Les coopératives d’habitat en Italie
Des coopératives historiques à l’auto-récupération
Madalena GUERRA, 2008
Cette fiche présente les coopératives italiennes, qui, depuis le XIXe siècle, luttent pour le droit au logement. Depuis les premières coopératives ouvrières jusqu’aux coopératives d’auto-récupération puis d’auto-réhabilitation de logements, cette fiche propose une réflexion sur les dispositifs innovants qui permettent de résoudre la crise du logement.
L’état du logement en Italie
Malgré des statistiques officielles qui recensent un nombre de logements supérieur au nombre de familles italiennes (28,3 millions de logements pour 22,8 millions de familles en 1995), les catégories sociales les plus fragiles ont les plus grandes difficultés pour se loger (familles avec des revenus peu élevés, familles monoparentales, immigrés, personnes âgées, handicapés…). On rencontre cette situation de précarité résidentielle majoritairement dans les grandes zones métropolitaines.
En Italie : plus de 80 % des familles sont propriétaires et les personnes vivant en location font partie des catégories sociales les plus en difficulté.
Des données récentes montrent que 75 % des familles en location ont moins de 20 000 € par an et déboursent plus de 50 % de leurs revenus pour leur logement, surtout dans les zones urbaines.
Ces ménages en difficulté vivent dans le parc résidentiel privé puisque peu d’entre elles ont accès au logement social. Ce dernier représente en effet seulement 6 % du total du parc résidentiel et ce taux est en baisse puisque l’Etat italien vend actuellement son patrimoine locatif.
Ces quelques chiffres permettent de comprendre la mise en place de circuits parallèles au logement social existant. Les coopératives d’habitat en Italie constituent une alternative au désengagement de l’Etat et réunissent de plus en plus de personnes en situation de précarité autour de la lutte pour le droit au logement.
Des réseaux d’habitat coopératif variés
On trouve en Italie de nombreuses coopératives d’habitation, dont la vocation « sociale » est de garantir à tous ceux qui vivent sur le sol italien, locaux ou immigrés, l’accès à un logement décent et bon marché.
Les coopératives sont des associations autonomes d’individus qui s’unissent volontairement pour satisfaire leurs propres besoins économiques, sociaux et culturels. Ils constituent ensemble une société de propriété commune qui est contrôlée démocratiquement par tous les adhérents.
Les coopératives d’habitat sont à but non lucratif et doivent permettre à leurs membres de construire un logement dont le rapport qualité/prix est similaire ou inférieur à celui du logement social.
Les premières coopératives italiennes datent du début du XIXe siècle, à l’époque où des maçons auto-construisaient des maisons ouvrières dans les quartiers « verts » de Milan. Leur association sous forme de propriété commune et indivisible a permis de renforcer leur importance et leur crédibilité et de construire un patrimoine de milliers de logements appartenant à tous les membres de la coopérative. Cette tradition ouvrière est aujourd’hui incarnée par la Lega Nazionale cooperative e mutue, important réseau de coopératives d’influence « rouge » - communiste - en Italie.
Un deuxième réseau coopératif d’influence chrétienne, la Confederazione cooperative italiane, fonctionne un peu différemment : la mise en place du projet est commune, mais les logements sont ensuite vendus à chacun des membres au moment de l’occupation. Les coopératives ne possèdent dès lors aucun patrimoine immobilier en propre. L’ensemble des habitations devient une copropriété et peut n’avoir eu le statut de coopérative que lors de sa construction.
Un nouveau défi pour les coopératives d’habitat : l’auto-récupération (autorecupero)
Face à l’évolution de la demande en logements sociaux en Italie et au désengagement concomitant de l’Etat en la matière, certaines coopératives sont nées dans un créneau intermédiaire, celui de la réhabilitation et de la gestion d’appartements du patrimoine public. C’est ce qu’on appelle l’auto-récupération et qui est aujourd’hui soutenu en partie par des programmes des pouvoirs publics.
Ces coopératives récupèrent des locaux inoccupés (écoles, hôpitaux, casernes militaires) et en état d’abandon à travers des accords légaux de location avec les mairies, les régions ou même des particuliers. Les bâtiments sont identifiés comme vacants par des groupes de lutte pour le droit au logement ou par des familles réunies en associations. Avant même d’entrer dans le processus officiel d’auto-récupération, ces groupes occupent souvent les bâtiments de manière illégale. Lorsque les pouvoirs publics finissent par accepter de céder les espaces qui leur appartiennent, ils lancent un appel d’offre aux coopératives pour qu’elles proposent des projets d’aménagement à bas prix. La coopérative retenue doit réaliser les travaux de réhabilitation du bâtiment et bénéficie pour cela de prêts à taux réduit et de facilités de remboursement.
Pour avoir accès aux moyens mis à disposition par les pouvoirs publics dans le cadre des programmes de soutien à l’auto-récupération, les coopératives doivent être formées de membres dont les revenus sont équivalents ou inférieurs à ceux des bénéficiaires du logement social. Les travaux de réhabilitation sont effectués par les futurs habitants. Les parts de l’emprunt contracté pour financer l’aménagement sont remboursées mensuellement par les membres de la coopérative et sont équivalentes à un loyer très modéré.
Selon les coopératives, les conditions d’accès aux logements qui se libèrent dans les bâtiments réhabilités diffèrent. Si la propriété des bâtiments aménagés reste publique, les attributions des logements qui se libèrent sont régulièrement contrôlées afin qu’elles bénéficient à des familles qui sont en liste d’attente pour obtenir un logement social. Dans d’autres cas, l’attribution des logements est gérée par les responsables des coopératives et les critères peuvent être variables (ancienneté d’inscription, critères financiers, urgence des situations, etc.).
La loi de 1998 dans la région Lazio a été pionnière dans la légalisation sur l’auto-recupero en permettant la réhabilitation de 11 bâtiments publics. Depuis, plusieurs projets de lois ont été envisagés : une loi à l’échelle nationale pourrait devenir un outil efficace d’une politique du logement en direction des personnes en réelle difficulté.
L’intérêt pour les pouvoirs publics de développer un tel soutien à l’auto-recupero est très clair. Ce mécanisme leur permet de réduire leur effort en matière de logement puisque les coûts de l’auto-récupération sont bien inférieurs à la construction de bâtiments neufs. Cette solution répond dans des délais réduits à l’urgence du mal-logement, à la fois de manière quantitative et qualitative, puisque certaines coopératives font preuve d’imagination et s’appliquent désormais à utiliser des méthodes de « bio edilizia » (bio-construction) dans leurs projets de réhabilitation. Du point de vue plus global de la ville, ces réhabilitations permettent de résoudre en partie le problème de la dégradation urbaine que connaissent certains quartiers.
Pourtant le processus qui mène à l’auto-récupération d’un bâtiment public ne va pas toujours sans heurts. Des rapports de force s’instaurent entre habitants et pouvoirs publics, soit parce que l’occupation du lieu est illégale, soit parce que la municipalité veut intervenir de manière autoritaire dans l’attribution des logements à l’issue de leur réhabilitation. Dans le cas d’occupations illégales, les habitants sont régulièrement menacés d’expulsion par les forces de l’ordre. Les motifs invoqués sont souvent la sécurité ou l’insalubrité alors que peu de fonds sont attribués pour pallier ces situations. Les occupants de plusieurs bâtiments à Rome ou à Milan ont littéralement vécu des états de siège plusieurs semaines ou plusieurs mois durant.
La coopérative Vivere 2000 à Trastevere, Rome
En plein cœur de Rome, un immeuble a été occupé en 1989 par un groupe de personnes, soutenu par l’association Unione Inquilini.
Après avoir étudié la situation de cet immeuble vide depuis de longs mois dans le quartier de Trastevere, un groupe composé de familles et de célibataires rencontrant des problèmes de logement décide d’occuper cet espace laissé à l’abandon par la municipalité. Nombreux et tenaces, ils parviennent à ne pas se faire expulser par la mairie et commencent immédiatement les travaux de restructuration de l’immeuble. Les familles dont la situation est la plus précaire sont aidées par les autres et, 4 ou 5 mois plus tard, elles sont installées presque convenablement. Chaque appartement sera construit à son rythme, selon les possibilités et les besoins de chacun.
Ce projet d’auto-récupération intéresse la commune de Rome qui essaye même de reprendre à son compte cette idée. L’immeuble acquiert donc le statut de coopérative d’auto-recupero et les transactions pour établir un contrat officiel avec la mairie sont toujours en cours alors que les occupants ont construit eux-mêmes leurs appartements.
Aujourd’hui, chaque appartement a sa personnalité et tous les habitants attendent un contrat avec la mairie afin de commencer à lui payer un loyer. Une fois les travaux terminés et les prêts remboursés, les loyers doivent revenir à un système public de logement social. Ainsi, la mairie a déjà pris possession d’un espace au rez-de-chaussée où ont lieu des activités culturelles et militantes.
Des travaux de réhabilitation des espaces communs et extérieurs ont été menés par la mairie à partir de 2005, suivant un projet approuvé par tous les habitants. La pose de panneaux solaires et l’utilisation de matériaux spéciaux était prévue et devait être encadré par un «bio»-architecte.
Pour tous ses habitants, cet immeuble appartient à la mairie et ils souhaitent que, le jour où ils partiront, les appartements reviennent à la propriété publique. Cela prouve que ces actions d’occupation sont marquées par des motivations politiques, même si elles correspondent au départ à un besoin individuel.
Ainsi, à la mort de l’un des habitants, l’un de ses petits fils a voulu récupérer son appartement. Il s’est vu répondre fermement : « la lutte ne s’hérite pas aussi facilement ».
Références
Un tetto per tutti : Autocostruzione associata: una risposta al disagio abitativo
Le site des coopératives d’habitants : www.fundicot.org
Le site de la mairie de Rome
Le site de l’Alliance internationale des habitants, article sur Vivere 2000(en français)
Cette fiche a été initialement publiée dans le n°1 de la Collection Passerelle. Vous pouvez retrouver le PDF du numéro Europe : pas sans toit ! Le logement en question