On ne peut pas continuer à agir contre le réchauffement climatique par une planification écologique concoctée dans le secret
https://www.lemonde.fr/idees/articl... La révolte qui monte de l’extrême droite contre la multiplication des contraintes au nom de l’écologie est à prendre au sérieux, soulignent les membres de l’Alliance du compte carbone, Pierre Calame, Valérie Cohen et Armel Prieur, qui appellent à un véritable débat démocratique mettant objectifs et alternatives sur la table.
La passionnante étude publiée par la Fondation Jean Jaurès sur les attitudes de la population à l’égard du réchauffement climatiquemontre que si seule une petite minorité de la population adhère à la thèse complotiste faisant du réchauffement climatique une fable visant à asservir la société, une majorité considère qu’il résulte du comportement des plus richesmais que c’est aux plus pauvres que l’on demande de faire des efforts.
Ce point de vue, hélas, ne manque pas de fondement : pas de limite aux voyages en avion mais les centres-villes bientôt interdits aux vieux diesels ; des économistes qui ne voient d’issue que dans la taxation de l’énergie, qui frappe les plus pauvres. Le discours simpliste d’ONG attribuant aux plus riches l’essentiel des émissions et semblant dispenser le reste de la société d’envisager des changements de mode de vie apporte de l’eau à ce moulin.
Mais un autre facteur, exploité par l’extrême droite en France comme dans le reste de l’Union européenne, va peser lourd dans la balance : l’action privilégiée par les gouvernants consiste à multiplier les « obligations de moyens », en clair les contraintes, dans l’espoir que leur addition permettra de nous conformer à nos engagements internationaux de réduction des émissions de gaz à effet de serre.
Une élite administrative et politique
Ce tropisme pour les contraintes, cette « addiction aux normes » dénoncée dans ses vœux de début d’année par Gérard Larcher, président du Sénat, ne vient pas du désir « d’emmerder les Français » comme disait Georges Pompidou, mais du mode de raisonnement lui-même : le rapport de la convention citoyenne pour le climat, élaboré par un panel de citoyens reflétant la diversité de la société, contient plusieurs centaines de fois les mots « obligations » et « interdictions ».
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Le caractère illégitime de ces contraintes se trouve aggravé en France par la centralisation : vu de la « France d’en bas », une élite administrative et politique, issue d’un système scolaire qui délivre des savoirs universels au détriment de l’apprentissage des coopérations et de la créativité, multiplie les normes sans s’interroger sur leur application à des contextes territoriaux très divers ni imaginer que les acteurs eux-mêmes sont capables de trouver ensemble, localement, de meilleures manières d’atteindre le but d’intérêt général que prétend viser la norme.
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Dernier exemple en date, la loi ZAN, zéro artificialisation nette [adoptée en juillet par le Parlement], qui part d’un vrai problème mais aboutit à classer en sol artificialisé les petits jardins du pavillonnaire, souvent seules oasis de biodiversité, et en sol naturel des terres agricoles devenues des déserts biologiques incapables de réduire le ruissellement des eaux lessivant pluie après pluie engrais et pesticides. Comment un pouvoir serait-il légitime aux yeux des « petites gens » avec de tels contresens ?
Obligations et interdictions
La révolte qui monte de l’extrême droite française et européenne contre la multiplication des obligations et interdictions au nom du bien public est à prendre au sérieux. On ne peut continuer à agir contre le réchauffement climatique en multipliant les lois sectorielles ou par une planification écologique concoctée dans le secret. Ce dont nous avons besoin d’urgence, c’est d’organiser enfin un véritable débat démocratique mettant objectifs et alternatives sur la table sur un sujet qui engage l’avenir de toute la société.
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Cette révolte nous rappelle surtout que légalité et légitimité du pouvoir ne sont pas réductibles l’une à l’autre. Un pouvoir, pour être légitime, doit satisfaire à quatre critères :
- les contraintes imposées à la société doivent procéder très explicitement de la recherche du bien public et être efficaces ;
- elles doivent être justes ;
- elles doivent impliquer tous les acteurs ;
- et elles doivent satisfaire au principe de « moindre contrainte », ce qui n’est évidemment pas le cas de l’addiction normative.
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Critères traduits concrètement par les conclusions des Assises du climaten 2021 : une obligation annuelle de résultat, soit la réduction de 6 % par an de notre empreinte écologique (principe d’efficacité) ; la justice sociale, soit la répartition égale entre tous des quotas carbone ; la mobilisation de tous les acteurs, entreprises et services publics compris, mis par les citoyens sous pression pour réduire leur empreinte ; la possibilité laissée à chacun de gérer au mieux son quota (principe de moindre contrainte).
Pierre Calame est président de CITEGO (Cités, territoires, gouvernance), association de valorisation des territoires et de leur gouvernance. Il est l’auteur de Métamorphoses de la responsabilité et contrat social (ECLM, 2020) et du Petit traité de gouvernance (ECLM, 2023) ; Valérie Cohen est coordinatrice de l’Alliance du compte carbone ; Armel Prieur est président de l’association pour l’emploi sans carbone Escape Jobs et coanimateur de l’Alliance du compte carbone.