Des métropoles aux mégapoles : l’exemple chinois
Michel Lussault, 2013
Cet article expose le lien entre les processus de métropolisation et de mégapolisation en Chine, le développement urbain y étant alors aussi bien quantitatif que qualitatif et concerne de manière préférentielle la bande littorale.
L’urbanisation Chinoise laisse pantois, avec des taux de croissance de la population urbaine de plus de 3 % par an durant près de 20 ans, et même de plus de 5 % pour les plus grandes agglomérations. Elle tend à faire émerger, à la fois, de grosses métropoles isolées, notamment dans les périmètres les plus orientaux, mais aussi et surtout des (méga)régions urbaines, très puissantes fonctionnellement, dont le rôle est majeur — les 5 plus gros ensembles urbanisés du pays concentrent plus de 20 % du PIB national. En Chine la mégapolisation l’emporte sur la métropolisation (concept qui convient peut-être surtout aux pays européens et à l’Amérique du Nord, pour lesquels il a été forgé), au sens où la première porterait la seconde, à un niveau de taille et de complexité des ensembles mis en place bien supérieur.
Ainsi le delta de la Rivière des perles, qui regroupe notamment Guangzhou (3e agglomération Chinoise, capitale culturelle historique du Sud), Shenzhen, Dongguan, Foshan, Zhongshan, Zhuhai, Jiangmen, ainsi que Hong Kong et Macao, regroupe au moins 50 millions d’habitants, répartis entre ces pôles urbains qui, pour certains, comme Shenzhen (qui passa, entre 1990 et 2000, de 1 à 7 millions d’habitants et connut 16 % de progression annuelle de l’activité économique) ont été parmi les premiers à bénéficier de la politique des zones économiques spéciales (ZES).
Cet ensemble composite, aux entités qui restent spécifiques, fait sens au plan des fonctionnements urbains ; il bénéficie d’une économie effervescente, d’une attractivité démographique qui ne l’est pas moins. Depuis la rétrocession de Hong Kong, le gouvernement Chinois mise beaucoup sur ce gigantesque assemblage qui bénéficie depuis 2009 d’un plan de développement en tant que région urbaine. Ce delta, avec Shanghai et le périmètre Beijing-Bo Hai, constitue un des trois points d’appui majeurs du développement Chinois et de la mondialisation de la Chine. On rappellera que Le littoral chinois qui représente 2 % de la surface du pays, accueille ainsi 14 % de la population nationale et 23 % de la population urbaine.
Autre cas spectaculaire : Shanghai, dont la croissance et la mutation rapide impressionnent. Selon les données livrées par l’ONU (UN-Habitat), après une phase de progression relativement légère entre 1950 et 1990 qui a vu la population passer de 6 à 8 millions d’habitants, le rythme de progression est devenu étonnant. On franchit les 13 millions d’habitants en 2000, 16 millions en 2010 et on dépassera au moins les 21 millions en 2015. L’expansion économique et le développement des équipements et infrastructures sont à l’avenant : déroutants de rapidité et d’ampleur.
Plus grosse agglomération chinoise et 7e mondiale, dont les hiérarques pèsent dans la hiérarchie du Parti communiste, Shanghai emblématise le développement urbain quantitatif et qualitatif du pays. Elle se devait d’héberger une grande manifestation mondiale, pour s’imposer comme une véritable « Global City». Cela fut l’exposition universelle de 2010, qui accueillit plus de 70 millions de visiteurs, en très grand majorité des chinois, et dont le thème Better City, Better Live ne fut pas choisi au hasard. Il s’agissait de célébrer le rôle de Shanghai et de la Chine dans la définition du tempo et du style de l’urbanisation mondiale.
Le gouvernement de Shanghai se servit de cet événement, objet de 40 milliards de dollars d’investissements (2 fois plus que les Jeux olympiques de Pékin), pour développer deux aéroports internationaux, des gares et des voies ferroviaires à grande vitesse, 5 lignes de métro, de nombreuses autoroutes, un centre des congrès qui ambitionne de rivaliser avec celui de Hong Kong. Tout en mettant l’accent sur la requalification des espaces publics, la montée en qualité des universités et des centres de recherche, des musées, sans oublier la mise en place de secteurs touristiques destinés à attirer durablement les visiteurs chinois et étrangers. La réhabilitation du Bund, cœur historique de la ville des concessions fut un acte majeur. On a créé ici une formidable promenade au bord du fleuve Hang Pu permettant de contempler, en vis-à-vis, de part et d’autre du cours d’eau, le front, au style très européen, formé par les bâtiments historiques et la nouvelle skyline de Pudong, à couper le souffle. Cette opération emblématique visait bien à mettre en scène Shanghai, la dresser en World City de référence.
Ces exemples témoignent que la métro-mégapolisation installe des configurations urbaines de très grande taille d’un genre complètement inédit, tout à la fois en écumes — métaphore que j’emprunte au travail de Peter Sloterdijk — et en rhizome. En écume, c’est-à-dire associant, de manière ferme (car l’écume est cohérente en raison des adhérences entre les bulles) mais évolutive (car les relations peuvent changer en permanence en fonction des contextes et des champs de tensions qu’ils instaurent), des « bulles » spatiales tant variées qu’appariées. En rhizome, c’est-à-dire déployant des maillages et des tramages illimités, se chevauchant, et d’une grande densité.
Au sein de ces curieux arrangements, les habitants tentent d’inventer une urbanité nouvelle. Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si la société civile et politique qui tente de s’affirmer dans la prise d’autonomie par rapport au pouvoir du Parti communiste et la mise en exergue des excès (notamment environnementaux) de l’urbanisation spéculative et spoliatrice et des méfaits de la corruption, se structure et s’exprime à partir des principales mégapoles. Comme c’est à partir d’elles que le Parti communiste chinois tente désormais d’orienter le développement contrôlé du pays. Manière de souligner à quel point ce qui se passe dans ces contrées nous concerne.
Références
Pour accéder à la version PDF du numéro 4 de la revue Tous Urbains
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Ce que Peter Sloterdik veut dire par « écumes »