PAP39 – Le printemps sera-t-il silencieux ?
Philippe Pointereau, avril 2020
Le Collectif Paysages de l’Après-Pétrole (PAP)
Soucieux d’assurer la transition énergétique et, plus généralement, la transition de nos sociétés vers le développement durable, 40 professionnels de l’aménagement se sont réunis en association afin de promouvoir le rôle central que les démarches de paysage peuvent jouer dans les politiques d’aménagement du territoire.
Philippe Pointereau, ingénieur agronome, directeur du pôle agro-environnement du bureau d’études associatif Solagro, fin connaisseur du chant des oiseaux, nous éveille à une surprenante et magistrale symphonie du paysage…
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Le paysage nous parle-t-il ? Possède-t-il une dimension sonore capable de nous révéler son identité et sa trajectoire, et de réveiller notre conscience pour un avenir plus enchanté ?
Au mois de janvier, j’attends avec impatience le chant du merle noir, le premier oiseau à faire entendre son cri. Le printemps est loin, mais les jours rallongent. La beauté de ce chant solitaire appartient à ceux qui se lèvent tôt et tendent l’oreille. Combien sommes-nous à porter attention à ce chant, ultime respiration de la nature en ville ? Le merle noir chante à un moment où le brouhaha n’a pas encore envahi la ville. Plus tard dans la saison, il sera rejoint par d’autres oiseaux car il n’est pas seul à peupler les villes et les villages.
Je suis impatient d’entendre les martinets noirs de retour des forêts tropicales où ils passent l’hiver en volant au-dessus des canopées sans jamais se poser, un mystère. Ils arrivent précisément à la miavril et font entendre plus tard leur cri strident dans une sarabande effrénée, le soir autour des pâtés de maisons. Le martinet est un des premiers oiseaux à partir dès la fin juillet. Je me dis que le jour où son cri disparaîtra, ce sera aussi notre fin, à nous les humains. Le martinet étant un oiseau insectivore, ce scénario n’a rien d’improbable.
Les chants que nous offrent les oiseaux d’avril à juin, peu avant le lever du soleil, constituent un des plus beaux patrimoines sonores des campagnes. Ils se mêlent en un véritable concert qui dure entre trente et soixante minutes. Ce concert commence une heure trente avant le lever du soleil dans un ordre immuable. Cette musique sera d’autant plus riche que le nombre d’espèces est important. Le compositeur Olivier Messiaen a écrit une oeuvre concertante intitulée Réveil des oiseaux, « entièrement construite à partir de chants d’oiseaux » 1, créée au festival de Donaueschingen le 11 octobre 1953.
Les oiseaux sont un des éléments les plus marquants des paysages sonores. Les paysages ne sont pas composés seulement de formes et de couleurs, de reliefs ou de vallées. Ils sont habités de cris, de chants, de sons et de bruits. La campagne parle ou parlait dans toutes les localités, au rythme des heures du jour et des saisons. On est en droit de se demander si la qualité tant esthétique qu’écologique d’un paysage ne repose pas aussi sur sa dimension sonore. Le problème est le même que pour la biodiversité. Nous ne disposons pas de références ou si peu : celles de notre mémoire et de nos souvenirs, qui appartiennent à chacun. Comment la campagne parlait-elle autrefois ? J’ai connu celle des années soixante, quand l’agriculture n’avait pas encore pris le virage de l’intensification, où le bocage était dense et les mares nombreuses. Quelqu’un a-t-il enregistré les fonds sonores des campagnes à cette époque ? Dans la série des Don Camillo tournés à partir de 1951, il est possible, en y portant attention, de percevoir le paysage agricole du village de Brescello, au bord du Pô en Emilie-Romagne, avec ses myriades d’arbres champêtres, notamment les hautains aujourd’hui totalement disparus 2. De son côté, le film L’arbre aux sabots d’Ermanno Olmi, tourné à Bergame en 1978, évoque les paysages agraires de la fin du XIXe siècle avec ses arbres émondés et la valeur de chaque partie du bois. Mais même en prêtant l’oreille, difficile d’entendre les sons de ce paysage.
Le compositeur et écologiste canadien Raymond Murray Schafer a inventé en 1977 le concept de « paysage sonore » (soundscape), décrit dans The Tuning of the World (The Soundscape) 3 qui reste une référence pour toutes les disciplines intéressées par l’environnement sonore.
Après avoir intéressé des artistes, ce patrimoine sonore logé dans l’inconscient mobilise de plus en plus de scientifiques pour créer une nouvelle discipline, l’écoacoustique. Jérôme Sueur, maître de conférences au Museum national d’histoire naturelle (MNHN), enregistre les paysages sonores de la forêt guyanaise et du Risoux, dans le Jura, afin de fournir des données sur la biodiversité et les espèces patrimoniales et de détecter leurs changements sur le long terme. Réalisés avec des magnétophones automatiques, ces enregistrements montrent un étagement et un partage de l’espace sonore avec peu de chevauchements. Les prises de vue photographiques peuvent donner du recul sur l’évolution des paysages 4. En ce qui concerne les sons, pas d’historique. A cette fin, le MNHN a mis en place une sonothèque pour observer si on constate aujourd’hui un appauvrissement et une homogénéisation du paysage sonore dans les territoires ruraux.
Si on disposait d’archives sonores diachroniques prises à un endroit donné et à des date et heure identiques, on aurait sans doute de quoi conclure que la nature s’effrite.
Chercheur à l’Office français de la biodiversité et formé aux Etats-Unis à la bioacoustique, Stanislas Wroza 5 a pu montrer une baisse de 38% des populations de chauve-souris en France entre 2006 et 2016 grâce à des centaines d’enregistrement de bénévoles. Les captures de sons qu’il réalise lui permettent d’identifier des espèces d’oiseaux migrateurs en pleine nuit ou des animaux cachés dans une forêt, comme le rare gobemouche à collier.
Evoquer le patrimoine sonore ne relève pas de la seule nostalgie. Il s’agit de ne pas perdre une mémoire. Celle de ces mares autour des villages, pleines de grenouilles vertes coassantes. Que sont devenues ces grenouilles, sachant que 90% des mares ont disparu en France 6 ? Je me rappelle avoir visité, à l’ouest de Milan, la ferme rizicole biologique de Giula Maria Crespi qui s’appelait « dove ancora cantano le rane c’é piu sapore, piu salute, piu energia e piu felicita 7 ». La plaine du Pô est aujourd’hui une vaste zone intensive vouée au riz, maïs et soja irrigués, où l’usage des pesticides a fait ses ravages.
On peut aussi parler des grillons, qui animent le jour les pelouses sèches et les prairies naturelles. Dans ces mêmes espaces ouverts résonne certaines nuits d’été l’appel des insectes nocturnes. Sans jamais se faire voir, la caille fait entendre son chant en juillet avant la moisson, au milieu des champs de céréales. On devine seulement sa présence, contrairement à l’alouette dont le chant clair et jubilant escalade le ciel. On pourrait parler sans fin des cris et des chants de la nature sauvage. Pour ceux qui y portent attention et vibrent à l’écoute de ces sons et de leur musique, le silence apparu n’est pas de bon présage.
La nature domestiquée constitue aussi un paysage sonore en partie révolu. La campagne résonnait du beuglement des vaches, du cri du coq le matin, des braiments d’un âne. Les estives font encore entendre le son de leurs cloches, signe que la transhumance à pied est toujours active pour animer de nombreux villages de Provence situés sur la draille, et bien que s’en soit perdue la plus grande part. Il fut un temps où une eau potable sourdait des fontaines villageoises.
Aujourd’hui, les bruits de la campagne sont le signe que celle-ci est encore vivante, que les animaux n’y sont pas enfermés. La majorité des vaches et des brebis sortent dans les prés, mais ce n’est plus le cas des chèvres. Plus de coqs ! La basse-cour a presque partout disparu.
Ce paysage sonore campagnard en est venu à gêner ceux qui entendent l’interdire au nom du « trouble anormal de voisinage ». Certains élus ne l’entendent pas ainsi, tel le député de Lozère Pierre Morel-A-L’Hussier qui a déposé à l’Assemblée nationale, le 11 septembre 2019, un projet de loi pour protéger le patrimoine sensoriel des campagnes 8. Il entend ainsi élargir le champ du patrimoine culturel immatériel de l’Unesco aux émissions sonores et olfactives caractéristiques des terroirs. Comme pour tous les patrimoines, quelle sera l’époque de référence ? Comment définir ce qui est caractéristique ? Si tout le monde ne porte pas la même attention ni le même intérêt à ce fond sonore du paysage, des voix s’élèvent aujourd’hui pour tenter d’éviter que cette mémoire disparaisse sans laisser de trace.
Ces chants et ces cris ne sont pas seulement un indice de l’état d’une biodiversité que les savoirs de l’homme cherchent à analyser. Ils sont l’expression d’une nature sauvage qui n’a pas besoin de nous pour exister, qui a ses propres lois. Ils en sont la partie sensible qui nous émeut car nous sommes reliés au monde ambiant par l’affectivité. Nous avons entendu des sons avant de naître. L’oreille est le sens de l’alerte, mais aussi du lien vital. Le son fluté du crapaud accoucheur, le cri des grues cendrées en migration ouvrent notre perception. Ils nous éveillent à la présence de la nature autour de nous. Que recherchent donc les amateurs de nature ? Admettre la part sauvage du monde, c’est réinvestir la terre et pas seulement pour tenir une comptabilité du vivant. La nature est plus forte que nous, elle peut ressusciter en nous le sentiment de quelque chose d’immense, à la splendeur magique et mystérieuse.
Les cris et les chants des animaux vivants montrent que la nature existe encore, qu’elle peut être exubérante. Nos sociétés occidentales tendent à considérer le monde ambiant comme une ressource à exploiter et à domestiquer, comme un profit à maximiser. On parle aujourd’hui des services écologiques rendus par la nature. La nature ne pourra indéfiniment recycler nos déchets ni atténuer nos émissions de gaz à effet de serre. Sa capacité n’est pas illimitée. L’eau se réchauffe dans les océans et les fleuves, les chaînes alimentaires sont contaminées et certaines espèces disparaissent ou voient fondre leurs effectifs.
Il faut protéger la nature non pas seulement pour les services qu’elle rend ou les produits qu’elle fournit, mais pour elle-même et pour sa beauté. Nous devons respecter le vivant. Viviane Despret 9, philosophe et éthologue à l’université de Liège, se demande si, au-delà de la très ancienne alliance qui leur fait échanger pollens, fruits et nectars, et disséminer les graines, les oiseaux et les végétaux ne communiquent pas entre eux par des messages ténus, ceux là-même qui nous apaisent dans la forêt. Il reste tellement à apprendre sur les interactions qui relient les différents éléments de nos écosystèmes. On a découvert l’importance des mycorhizes qui connectent les racines des plantes aux champignons qui les alimentent. Certains chercheurs commencent à s’intéresser aux impacts des sons sur le développement des plantes. Au sein d’une même espèce, les chants sont différents d’un territoire à l’autre.
Le silence est associé aux sons naturels : les chants d’oiseaux, le crissement des insectes, la pluie sur les feuilles, la brise. Pour Gordon Hempton, le silence n’est pas l’absence de bruit, mais la présence d’un moment presque mystique au cours duquel on ne pense pas, mais où on ressent. Gordon Hempton traque sur la planète, depuis 2005, les rares zones encore épargnées par les bruits d’origine humaine. Il cherche à mettre en place un label « zone sauvage silencieuse ». Pour lui, la science a démontré que la pollution sonore n’est pas qu’une nuisance, elle a des conséquences sur notre santé et joue un rôle extrêmement important dans la disparition de la faune sauvage.
Bernie Krause 10 a enregistré les sons de centaines de paysages dans le monde pour créer une mémoire de la nature et sensibiliser à la disparition des espèces. Il détecte les altérations de celle-ci à partir des sons qu’elle émet et travaille au concept d’écologie du paysage sonore. Cinq décennies à écouter la nature sont aujourd’hui engrangées dans une bibliothèque sonore : cinq mille heures d’enregistrement, quinze mille espèces animales différentes. Quand les espèces disparaissent, les sons qu’elles produisent aussi. Et c’est le cas pour la moitié d’entre eux : « En cinquante ans, je n’ai pas rencontré de différences partout où je vais. Mais cinquante pour cent des sons dans mes archives proviennent d’endroits où les habitats n’existent plus » 11.
L’empreinte humaine est devenue majeure. Sans compter les espèces qui ne sont pas audibles par nous, ainsi les poissons, les vers de terre ou les fleurs. Nous pouvons penser que les espèces qui se font entendre sont le porte-voix des autres. Nous avons appris à en écouter certaines, comme les baleines ou les chauve-souris, grâce à de nouveaux instruments, le sonar, le détecteur d’ultra-sons. Cela ne nous dit pas ce qu’il en était avant.
Aujourd’hui les signaux ont tout pour inquiéter. Les travaux scientifiques dessinent ce printemps silencieux décrit par la scientifique Rachel Carlson en 1962, dans son livre Silent spring 12, ou par le rapport « Halte à la croissance » du Massachusetts institute of technology, paru en 1972. Cela fait donc presque soixante ans qu’ont été identifiées les conséquences sur l’environnement et la nature de notre mode vie basé sur une croissance continue et sur une utilisation massive des pesticides. Selon une étude publiée en octobre 2019 dans la revue Nature, la biomasse d’arthropodes a chuté de 67% et le nombre d’espèces de 34% au cours de la dernière décennie dans les prairies allemandes 13. Les scientifiques pensent que 41% des amphibiens, 25% des mammifères et 13% des oiseaux sont menacés d’extinction. Nous avons réussi à éliminer le pigeon migrateur américain (Ectopistes migratorius) dont la population était estimée à 3 ou 5 milliards d’individus et dont le dernier est mort au zoo de Cincinnati le 1er septembre 1914. Ses vols, longs de plusieurs kilomètres, obscurcissaient le ciel. Difficile aujourd’hui d’imaginer le son de ces vols. Les exemples sont nombreux qui évoquent la disparition de la faune sauvage, mais seules les espèces emblématiques font parler d’elles. C’est le cas des baleines comme la baleine grise (Eschrichtius robustus) qui a disparu de l’Atlantique au XVIIème siècle du fait de la chasse, et que l’on peut observer encore, en petit nombre, sur la côte pacifique. C’est aussi le cas du grand pingouin (Pinguinus impennis) que l’on rencontrait depuis les côtes d’Espagne jusqu’aux îles Féroé et dont le dernier spécimen a été tué à Eldey en Islande en 1844. On estime que cette espèce comptait un million de représentants à son apogée. On pourrait aussi parler de la morue de Terre-Neuve ou des saumons qui peuplaient nos fleuves.
Il nous faudra inventer des modes de cohabitation doux si nous voulons continuer à pouvoir écouter ces chants et trouver le silence. Il nous faudra peut-être préserver des territoires indemnes de toute activité humaine pour ne pas perdre définitivement la symphonie de la nature propre à chaque lieu et à chaque écosystème. Des aires protégées ne suffiront pas. La pollution de l’air par les pesticides notamment et le réchauffement climatique impactent aujourd’hui tous les territoires de notre planète, mêmes les plus éloignés.
Comment retrouver l’émerveillement d’un paysage sonore, le cri d’une chouette ou le chant du rossignol, rare passereau à animer la nuit ? Comment et où prendre le temps d’écouter les insectes nocturnes au milieu de la campagne ? Qui a eu la chance d’entendre, avant l’aube, l’éveil d’une forêt tropicale ? La méconnaissance de cette beauté en est certainement le pire ennemi.
Nous sommes pris aujourd’hui dans le vacarme numérique de la radio, de la télévision et surtout du téléphone portable, qui nous accompagne même au coeur de la nature et nous évite de nous y perdre grâce au GPS. Nous sommes de plus en plus branchés sur un monde virtuel et prenons congé de la nature. Nous ne l’écoutons plus, nous ne l’entendons plus, nous nous en éloignons alors même qu’elle disparaît en silence. Au travers des films et vidéos, la perception de la nature passe de plus en plus par le numérique.
Le paysan lui-même, dans les pays industrialisés, a de plus en plus recours à ces techniques : caméra et informations fournies par les capteurs du robot de traite pour connaître l’état de ses vaches, drone et caméra pour surveiller ses champs et traiter au bon endroit. Le contact humain avec ses bêtes ou ses plantes se raréfie. Dans son tracteur insonorisé et guidé par GPS, l’agriculteur n’entend plus les bruits de la campagne.
Il est important de garder ce contact avec le vivant et la nature si nous voulons éviter de perdre l’émotion qu’ils suscitent. Il faut certainement réapprendre la nature et pourquoi pas chercher le contact avec une nature sauvage par le risque et l’aventure.
De nombreuses initiatives ont vu le jour ces dernières années. Certains adeptes du sport en plein air se rendent compte de l’importance de la qualité des milieux naturels et ramassent les déchets sur les côtes ou dans les rivières. Des outils disponibles sur smartphone, comme PlantNet 14, permettent d’identifier une plante grâce à une photo. Des CD de chants d’oiseaux peuvent être des moyens pour se réapproprier cette nature sauvage.
Qu’il appartienne à la nature sauvage pour autant qu’elle existe encore, ou aux paysages agricoles encore en harmonie avec le milieu naturel, l’éveil sensoriel que constitue la redécouverte de notre patrimoine sonore est amené à se développer. Il est un moyen de plus, à côté de la beauté esthétique des paysages ou des odeurs des fleurs, pour sensibiliser l’homme à la nécessité de protéger son unique planète. Cette nouvelle écoute pourrait nous conforter dans la transition écologique que nous devons mettre en place rapidement en donnant encore plus de sens et d’envie à cette mutation.
Il nous faut imaginer rapidement des moyens pour intégrer ce volet sensible du paysage dans les différentes démarches de transition. Les balades paysagères ne devront pas se faire seulement en plein jour mais aussi au printemps, avant le lever du soleil. Le Parc naturel régional du Haut-Jura est précurseur dans ce domaine, ayant développé depuis vingt ans la notion de paysages sonores, véritable pont entre culture et création artistique, valorisation des paysages et sensibilisation à l’environnement. Il souhaite ainsi ouvrir la voie à une représentation créative du monde car, à l’inverse de l’univers visible, l’univers sonore offre peu de certitudes. Il fait constamment appel à l’interprétation et à l’imaginaire 15.
Dans un monde où le bruit, les ondes et la vitesse nous gouvernent, il va falloir réapprendre la lenteur et le silence. Le silence de l’aube nous est encore accessible tant qu’il y aura des oiseaux. Il semble que le confinement que nous vivons aujourd’hui nous offre cette chance de repenser le monde 16.
Pour l’écrivain algérien Kamel Daoud, ce retour du silence est terrifiant, il signifie l’échec et le désert : « Dans la nuit, l’insonorité est un coup que l’on prend en pleine poitrine si, pour quelques secondes, on arrête de respirer, seul à sa fenêtre ou dans sa cour, chacun dans son coin dans notre monde menacé. Le silence se montre en chose ancienne et oubliée et qui revient à cause de la rétraction des hommes et des machines, de la prédation de la « croissance » et de la « consommation » 17.
Pouvons-nous rester connectés avec le monde par une approche sensible ? En restant ouverts à une perception esthétique qui nous alimente, nous pouvons renouveler notre façon d’exister.
1 edutheque.philharmoniedeparis.fr/0978843-reveil-des-oiseaux-de-olivier-messiaen.aspx
2 Les hautains étaient un système associant arbre et vigne. Généralement orme ou arbre champêtre mais aussi peuplier ou mûrier blanc, l’arbre servait de tuteur à la vigne. Entre les alignements d’arbres et de vignes, les espaces étaient cultivés.
3 Traduit en français sous le titre Le Paysage sonore. Toute l’histoire de notre environnement sonore à travers les âges, éditions Jean-Claude Lattes, 1979 et WildProject, 2010.
4 Les observatoires photographiques du paysage, par exemple.
5 Stanislas Wroza a publié en 2019 Les oiseaux par le son. Enregister, identifier, comprendre, Editions Delachaux et Niestlé, et possède un blog soundbirding.org/
6 Il ne resterait que 600 000 mares environ sur notre territoire, soit 10% de celles qu’il comptait en 1900, et 50% de celles existant en 1950. Source Alain Morand « Des amphibiens dans nos paysages agricoles : quelles perspectives ? », Revue Sésame n° 6, novembre 2019.
7 “Où les grenouilles chantent encore, c’est plus de saveur, plus de de santé, plus d’énergie et plus de félicité” - www.cascineorsine.it/
8 www.assemblee-nationale.fr/dyn/docs/PIONANR5L15B2211.raw
9 Viviane Despret a notamment écrit Habiter en oiseau, Actes Sud, 2019.
10 Le Grand orchestre des animaux : célébrer la symphonie de la nature, Flammarion, 2018. Chansons animales et cacophonie humaine : manifeste pour la sauvegarde des paysages sonores naturels, Actes Sud et Fondation Cartier pour l’art contemporain, 2016.
11 Interview de France Culture du 6 juillet 2016 par Hélène Combis www.franceculture.fr/environnement/bernie-krause-contre-l-appauvrissement-des-sons-du-monde
12 Ce livre a été traduit en français en 1963 sous le titre Le Printemps silencieux. Sa parution déclencha un renversement dans la politique nationale américaine envers les biocides, conduisant à une interdiction nationale du dichlorodiphényltrichloroéthane (DDT) et d’autres pesticides.
13 Seibold, S., Gossner, M.M., Simons, N.K. et al. : “Arthropod decline in grasslands and forests is associated with landscape-level drivers”. Nature, 574, 671–674 (2019).
14 plantnet.org
15 Le Parc naturel régional a édité le guide Paysages sonores du Haut-Jura, accompagné d’un CD de 40 sons enregistrés par Boris Jollivet.
16 Cet article a commencé à être rédigé bien avant l’arrivée du coronavirus. Il apparait à tous en ce printemps 2020 que les bruits des voitures et des avions se sont très fortement abaissés, laissant un peu plus d’espace aux sons de la nature, enfin audibles dans les villes.
17 Tribune publiée le 29 mars 2020 sur Bibliobs.