Stationnement sur la voie publique et mobilité

2005

Conseil National des Transports (CNT)

Cette fiche a été sélectionnée et revue par Régis RIOUFOL, contributeur de la démarche « Une Voirie pour Tous » du CNT, coordonnée par Jean-Charles POUTCHY-TIXIER et Hubert PEIGNE.

Elle aborde la problématique du stationnement sur la voie publique, et compare notamment différents pays avec le cas particulier de la France.

Occupant une place très importante des espaces publics, le stationnement sur voie publique constitue en France un véritable problème, qui échappe en grande partie au pouvoir des autorités locales. Commerce et stationnement, habitat et stationnement, lieux de travail et stationnement, loisirs et stationnement sont autant de thèmes sensibles qui donnent lieu à bien des controverses.

Mais il est d’autre part frappant de constater que, dans beaucoup de pays européens, il n’est pas rare de parcourir ou de voir des rues, des avenues, sans stationnement, et cela y compris dans des villes petites ou moyennes (quelques milliers, quelques dizaines de milliers d’habitants). Et pourtant, il ne semble pas difficile, comme visiteur, d’y garer une voiture : simplement, les places sont disponibles un peu plus loin, payantes, et souvent hors voirie stricto sensu (sur un emplacement spécifique dédié au stationnement, une partie de place).

Alors, pourquoi la France constitue-t-elle un cas plus épineux ?

Stationner ou occuper la voie publique ? (Rédaction avril 2005)

Une voiture qui parcourt en moyenne 18 000 km par an n’est utilisée pour se déplacer qu’à moins de 5 % de son temps. Pour une grande majorité des ménages, une voiture est donc garée ou en stationnement pendant 95 à 98 % de son temps. Si ce stationnement s’effectue sur des espaces privés conçus à cet effet, ce faible taux d’utilisation de la voiture concerne uniquement son propriétaire.

Mais si ces 95 à 98 % de stationnement s’effectuent sur la voie publique, cela relève d’une véritable occupation d’un bien public destiné à tous. L’automobiliste privatise alors totalement les avantages de sa voiture tout en reportant ses inconvénients sur la collectivité, en utilisant la voie publique comme un « dépotoir à voiture » quand il ne roule pas.

S’il éprouve vraiment un besoin d’occuper la voie publique, en des endroits prévus à cet effet, qu’il la loue au même titre qu’il loue un logement ou un garage. Le stationnement devient alors un contrat d’occupation dont les termes sont définis entre les deux parties, le propriétaire (la ville) et le locataire (l’usager), se traduisant par le paiement d’un loyer ou d’une redevance d’occupation pour le stationnement.

Le stationnement payant est aujourd’hui une simple mesure de maintien de l’ordre public et relevant du pouvoir de police. C’est pourquoi il devient vraiment indispensable de dépénaliser le stationnement, puis de le décentraliser, afin que le stationnement puisse être réellement considéré comme une occupation du domaine public et que les propriétaires, les villes, puissent en maîtriser l’usage dans le cadre d’une politique globale de déplacements.

Dépénaliser le stationnement (Rédaction du 1er novembre 2004[>(note) 1])

Dans son rapport de décembre 2003 sur le financement des déplacements urbains, le député du Rhône, Christian PHILIP préconise clairement de dépénaliser le stationnement automobile et d’abandonner une vision complètement dépassée, basée sur de simples mesures de police plutôt que sur une logique de gestion du domaine public. « Personne ne contestera aujourd’hui que la politique de stationnement est la clé d’une stratégie volontariste en matière de déplacements et d’aménagement urbain », indique-t-il dans son rapport.

Or, le stationnement sur la voie publique est considéré actuellement comme une mesure de police, relevant du pouvoir de police du maire, avec le simple objectif d’améliorer la circulation et de maintenir l’ordre public. La finalité du stationnement payant sur voirie relève donc aujourd’hui uniquement du maintien de l’ordre public et ne peut présenter aucun objectif financier d’occupation du domaine public.

De plus, le non-respect du stationnement est considéré comme une infraction bénigne en matière de circulation routière2, que l’on réprime par une simple amende de 11 €, applicable de manière uniforme sur l’ensemble du territoire national, montant de loin le plus faible de l’Union Européenne (dont la moyenne se situe autour de 24 - 25 €).

La France est aussi le pays où le rapport entre l’amende encourue et le prix de la première heure de stationnement est le plus faible de l’Union Européenne. Il est souvent plus cher de stationner dans les parcs publics que de stationner dans la rue et de payer les amendes des contraventions. Seulement 4 automobilistes sur 10 respectent en France la réglementation en vigueur sur le stationnement. Par ailleurs, l’offre de parcs privés de stationnement est fondée sur la rentabilité foncière (placement financier dans des opérations immobilières), très loin des objectifs de partage de l’espace public et de satisfaction des besoins des usagers.

Il en est de même des prix de stationnement dans les parcs publics, fixés de manière à équilibrer les coûts de gestion du système, et, le cas échéant, à amortir l’investissement de construction de nouveaux parcs. Ce montant n’est pas du tout défini pour appuyer une politique de déplacements. Les recettes globales ne sont d’ailleurs pas clairement affectées à l’amélioration des déplacements urbains.

La dépénalisation du stationnement consiste à remplacer la mesure administrative de police qui régit aujourd’hui le stationnement par une redevance d’occupation du domaine public, sans que le maire ait à faire jouer ses pouvoirs de police pour réprimer les infractions et le non-paiement du stationnement.

Traité comme une « redevance » au même titre que la terrasse d’un café ou un emplacement sur un marché, le « droit de stationnement » sur la voie publique deviendrait ainsi l’élément clef d’une politique globale de déplacements.

Une véritable politique de stationnement pourrait être instituée avant la mise en place d’autres mesures. A Londres par exemple, une politique de stationnement à tarifs très élevés a été instituée sur plusieurs années, bien avant la mise en œuvre du péage urbain.

En cas de non-paiement du stationnement « redevance », les automobilistes encourent bien entendu les amendes et sanctions appliquées par les services comptables de l’État chargés de leur recouvrement, mais sans doute avec un taux qui ne serait pas forcément uniforme sur l’ensemble du territoire national et dont les montants devraient être au moins dans un premier temps augmentés pour se situer dans la moyenne de l’Union Européenne.

Le stationnement dépénalisé sur voie publique deviendrait ainsi un simple droit d’occupation de la voirie, payable au même titre qu’un loyer, au lieu d’une mesure de maintien de l’ordre relevant du Code Pénal et des tribunaux de police.

Décentraliser le stationnement (Rédaction du 4 novembre 2004[>(note) 3])

La dépénalisation du stationnement conduit logiquement à décentraliser le stationnement pour pouvoir instaurer de véritables politiques de déplacements urbains. Il est en effet logique que les tarifs des redevances d’occupation du domaine public puissent être fixés par ses propriétaires, et non par la loi, même si celle-ci a un devoir d’encadrement.

Décentraliser, c’est donc permettre aux autorités locales de fixer les tarifs du stationnement « redevance » et d’avoir une maîtrise de leur politique de stationnement, mais aussi de leur politique de transports publics pour moduler les tarifs de stationnement en fonction de l’existence ou non de transports publics. Cela permettrait de favoriser le report modal, de mieux équilibrer les investissements et les coûts, de générer des ressources supplémentaires pour les transports en commun.

En juin 2003, le GART, l’AMGVF, la FMVM4, la Fédération Française de Stationnement et la Mairie de Paris ont proposé au gouvernement de faire évoluer la législation en intégrant à la loi sur la décentralisation les dispositions permettant de décentraliser le stationnement au profit des structures intercommunales. Ces propositions ont été effectuées aux représentants des Ministères de l’Intérieur, de la Justice et de l’Équipement et appuyées par un rapport et une présentation du Professeur DEVOLVE5 le 25 juin 2003.

La décentralisation du stationnement figure également comme proposition phare, complétant la dépénalisation, dans le « rapport PHILIP » de décembre 2003 précédemment évoqué. Cette décentralisation permettrait en effet une meilleure maîtrise du stationnement et un meilleur contrôle de l’usage de la voiture en ville, et ainsi d’en diminuer les nuisances. Elle rendrait enfin possible la lutte contre le non-paiement du stationnement. Un bon fonctionnement du stationnement payant est en effet le corollaire indispensable à la réduction du stationnement illicite. Les recettes ainsi obtenues pourraient être affectées au financement des transports collectifs et des modes doux, notamment dans le cadre de la mise en place des Plans de Déplacements Urbains.

Pour mieux coordonner ces différents modes de déplacement et promouvoir une mobilité durable, il est donc indispensable que les élus détiennent toutes les compétences nécessaires à la mise en œuvre d’une politique globale des déplacements, intégrant la gestion du stationnement de surface.

Redéfinir les politiques de stationnement (Rédaction avril 2005)

La dépénalisation et la décentralisation du stationnement permettraient aux collectivités territoriales de mettre en œuvre une démarche assez rationnelle, très semblable à celle de nos voisins européens, et fondée sur les principes suivants :

Cette redéfinition ciblée des objectifs conduit à mieux utiliser la politique du stationnement. Cela a déjà été exprimé dans le rapport de Christian PHILIP. Voici les principales recommandations qui en résultent :

Bien sûr, cette redéfinition de la politique de stationnement doit être préalablement ou simultanément accompagnée d’une hausse sensible du montant des amendes pour stationnement illicite et d’une lutte farouche contre le stationnement gênant, en développant la mise en fourrière des voitures et des motos.

Cela nécessite en outre de considérer l’arrêt et le stationnement sur les aménagements cyclables et les trottoirs comme un stationnement dangereux, le stationnement des deux roues motorisés sur trottoir comme dangereux vis-à-vis des Personnes à Mobilité Réduite, devant tous deux être punis d’une contravention de 4ème classe avec possibilité de mise en fourrière.

Privilégier l’arrêt à l’occupation (Rédaction avril 2005)

La redéfinition d’une politique de stationnement dans les espaces publics fortement convoités bien desservis par les transports en commun devrait conduire à privilégier dans ces lieux une politique d’arrêts brefs par rapport au stationnement, au moins dans les périodes d’activité les plus intenses.

Une telle politique d’arrêts brefs favorise en effet l’accessibilité à tous publics et usagers pour les utilisations les plus variées (livraisons, dépose minute d’achats, enlèvement, intervention des médecins, ambulanciers, messagers, artisans, livreurs de médicaments, accompagnateurs de personnes âgées, services sociaux ou d’assistance à domicile, etc.), et favorise le partage dans le temps d’un espace rare pour effectuer des opérations rapides de prise en charge et d’accompagnement de personnes ou d’enlèvement et de dépose de matériaux et objets divers.

Une telle politique s’impose particulièrement si la desserte en transports publics est efficace et si un système de transports individuels fonctionne en subsidiarité (ou même en fusion totale) avec un système de portage à domicile.

Cela permet en outre de créer des Zones à Trafic Limité (ZTL) parfaitement accessibles à tous, que ce soit gratuitement ou moyennant redevance, où le stationnement « occupation » est interdit, mais où l’arrêt bref et le stationnement de courte durée (¼ à ½ heure) est toléré gratuitement dans certains espaces banalisés à condition qu’il ne gêne pas les cheminements.

Partager le stationnement en temps et en lieux (Rédaction avril 2005)

Privilégier une politique d’arrêts brefs par rapport à une politique de stationnement d’occupation liée aux lieux et au temps n’empêche pas de mettre en œuvre des solutions de partage de l’espace public selon les moments de la journée ou de l’année.

Les Zones à Trafic Limité permettent tout particulièrement de délivrer des autorisations sélectives. C’est ainsi qu’un système de macarons d’autorisation permanente ou temporaire, couplée à des disques horaires, permet d’assurer un certain nombre de livraisons sur les aires en demi - Lincoln aménagées à cet effet dans les couloirs bus à Paris.

Il est également possible d’envisager, comme cela se pratique dans certaines villes telles Sydney ou Barcelone, d’affecter les couloirs bus au stationnement résidentiel pendant la période nocturne lorsque les transports publics ne fonctionnent pas à un rythme cadencé. Le stationnement d’occupation peut aussi être admis à certains moments de la journée et complètement interdit aux périodes d’intense activité. La dépénalisation et la décentralisation du stationnement couplée à une affectation variable de la voirie offrent aux collectivités une vaste palette de systèmes de gestion et de régulation efficace adaptables aux circonstances locales.

Dernier moyen présenté ici de partager le temps, le système des cartes à points de stationnement permet d’affecter des droits de stationnement limités, mais éventuellement échangeables, à un ensemble de résidents ou de travailleurs d’un secteur urbain déterminé. Cela favorise notamment l’établissement de Plans de Déplacements d’Entreprise (PDE) ou d’Administration (PDA) incorporant la prise en charge des employés par des véhicules d’entreprise ou l’organisation par l’entreprise du co-voiturage, comme cela s’effectue à présent aux États-Unis. Le bilan effectué en juillet 2004 des études de faisabilité réalisées sous l’égide du PREDIT s’avère pour le moment assez mitigé, mais ces expériences ont été menées sans qu’une réelle volonté politique de promotion des PDE et des PDA ne se soit manifestée autrement que par leur inscription dans la loi.

Oser l’habitat économe en stationnement (Extraits du texte d’Anne FAURE, urbaniste, et de Federica CAMPINA, psychosociologue, « Les déterminants de la demande de transport dans les milieux urbains denses », janvier 2005)

Certains pays d’Europe ont développé un concept connu des milieux professionnels mais qui n’a pas encore fait l’objet d’expérimentations en France : les quartiers « sans voiture » ou « pauvres en voitures ». Ces logements sont toutefois accessibles en cas d’urgence : déménagements, ambulances, livraisons… c’est pourquoi nous avons préféré appeler ces programmes « habitat économe en stationnement ».

Le principe de ces quartiers nouveaux consiste à exploiter les économies apportées par le nombre réduit de places de stationnement sur le site et à en faire profiter les habitants. Il s’agit de négocier entre une relative privation d’autonomie et une contrepartie en termes de qualité de vie, de qualité ou de taille du logement, de surfaces d’espaces extérieurs plus étendues, privatifs ou semi-privatifs, ou d’autres avantages.

Les programmes de logements conçus selon ce principe, quartiers ou immeubles construits essentiellement en Allemagne, incluent pratiquement systématiquement un dépôt de voitures en temps partagé6 et parfois d’autres services comme une petite « centrale de mobilité ». La localisation et l’environnement de ces programmes sont des conditions incontournables : interconnexion ou excellente desserte de transports publics, proximité immédiate de commerces et de services urbains, garages sécurisés pour les vélos dans l’opération, piste cyclable à une faible distance et possibilité de stationnement pour les visiteurs, les livraisons…

En France, le taux de motorisation des habitants de la capitale intramuros est très faible (55,5% de ménages non motorisés selon le recensement INSEE 1999). Ce taux est à peine plus élevé dans les communes limitrophes. Aussi la RATP a-t-elle lancé une étude avec quelques partenaires pour savoir si l’on pouvait en France oser l’habitat économe en stationnement en milieu urbain dense, à l’instar de ce qui se pratique en Allemagne, aux Pays Bas ou à Stockholm, en liaison avec des modèles de « villes compactes » plus traditionnelles dans ces pays d’Europe du Nord.

Il résulte des études effectuées que le contexte semble favorable à l’introduction en première couronne de l’Île de France d’un tel modèle en raison de la situation foncière et immobilière très tendue. Toutefois, les modes de vie franciliens ont des caractéristiques différentes de ceux des ménages allemands.

1 Cette rédaction s’appuie en partie sur l’article d’Eric RITTER, « Dépénaliser, pour quoi faire ? » paru dans la revue « Bus et car » n° 714 de juillet 2004.

2 Infraction régie par les articles R 233-1 du Code Pénal et R 417-6 du Code de la Route : « Tout arrêt ou stationnement gratuit ou payant contraire à une disposition réglementaire autre que celle prévue au présent chapitre est puni de l’amende prévue pour les contraventions de la première classe. »

3 Cette rédaction s’appuie en partie sur la lettre du GART n°195 de juillet – août 2003 « Pour une maîtrise décentralisée du stationnement ».

4 GART : Groupement des Autorités Responsables des Transports ; AMGVF : Association des Maires des Grandes Villes de France ; FMVM : Fédération des Maires des Villes Moyennes.

5 Pierre DEVOLVE, Professeur de droit à l’Université Panthéon - Assas, à qui le groupe « décentralisation du stationnement » a confié une mission d’étude juridique portant sur ce sujet

6 ou en autopartage

Références

Ce texte est extrait d’Une Voirie pour Tous – Sécurité et cohabitation sur la voie publique au-delà des conflits d’usage – Tome 2 : Exemples et Annexes au rapport du groupe de réflexion, Conseil National des Transports (CNT), 2005, publié par le CNT et La Documentation Française en juin 2005.

Une voirie pour tous - Tome 2- pages 143-150

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