Les péripéties statistiques du périurbain : entre ruralité et urbanité
Eric Charmes, octobre 2015
La définition des aires urbaines n’est pas seulement liée à la caractérisation du monde urbain, elle se construit dans une relation dialectique avec la représentation statistique du rural. L’abandon des zones de peuplement industriel et urbain (ZPIU) l’illustre bien. La zone de peuplement industriel et urbain a été créée en 1962 par l’INSEE pour mesurer l’influence des unités urbaines sur les espaces ruraux qui les entouraient. Après le dépouillement du recensement général de la population de 1990, il avait été constaté que les zones de peuplement industriel et urbain incluaient 78 % des communes et plus de 96 % de la population nationale, laissant ainsi moins de 4 % de la population française en zone rurale (Le Jeannic, 1996). Pour les pouvoirs publics, de tels chiffres posaient problème car il faisait du rural un espace résiduel. Il fallait donc faire évoluer le zonage pour regonfler la population rurale et ainsi, pensait-on, mieux exprimer la réalité politique et sociale des territoires. Pour ce faire, l’INSEE a élaboré un nouveau zonage, articulé aux concepts de pôle urbain (alors défini comme unité urbaine concentrant au moins 5000 emplois, ce qui correspond aux moyens et grands pôles actuels) et de couronne périurbaine (définie alors comme les actuelles couronnes des moyens et grands pôles). En 1999, avec ce nouveau zonage, l’espace rural regagnait un poids significatif : 18 % de la population française et plus de la moitié des communes appartenaient à l’espace à dominante « rurale », constitué des communes n’appartenant pas aux aires urbaines et non multipolarisées.
Ce nouveau zonage, d’abord qualifié de zonage « en aires urbaines », est devenu en 2002 un zonage « en aires urbaines et aires d’emplois de l’espace rural » (ZAUER). Ce changement ne concerne pas les aires urbaines. Il s’agissait alors, dans le cadre d’une collaboration avec l’INRA, de mieux caractériser les espaces ruraux et d’y mettre en évidence les polarités structurantes, appelées « pôles d’emplois ». Ce travail a préfiguré la notion de petit pôle aujourd’hui en vigueur.
Avec le zonage de 2010 toutefois, l’INSEE est revenu à un zonage « en aires urbaines » et a abandonné la notion d’espace à dominante rurale. Continuer à afficher un poids démographique significatif pour un « espace à dominante rurale » n’était plus tenable. En effet, comme l’indique le sous-titre d’un des deux numéros de la revue INSEE Première qui présentent le nouveau zonage, « 95 % de la population vit sous l’influence des villes ». En 2010, l’INSEE prend donc enfin acte de la domination des villes sur tout le territoire français.
Il faut cependant bien lire dans la phrase qui précède « des villes » et non « urbaine ». Les villes dont parle l’INSEE sont constituées de pôles qui rassemblent au moins 1500 emplois. Et ces pôles ne sont pas tous urbains selon l’INSEE. En effet, un pôle doit rassembler 10 000 emplois (et non plus 5 000 emplois comme auparavant) pour que l’aire qui lui correspond soit qualifiée d’urbaine. En dessous, l’INSEE parle de moyenne aire (avec un pôle qui regroupe entre 5 000 et 10 000 emplois) et de petite aire (avec un pôle qui regroupe entre 1500 et 5000 emplois).
L’espace rural quant à lui ne disparaît pas complètement. Pour le maintenir visible, l’INSEE réactive une distinction entre communes rurales et communes urbaines qui était quelque peu tombée en désuétude. Selon un critère ancien de division entre le rural et l’urbain (voir Nomenclature territoriale de l’INSEE), sont dites rurales les communes dont la zone bâtie principale ne comprend pas plus de 2000 habitants. Or, dans les couronnes des pôles et dans les espaces dits multipolarisés, un grand nombre de communes restent rurales selon ce critère. Ainsi, dans les numéros d’INSEE Première consacrés à la présentation du zonage 2010, il est indiqué qu’environ 55 % de la population des couronnes des grandes aires réside dans des communes rurales. Cette reconceptualisation du rural est bienvenue en ce qu’elle permet de mettre en avant l’interpénétration du rural et de l’urbain propre au périurbain. Elle souligne que la France se divise en trois types d’espaces : le rural profond, important en superficie, mais marginal sur le plan démographique ; l’urbain aggloméré, occupant peu d’espace mais dominant sur le plan démographique ; et un « tiers-espace », selon l’appellation de Martin Vanier, où s’hybrident l’urbain et le rural.
Références
BRUTEL Chantal et David LEVY, 2011, Le nouveau zonage en aires urbaines de 2010. 95 % de la population vit sous l’influence des villes, Insee Première n° 1374
LE JEANNIC Thomas, 1996, Le Zonage en aires urbaines. Une nouvelle approche de la ville et de son espace périurbain, Insee Méthode, n° 69-70-71, p. 407-442.
NICOT Bernard-Henri, 2005, Urbain-rural : de quoi parle-t-on ?, Service Informatique de Recherches Interdisciplinaires, Urbaines et Spatiales (Sirius), Université Paris 12, www.sirius-upvm.net
FLOCH Jean-Michel et David LEVY, 2011, Le nouveau zonage en aires urbaines de 2010. Poursuite de la périurbanisation et croissance des grandes aires urbaines, Insee Première n° 1375