La ville du Sud en temps réel, de l’utilité de la photographie aérienne sous cerf-volant dans les études urbaines
Nouakchott, MAURITANIE
Armelle Choplin, 2014
Centre Sud - Situations Urbaines de Développement
Cette fiche présente l’intérêt de la photographie aérienne sous cerf-volant pour les études urbaines, et en particulier pour les villes du Sud qui connaissent une croissance rapide. Cette technique est testée à Nouakchott (Mauritanie) pour compenser l’absence de données cartographiques actualisées.
Comment saisir les villes du « Sud » dont la réalité change d’heure en heure ? Comment rendre compte de l’avancée quasi quotidienne des fronts urbains alors même que les cartes réalisées localement sont souvent de mauvaise qualité et guère actualisées, faute de moyens ? La photographie aérienne sous cerf-volant offre un outil susceptible d’apporter quelques réponses à ces questions puisqu’elle permet une couverture en « temps réel ».
Dans le cadre d’une étude d’impact réalisée pour l’ONG GRET, nous avons utilisé cet outil flexible et peu onéreux. L’étude devait évaluer les transformations urbaines induites par le programme Twize en Mauritanie. Ce programme devait faciliter l’accès à l’habitat en dur pour les populations des bidonvilles de Nouakchott. Des modules de 20 m2 ont été construits et financés par micro-crédits.
Voir la ville d’EN HAUT ! Pour comprendre les dynamiques d’en bas. La rencontre avec le collectif « En Haut ! » qui expérimente la photographie aérienne sous cerf-volant en Mauritanie a permis de rendre compte des transformations urbaines.
Méthode retenue :
-
Survol du quartier (jusqu’à 200 m) et prises de vue là où est intervenu le programme
-
Sélection des photos et travail cartographique
-
Vérification in situ du statut de l’occupant (propriétaire, bénéficiaire du programme)
-
Calcul des transformations urbaines.
Exemple de transformation urbaine: le cas du quartier de Dar El-Beïda
Située à l’extrême sud de la capitale, ce quartier n’a été aménagé que récemment. Des habitants, qui vivaient initialement dans un bidonville au centre-ville, y ont été recasés en 2006. La construction et la densification se sont donc faites dans un laps de temps relativement court (2006-2008).
Après vérification et calcul, les photos permettent de dire que, en deux ans :
-
les constructions ont été multipliées par 5,
-
le nombre de parcelles construites a été multiplié par 8 et le nombre de modules par 6,
-
58 % des parcelles ont bénéficié du programme.
Les images montrent également qu’à la suite de la construction d’un premier module, les individus ont en effet tendance à poursuivre la construction (ajout de chambres, latrines, cuisine…). Pour certains bénéficiaires, le programme Twize a constitué un point de départ vers de meilleures conditions de vie.
Urbanisation, habitat précaire et spéculation
Nouakchott a été créée ex-nihilo en 1957 pour devenir la capitale de la République Islamique de Mauritanie. Hier simple bourg d’un millier d’habitants ceinturé de dunes, elle compte aujourd’hui près d’un million de personnes. Si Nouakchott n’est guère attractive dans les premiers temps, elle connaît une croissance extraordinaire depuis les années 1970. Suite à une période de grande sécheresse, les ruraux sans ressource affluent vers ce pôle urbain. Tous les plans d’urbanisme sont mis à mal alors que les anciens nomades dressent leurs tentes au cœur du tissu urbain. Progressivement, des bidonvilles (appelés localement kebbe) se constituent.
Dès 1974, devant l’afflux massif de populations, les autorités prennent l’initiative de distribuer gratuitement des lots de recasement. Cela entraîne un processus de spéculation et d’occupation illégale (appelé gazra). Ce phénomène s’observe dans tous les quartiers et est pratiqué indifféremment par toutes les couches de la population qui espèrent obtenir des parcelles. Depuis lors, le front d’urbanisation ne cesse d’avancer. L’État n’est pas un simple spectateur de la gazra mais initie cette pratique en distribuant régulièrement des terrains. Cela lui permet de s’attacher une clientèle et fournit d’importantes rentrées d’argent.
Dans le quartier de Dar El-Beïda, les squatteurs ont installé des baraques dans la zone sud, dans l’attente d’une distribution prochaine de terrains.
Références
Armelle CHOPLIN (Géographe, MCF Université Paris-Est) Collectif « En Haut ! », Photographie aérienne par cerf-volant, Bosselut B., Broquère M., Choplin A., Nancy S., 2009, « La ville du Sud en temps réel », EchoGéo, n°9
Choplin A., 2009, “Nouakchott au carrefour de la Mauritanie et du monde”, Paris, Karthala, 367 p.