Périurbain et adolescence

Eric Charmes, octobre 2015

Le périurbain est réputé peu adapté à l’adolescence. Cette réputation n’est pas totalement justifiée. Tout dépend des trajectoires personnelles, notamment de l’âge d’emménagement dans le périurbain, mais beaucoup d’adolescents s’accommodent très bien de leur vie périurbaine. La proximité d’espaces verts a des avantages que beaucoup d’adolescents apprécient (pour la pratique de divers sports notamment). Et beaucoup d’adultes qui s’installent dans le périurbain y ont passé leur enfance, preuve qu’ils n’en gardent pas un si mauvais souvenir.

Ceci étant dit, la vie périurbaine n’est pas toujours simple pour les adolescents (Motte-Baumvol, Belton-Chevallier et Morel-Brochet, 2012, Didier-Fèvre et Rougé, 2013). A partir de l’entrée au collège bien souvent, les enfants sont contraints de parcourir quotidiennement plusieurs kilomètres, notamment lorsqu’ils résident dans les communes périurbaines villageoises. Des dispositifs de ramassage scolaire existent, mais les déplacements sont allongés par les détours et les arrêts des cars. Par ailleurs, le nombre de passages est souvent limité et lorsque les cours s’arrêtent plus tôt que prévu, les jeunes et les adolescents doivent patienter. La seule autre possibilité est la marche à pied (lorsque la distance le permet), l’auto-stop (pratiqué avec un succès variable), ou l’appel aux parents (lorsque ceux-ci sont motorisés, ce qui n’est pas toujours le cas). Une autre possibilité serait le recours au vélo ou au vélomoteur, mais l’usage de ces engins est souvent interdite par les parents car cela implique de circuler sur des voies départementales inadaptées.

Le mercredi après-midi et le samedi, pour permettre à leurs enfants de se rendre à leurs activités périscolaires ou tout simplement de voir leurs amis, les parents doivent parcourir de nombreux kilomètres. Ce sont plus souvent les mères que les pères qui effectuent ces accompagnements. On parle parfois à ce propos de « mamans-taxis ». Ces accompagnements structurent si fortement les pratiques quotidiennes dans les périphéries peu denses et dans le périurbain qu’aux Etats-Unis les soccer moms (mamans foot littéralement) sont une catégorie d’analyse dans la sociologie électorale. Il s’est notamment dit que Bill Clinton a en partie dû sa réélection en 1996 à sa capacité à capter le vote des soccer moms.

Les adolescents sont aussi une des principales sources de trouble de la vie quotidienne dans les espaces périurbains et pavillonnaires. Dans les quartiers résidentiels, des groupes se forment le soir pour discuter ou pour jouer au football par exemple. Les éclats de voix gênent les voisins, qui se plaignent de ne plus pouvoir dormir fenêtres ouvertes, notamment l’été. D’autres habitants se lamentent devant les canettes de bière et les cartons à pizza vides qui traînent le lendemain. Le sentiment d’insécurité renforce chez beaucoup de personnes l’impression négative ainsi laissée. Des comportements illicites sont en effet facilement attribués à ces jeunes, notamment le trafic de drogue. La réaction la plus courante est de solliciter l’intervention des forces de l’ordre. Mais ces dernières ont des tâches qui leur paraissent plus urgentes et n’interviennent pas volontiers face à des comportements qui, de toute façon, sont difficiles à sanctionner et à contrôler. Des riverains peuvent alors décider d’imposer des restrictions physiques à l’usage des espaces collectifs. Cela peut se traduire par la pose de barrières. Cela n’a rien d’anecdotique : les troubles occasionnés par les adolescents sont, avec les volontés de restreindre la circulation automobile, les principales motivations de fermeture de rue (Charmes, 2005).

Les relations entre adultes et adolescents sont d’autant plus complexes que les rapports moraux à l’espace de résidence sont très différents. Le territoire de la vie quotidienne des jeunes, s’il dépasse le quartier de résidence, reste relativement limité. Par ailleurs, ils ont les uns vis-à-vis des autres des engagements personnels forts. Du côté des adultes, l’espace de résidence et ses environs ne sont pas les seuls lieux de vie sociale et les relations à autrui y sont plutôt régulées par une morale de l’engagement minimal avec autrui (voir La vie de voisinage ou la « cordiale ignorance »). Ainsi les adultes redoutent de s’engager dans un conflit personnel avec leurs voisins. Et face à des adolescents qui les gênent, ils préfèrent s’abstenir d’intervenir directement et font plutôt appel à des tiers jugés neutres, tels que les représentants des forces de l’ordre. Ceci exacerbe les tensions, car les adolescents ne comprennent pas ce qu’ils vivent comme un déni de reconnaissance.

Références

CHARMES Eric, 2005, La vie périurbaine face à la menace des gated communities, Paris, L’Harmattan,

DIDIER-FEVRE Catherine et Lionel ROUGE, 2013, Les jeunes dans les espaces périurbains, Les cahiers de l’Audap, novembre, n°5

MOTTE-BAUMVOL Benjamin, BELTON-CHEVELLIER Leslie, et Annabelle MOREL-BROCHET, 2012, Les territoires périurbains entre dépendance automobile et ségrégation socio-spatiale : les ménages modestes fragilisés par les coûts de la mobilité, rapport pour le PUCA. (consultable en ligne)