne connaissance du système alimentaire, à la capacité de s’organiser collectivement et participer à toute initiative citoyenne liée à l’alimentation (engagement associatif et/ou politique, consommation responsable, transferts de savoirs liés à l’alimentation, etc.).
Il apparaît que les personnes en situation de précarité alimentaire sont justement celles qui cumulent des freins dans plusieurs voire la totalité de ces dimensions, par exemple et de façon non-exhaustive :
Accessibilité économique
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Contraintes budgétaires
Accessibilité pratique
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Déficit d’offre de qualité selon le lieu d’habitation (QPV, ruralité…)
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Déficit de lieu et d’équipement pour cuisiner (résidence à l’hôtel, hébergement d’urgence…)
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Impossibilité d’inscrire les enfants à la restauration scolaire Manque de temps par accumulation de contraintes
Accessibilité sociale et culturelle
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Stigmatisation et culpabilisation face aux injonctions du « mieux manger »
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Repas et denrées disponibles incompatibles avec la culture et les croyances
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Auto-exclusion (« Le bio ce n’est pas pour moi »)
Accessibilité citoyenne
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Exclusion de la participation citoyenne jugée comme une contrainte supplémentaire, secondaire par rapport à la situation de survie des personnes
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1 PATUREL, D. (2018). Insécurité alimentaire et/ou précarité alimentaire, démocratie alimentaire… de quoi parle-t-on ? Dans « La lutte contre la précarité alimentaire ». Journal RESOLIS #1
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2 Secours Populaire Français & IPSOS. (2019). Résultats du 13e Baromètre de la pauvreté. Edition 2019. URL : www.secourspopulaire.fr/ipsos-barometre-sondage-enfants-pauvrete-precarite
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3 CESE. (1987). Grande pauvreté et précarité économique et sociale. Rapport présenté au nom du Conseil économique et social par M. Joseph Wresinski.
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4 Fondation Daniel et Nina Carasso & IPSOS. (2016). « Alimentation durable : les Français de plus en plus attentifs à ce qu’ils mangent ».
www.ipsos.com/fr-fr/alimentation-durable-les-francais-de-plus-en-plus-attentifs-ce-quils-mangent