Retours sur le programme Twize en Mauritanie
Nouakchott et Nouadhibou, MAURITANIE
Aurore MANSION, Christophe HENNART, Virginie RACHMUHL, 2014
Centre Sud - Situations Urbaines de Développement
Cette fiche présente un retour d’expérience sur les projets de réhabilitation des quartiers précaires en Mauritanie.
Agir par projet pour fabriquer la ville ? Retours sur l’expérience du programme Twize
Le programme Twize d’amélioration de l’habitat a été mis en œuvre par le Gret, ONG française de solidarité internationale et de développement dans deux principales villes de Mauritanie.
Puisant dans l’expérience de projets antérieurs menés par le GRET au Brésil (Fortaleza) et au Cameroun (Fourmi), le programme visait à tester une approche urbaine intégrée en travaillant sur quatre entrées :
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l’accès à un habitat peu cher et proche des pratiques existantes parmi les populations maures,
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la mise en place d’un dispositif de financement habitat combinant apport initial des familles, crédit et subvention ainsi que l’offre, en parallèle, de crédits pour des activités économiques,
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la formation professionnelle
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le développement d’équipements et d’infrastructures communautaires dans les quartiers d’intervention.
Lancé comme un projet pilote en 1998 sous la tutelle du Commissariat aux Droits de l’Homme, à la Lutte Contre la Pauvreté et à l’Insertion (CDHLCPI), agence de mission transversale dépendant du Premier ministre mauritanien, il a connu un changement d’échelle important à partir de son intégration au Programme de Développement Urbain (PDU), en 2002, programme cofinancé par la Banque Mondiale et l’État Mauritanien.
Clos en 2008, le programme aura duré 10 ans pour un budget total de 13 millions d’euros. Il a constitué un volet d’une politique d’éradication des quartiers informels et de « modernisation » des villes mauritaniennes. Il ciblait des primo-accédants propriétaires disposant d’un titre foncier, habitants de quartiers lotis sous équipés.
Le montage financier combinait une subvention à 60 % de l’État, 10 % d’apport direct des habitants, et 30 % par un système de crédit solidaire engageant des groupes de 5 à 10 familles. Le crédit individuel a également été expérimenté. Une institution de microfinance « Beït El Mal » a été créée. Fin 2008, elle comptait 19 000 clients actifs dont plus de 70 % de femmes et 1,3 million d’euros d’encours de crédit.
Le programme visait à une double efficacité : assurer un rythme soutenu de construction en réponse aux objectifs quantitatifs définis par le PDU (construction de 250-300 « modules » par mois dans la dernière période) et un bon rapport qualité/prix des produits logements proposés tout en sécurisant le circuit financier.
Le projet a permis de construire 5 900 modules, bénéficiant à 30 - 35 000 personnes, d’un coût de 2 000 à 2 500 euros, qui se transforment progressivement par la réappropriation des habitants.
Le programme a également formé 1 200 professionnels (dans les secteurs du BTP principalement mais également d’autres activités artisanales telles que la teinture, la fabrication de couscous, la coiffure etc.) et réalisé 95 projets communautaires (en matière de gestion des déchets, santé, éducation, environnement, petite enfance, etc.). Ces activités ont généré la mise en place d’un centre d’appui à l’insertion professionnelle des jeunes et un programme de recyclage des plastiques par des coopératives féminines.
Les innovations les plus porteuses ont concerné les mécanismes et outils en matière de financement et de production de logements accessibles aux familles pauvres en Mauritanie. Le taux de satisfaction des habitants vis-à-vis du produit proposé est important. Une certaine forme de réappropriation et d’institutionnalisation par l’État mauritanien sur ces aspects est en cours, avec une possibilité limitée pour le GRET de contribuer aux choix institutionnels et organisationnels.
Avancées et limites d’une opération pilote de restructuration de quartier précaire
La volonté de renouveler les pratiques
En Mauritanie, le Programme de Développement Urbain (PDU), doté d’un budget de 100 millions de dollars sur dix ans, lancé en 2001, co-financé par la Banque Mondiale et l’État mauritanien, avait l’ambition de renouveler les méthodes et pratiques de restructuration de quartiers précaires dans les deux principales villes du pays : Nouakchott et Nouadhibou. Ses objectifs alliaient la dynamisation économique de la ville, l’amélioration des conditions de vie et d’habitat dans les quartiers précaires et le renforcement des cadres juridiques et institutionnels de l’urbain et du foncier.
La stratégie arrêtée combinait la volonté du gouvernement mauritanien « de moderniser la ville » et « d’en finir » avec les quartiers précaires en se basant sur les directives opérationnelles de la Banque Mondiale en matière de « réinstallations involontaires de personnes », fondées sur la minimisation des déplacements, l’indemnisation des personnes déplacées quel que soit leur statut d’occupation.
Le GRET, ONG de solidarité internationale et de développement, a accompagné de 2004-2006 la Cellule de Réinstallation de l’Agence de Développement Urbain (ADU) de Nouakchott, responsable de la mise en œuvre des opérations à Nouakchott.
La kebbé d’El Mina a été le premier quartier choisi pour expérimenter ces nouveaux principes d’action. Quartier le plus peuplé de Nouakchott – 51 000 habitants et 14 300 ménages –, proche du centre et dernière kebbé de la ville, il abritait les populations les plus pauvres et était réputé être dans l’opposition politique.
L’opération prévoyait la réorganisation complète du quartier, avec l’ouverture et l’aménagement de rues, l’installation de services d’eau et d’électricité et d’équipements publics sociaux et marchands, ainsi que la régularisation foncière des habitants. Une indemnisation forfaitaire de 200 euros (équivalent à un peu moins de quatre fois le « SMIC » local) a été versée à tous les ayants droits déplacés. Pour empêcher la spéculation et sécuriser les droits, les attributaires ont reçu un badge, en principe incessible pendant trois ans, ouvrant droit ensuite à l’obtention d’un permis d’occuper. L’opération s’est déroulée en deux phases, entre 2001 et 2008. La première, dite « de viabilisation », consista en l’ouverture des voies principales et le dégagement des emprises pour les futurs équipements publics. La seconde, dite « de remembrement », réorganisa l’espace au sein des« carrés » dessinés lors de la phase précédente à partir d’un plan de lotissement orthogonal. Au total, environ 7000 ménages ont été déplacés, 2000 lors de la phase de viabilisation dans un quartier limitrophe et 5000 dans des zones de relogement aujourd’hui encore en cours d’équipement à deux kilomètres du site initial. Le nombre de parcelles attribuées a doublé par rapport aux estimations initiales.
Un bilan mitigé
La non-maîtrise des déplacements de population peut se comprendre comme le produit d’un ensemble d’arbitrages, dont des stratégies de maximisation des avantages par les habitants, l’option d’un « remembrement-refonte » plutôt qu’un « remembrement-réajustement », une complaisance de l’État mauritanien dans la gestion des attributions pour maintenir la paix sociale, la volonté de satisfaire sa clientèle, le respect formel des conditions et préconisations de la Banque Mondiale, les gains électoraux et financiers anticipés par les élus communaux, par ailleurs faiblement impliqués.
L’expérience a partiellement rempli ses promesses. Elle s’est déroulée dans une relative quiétude sociale et a bénéficié largement – ce qui représente un vrai succès pour les acteurs mauritaniens – aux habitants d’origine, de condition pauvre ou modeste. Très rapidement, on a pu observer une dynamique de mise en valeur des parcelles attribuées, sous forme d’habitat « en dur », de latrines individuelles ou de clôtures avec, pour certaines, l’appui d’un programme d’amélioration de l’habitat populaire dénommé Twize et de développement économique. L’obtention gratuite d’une parcelle n’a pas généré seulement un bénéfice matériel, mais aussi un résultat symbolique, les autorisant enfin à se sentir citoyens de plein droit.
Néanmoins, les limites de cette opération – et en particulier celles découlant du nombre élevé de déplacements – sont importantes. Les inégalités socio-urbaines ont été renforcées par la hausse des prix foncier et immobilier dans le quartier d’origine, le sous-équipement et la moindre valorisation des zones de réinstallation. L’opération a contribué à l’étalement urbain sans prendre en compte le coût et les dispositifs possibles d’approvisionnement des nouveaux quartiers en infrastructures. La future gestion de ces quartiers par les communes concernées n’a pas été anticipée. En matière de sécurisation foncière, le passage du badge au permis d’occuper ne s’est pas fait comme prévu, ce qui fragilise les personnes les plus vulnérables.
Enfin, aucun système de recouvrement des coûts et de la plus-value foncière n’a été mis en place. La participation de la communauté internationale limite dans l’immédiat l’impact pour le gouvernement mauritanien. Qu’en sera-t-il lorsque le coût de ces opérations devra être supporté par l’État, alors qu’il est prévu de traiter de façon similaire les autres quartiers précaires ?
Références
Actes des journées A-SUD : Habitats précaires, vulnérabilités et politiques publiques, ENSAPLV, 23 juin 2010, « La production d’habitat social comme alternative - Agir par projet pour fabriquer la ville ? Retours sur l’expérience du programme Twize en Mauritanie ». Virginie Rachmuhl, Christophe Hennart et Armelle Choplin.
S. ALLOU, A. CHOPLIN, C. HENNARD, C. RACHMUHL, L’habitat, un levier de réduction de la pauvreté. Analyse du programme Twize en Mauritanie. GRET, Études et travaux, numéro 32, 2012.
« Devenir des quartiers précaires, devenir de la ville : un destin lié ? L’exemple de Nouakchott, Mauritanie » in Voyage en Afrique Urbaine, dir. Pierre Gras, l’Harmattan, Paris, 2009.