Séparation morphologique et dépendance fonctionnelle
Eric Charmes, octobre 2015
La définition retenue par l’INSEE pour définir les communes périurbaines a l’avantage d’une certaine simplicité. Pour présenter cette définition, il faut commencer par celle d’un pôle. Est dit tel un groupe de communes dont les zones bâties principales sont d’un seul tenant, sans rupture de plus de 200 mètres, et qui regroupe au moins 1 500 emplois (un pôle est dit urbain lorsqu’il rassemble au moins 10 000 emplois). La commune la plus importante d’un pôle est dite ville-centre alors que les autres communes sont dites de banlieue 1.
Autour de ces communes de banlieue se trouvent les communes périurbaines. Celles-ci sont définies à partir de deux critères : un critère de dépendance fonctionnelle et un critère paysager. D’un point de vue paysager, une commune ne peut prétendre à la périurbanité que si sa zone bâtie principale est séparée du pôle urbain dont elle dépend par une bande non bâtie d’une largeur supérieure à 200 mètres. Ce critère renvoie à des dimensions essentielles de la vie périurbaine. L’une d’elles est la mise à distance de la banlieue (Charmes, 2005). Beaucoup de périurbains disent se distinguer des banlieusards par le fait qu’ils traversent des espaces verts avant d’arriver dans leur ensemble pavillonnaire. Ce faisant, ils ont le sentiment de s’extirper de la masse urbaine et de s’en mettre à l’abri. Une autre dimension importante de la vie périurbaine est la proximité des espaces verts, qu’ils soient « naturels » ou agricoles.
La dépendance fonctionnelle est définie quant à elle de la manière suivante : au moins 40 % des actifs occupent un emploi situé hors de la commune et dans une ou plusieurs « aires » (voir Nomenclature territoriale de l’INSEE pour la définition). Une aire est elle-même constituée d’un pôle et d’une couronne composée des communes dépendantes de cette seule aire (les autres communes périurbaines, celles qui dépendent de plusieurs aires, sont dites multipolarisées). Ce faisant, l’étendue des aires est déterminée par itération, et l’intégration d’un petit pôle d’emploi dans l’aire d’une grande ville peut entraîner, par rebond, l’intégration des communes liées à ce pôle d’emploi. Ceci complique la définition du périurbain, mais a l’avantage de donner aux aires urbaines des contours correspondant mieux aux espaces vécus et aux logiques du polycentrisme.
La définition que l’INSEE donne du périurbain est relativement simple et correspond à une réalité à la fois vécue et géographique. Elle peut cependant être discutée. Il importe notamment de ne pas être dupe des réifications engendrées par cette catégorisation. Les contours du périurbain sont des constructions statistiques qui ne correspondent pas toujours à des réalités bien identifiables sur le terrain. D’ailleurs, comme l’illustrent les constantes variations du concept (trois définitions depuis le début des années 1990), l’INSEE elle-même doute et remet régulièrement en cause ses propres catégories.
Une première limite concerne le critère de discontinuité d’au moins 200 mètres dans la zone bâtie continue. Cette distance est un des rares critères dotés d’une validité internationale : il est utilisé dans de nombreux pays pour relever les discontinuités dans les zones urbanisées. Ceci étant, ce critère de séparation physique de l’agglomération est parfois trop restrictif. Certaines communes sont ainsi considérées comme des communes de banlieue même si leur noyau urbanisé n’est continûment relié au pôle urbain que par quelques locaux commerciaux bâtis le long d’une voie de communication. Le fait qu’en dehors de cette voie de communication, les champs et les espaces verts dominent le paysage n’est pas pris en compte. Dans un tel cas pourtant, l’expérience vécue par les habitants est plus proche de celle vécue par les périurbains que de celle vécue par les banlieusards.
Une autre limite importante est qu’en comparaison de ceux utilisés à l’étranger, les seuils retenus par l’INSEE pour mesurer la dépendance fonctionnelle sont très restrictifs et minorent la périurbanisation. Aux États-Unis et dans divers pays européens, le seuil d’actifs travaillant hors de leur commune retenu dans les enquêtes se situe souvent autour de 15 à 25 % (voir Les Exurbs aux Etats-Unis). Certes, dans ces pays, les zones périurbaines sont définies à partir de la population travaillant dans l’agglomération et non dans l’ensemble de l’aire. Mais à mesure comparable, on peut estimer que l’écart entre le seuil retenu par l’INSEE et celui retenu ailleurs est de l’ordre d’un tiers. Cet écart illustre d’une part les spécificités du tissu communal français, d’autre part une volonté de maintenir statistiquement visible l’espace rural (voir Les péripéties statistiques du périurbain : entre ruralité et urbanité).
1 Il peut y avoir plusieurs villes-centres (comme à Aix Marseille). Si une commune abrite plus de 50 % de la population de l’agglomération (c’est-à-dire de la population de la zone bâtie d’un seul tenant), elle est seule ville-centre ; sinon, toutes les communes qui ont une population supérieure à la moitié de la population de la commune la plus peuplée, ainsi que cette dernière, sont villes-centres. Il existe également des cas où le pôle urbain est réduit à une seule commune.
Références
CHARMES Eric, 2005, La vie périurbaine face à la menace des gated communities, Paris, L’Harmattan
CHARMES Eric, 2009, L’explosion périurbaine, Études foncières, n° 138, mars-avril, p. 43-54.
GUEROIS Marianne et Fabien PAULUS, 2002, Commune centre, agglomération, aire urbaine : quelle pertinence pour l’étude des villes ?, Cybergeo : European Journal of Geography, Document 212