A Porto Alegre, c’est la population qui trace les destinées de la ville via « le budget participatif » ou par une co-élaboration du budget de la ville
Pascale Thys, septembre 2001
Cette fiche décrit chaque étape de la mise en place du budget participatif de la ville de Porto Alegre. Elle s’attarde par ailleurs sur l’implication progressive et croissante des citoyens dans la gestion de leur quartier et de leur ville.
Des entretiens de Patrick Sénélart (Habitat et Participation) avec la mairie de Porto Alegre ont été réalisés pour constituer ce retour d’expériences.
Contexte
Porto Alegre, municipalité d’1.300.000 habitants est la capitale du Rio Grande do Sul, l’un des 26 État du Brésil. Sa superficie est de 497km². Au niveau culturel, elle a de forts liens avec l’Argentine et l’Uruguay et est influencée par l’Italie et l’Allemagne.
Chacune des 5505 municipalités ou préfecture du Brésil est une entité politique autonome. Les municipalités, régies par une loi organique municipale, s’occupent des intérêts immédiats de la population. Cette dernière interprète la Constitution de l’État brésilien pour assurer une politique municipale au niveau de la santé, de l’éducation, du budget, etc.
Le gouvernement municipal, l’exécutif, est composé du maire, ou préfet, du vice-maire et des secrétaires administratifs (responsables administratifs). Ces derniers sont nommés par le maire. Le maire et le vice-maire sont élus au scrutin majoritaire, à deux tours dans les villes de plus de 200.000 habitants.
L’exécutif gère, propose, mais est obligé de passer par le vote de la chambre des élus pour des matières comme le budget, les orientations en matière d’impôt, les grands projets d’urbanisme, etc.
Les membres de la chambre des élus, le législatif, sont élus sur des listes distinctes à la proportionnelle via le suffrage universel direct.
Vu le système, le maire et la majorité au sein de la chambre des élus peuvent être de tendances différentes.
Origine du projet
Lors de la campagne pour les élections municipales de 1988, le projet politique du Parti du Travail1 (PT) était basé sur l’amélioration de la vie quotidienne des plus pauvres et l’initiation d’un processus qui permette le contrôle de la société civile sur le pouvoir issu des élections. Le PT se proposait de gérer la ville en s’appuyant sur des conseils populaires. Objectif : donner la possibilité à chaque citoyen de participer à l’élaboration des politiques et d’intervenir dans les décisions.
Le candidat du PT, Olivio Dutra, fut élu maire. De nombreux habitants participèrent aux réunions plénières de quartier pour demander qu’on améliore leurs quartiers. A cette époque, 98% du budget municipal était destiné aux salaires et aux dépenses de fonctionnement. Il n’était pas possible de répondre aux demandes des habitants.
Une réforme fiscale pour augmenter le montant des ressources disponibles pour les investissements fut mise en place. En une année, 15 projets de loi de nature fiscale furent soumis au vote de la chambre des élus. 14 furent approuvés.
Un des impôts levés était une taxe progressive sur l’immobilier et le foncier urbain (IPTU). Il fixait des taux supérieurs pour les habitants des quartiers bien équipés en infrastructures et réduisait son incidence sur les maisons et appartements pour l’augmenter sur la propriété foncière.
Le jour du vote à la chambre des élus (majoritairement de droite à ce moment-là - 4 élus PT sur 32) de l’IPTU, la population vint soutenir la proposition. « C’est bien la première fois que je vois la population lutter pour payer plus d’impôts » (un conseiller de l’opposition).
Ce n’est que lorsque les réformes fiscales produisirent des résultats et que les premières réalisations souhaitées par les habitants se concrétisèrent que le taux de participation aux réunions augmenta. « La ville prenait conscience peu à peu que la municipalité reconnaissait réellement les citoyens comme la source de ses décisions les plus importantes » (Tarso Genro).
De quelques centaines de participants en 1989, ils sont plus de 100.000 aujourd’hui.
Objectifs du projet
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Donner la possibilité aux habitants de changer leur qualité de vie, de devenir acteur de la gestion publique par l’exercice de leurs droits. « L’expérience du budget participatif (…) crée un nouvel espace public, où se côtoient et se rencontrent de simples citoyens, le pouvoir législatif, le pouvoir exécutif, (…) qui devient le véritable centre de décision »2.
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Créer un nouveau type d’État qui combine la représentation politique traditionnelle (élection tous les x ans de représentants) avec la participation directe et volontaire des citoyens. Les décisions prises, tout en restant de la responsabilité des élus, le sont dans l’intérêt de tous.
Population concernée
Tout habitant de Porto Alegre à partir de 16 ans.
Montage financier
Le budget municipal.
Montage légal
La Constitution brésilienne prévoit que les municipalités doivent mettre en place une constitution municipale, la loi organique municipale. Le budget relève de cette loi organique.
La loi municipale3 stipule : « au cours des phases d’élaboration, de définition et d’accompagnement de l’exécution du plan pluriannuel, la participation de la communauté est garantie dans l’établissement des directives budgétaires et du budget annuel. Cette participation s’exercera à travers les secteurs géographiques de la ville ».
Le budget participatif est donc légalisé. Les modalités de mise en œuvre sont définies par la population. Il n’y a pas de tutelle exercée sur le conseil du budget participatif.
Partenaires du projet
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La mairie et ses services administratifs :
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CRC - Coordination des relations avec la communauté
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Gaplan – cabinet de planification
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Fascom – Forum des coordinateurs de secteurs
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Crops – Coordinateurs des secteurs du budget participatif
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CTS – Coordinateurs thématiques
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Les habitants et autres participants (syndicats, mouvements communautaires, …) au processus.
Déroulement du projet
Le processus d’élaboration du budget municipal (définition des priorités, discussions, vote, …) s’étale sur 9 mois.
Le budget participatif s’applique à l’ensemble du budget municipal. Les choix et priorités de travaux (investissements) concernent 20 à 30% du budget. Mais le Conseil du budget participatif4 discute avec la municipalité de l’ensemble du budget (fonctionnement, investissement, dépenses, recettes, …).
Pour faciliter la compréhension du processus nous avons pris comme année de référence l’année 2001
Mars - Avril 2001 : Assemblées publiques de quartiers et thématiques
Elles sont coordonnées par le maire, le cabinet de la planification (GAPLAN), le service des relations avec la communauté (CRC), le coordinateur du budget participatif du secteur ou de la commission et les conseillers du budget participatif du secteur ou de la commission thématique.
En accord avec les habitants et leurs organisations, la ville a été divisée en 16 secteurs de 5.000 à 30.000 habitants suivant les affinités politiques et culturelles de leur population.
Et, pour prendre en compte la ville dans sa globalité et sa transversalité, cinq commissions thématiques ont été créées : transport et circulation ; santé et assistance sociale ; éducation, culture et loisirs ; développement économique et fiscalité ; organisation de la cité et développement urbain.
Les habitants sont informés de ces réunions par divers canaux : TV, les radios, les tracts, les journaux de quartiers, la presse associative, des voitures avec haut-parleur, …
La mairie y présente :
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l’état d’avancement des travaux prévus par le plan d’investissement de l’année 2000. Chaque plan est édité et publié sous forme de cahier des charges (détail des travaux et investissements prévus pour les différents secteurs avec services de la ville impliqués et montants). Les habitants disposent d’un document, ce qui facilite les débats et le contrôle ;
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le plan d’investissement pour l’année 2001 ;
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les règles (critères techniques de priorité retenus pour faire des choix dans le budget, comme par exemple : la population du quartier, la carence en équipement, la priorité choisie par le quartier) et le règlement intérieur (fonctionnement du processus du budget participatif : mode d’élection, calendrier, , …) arrêtés par le conseil du budget participatif pour l’élaboration du budget de l’année 2002. Un petit livre reprenant les règles est distribué à tous les habitants présents.
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Des délégués des habitants sont élus. L’élection se fait proportionnellement au nombre des participants. Par exemple : un délégué pour 10 habitants s’il y a moins de 100 participants ; 1 délégué pour 80 habitants s’il y a plus de 1000 participants. Ces délégués composent le forum des délégués du secteur. Leur rôle est de mobiliser les habitants, organiser les discussions pour déterminer les priorités, les travaux souhaités.
Avril 2001 : Processus autonome.
Des réunions sont organisées dans les rues, les quartiers, … Leur objectif est de définir les priorités thématiques. 5 thématiques sont jugées prioritaires sur les 12 proposées. Par exemple : la voirie avec l’aménagement des voies ; l’assainissement de base avec la réalisation d’égouts ; …) par quartiers et hiérarchiser les demandes de travaux et de services.
Les services de la mairie fournissent toutes les informations et critères techniques pour étudier la faisabilité.
Le forum des délégués et les deux conseillers du conseil du budget participatif de chaque secteur établissent la proposition finale.
Juin 2001
La municipalité propose son budget avec les dépenses incompressibles et les recettes estimées pour l’année 2002.
Juillet 2001
Chaque secteur et commission thématique élit ses représentants au conseil du budget participatif (2 titulaires et 2 suppléants). Le mandat des conseillers est d’un an, renouvelable une seule fois et révocable à n’importe quel moment.
Leur rôle est de veiller à ce que les choix déterminés par leur secteur et leur commission soient repris dans l’établissement du budget de l’année 2002.
15 juillet 2001 : Installation du conseil du budget participatif.
Il est composé de 32 conseillers pour les secteurs géographiques, 10 conseillers pour les groupes thématiques, un représentant de l’union des associations des habitants, un représentant du syndicat des employés municipaux, et, sans droit de vote : des coordinateurs du cabinet de la planification (GAPLAN) et de la coordination des relations avec la communauté (CRC).
Les conseillers qui le souhaitent suivent une formation sur le budget public.
Août 2001
Une matrice budgétaire effectuée par la mairie sur la base des règles et critères définis par le précédent conseil du budget participatif est transmise et discutée par les conseillers du nouveau conseil du budget participatif.
Septembre 2001
Une comparaison est effectuée entre ce qui est demandé et les recettes disponibles. Des allers et retours sont effectués entre le conseil du budget participatif et les services de la mairie.
Le 30 septembre (suivant la Loi organique) le budget est transmis à la chambre des élus.
Octobre - novembre 2001
Discussion au sein de la chambre des élus et vote du budget pour l’année 2002.
Le conseil du budget participatif retravaille sur l’ensemble des règles du processus pour l’année 2003 et discute avec la mairie du plan d’investissement de l’année 2002.
Conclusion
Pour faire écho à cette expérience, Habitat et Participation s’est attelé par la suite à faire un comparatif avec ce qui existe en Belgique en termes d’information et de participation des habitants en matière financière.
1 Le Parti des Travailleurs (PT) est issu des luttes syndicales des ouvriers des usines automobiles des environs de Sao Paulo durant la dictature militaire durant les années 1980. Ce n’est pas une gauche traditionnelle, mais un regroupement de plusieurs courants.
2 Genro T., de Souza U. 1998. p17.
3 L’article 1 de la loi 116
4 Compétences (Mairie de Porto Alegre. 1998) : - donner un avis et se positionner par rapport à la proposition du budget annuel, sur les aspects de la politique des impôts locaux, sur les travaux et activités de la planification, sur les modifications envisagées dans la planification et les investissements, sur l’application des ressources extra-budgétaires, sur les investissements prioritaires définis par l’exécutif municipal ; - décider avec l’exécutif municipal des méthodologies utilisées pour la discussion et la définition du budget et du plan de gouvernement ; - solliciter les documents techniques nécessaires aux discussions sur le budget.
Références
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Community Pride Initiative. novembre 2000. A citizens budget, Oxfam
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Genro T., de Souza U. 1998. Quand les habitants gèrent vraiment leur ville, éd.Charles Léopold Mayer, France.
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Mairie de Porto Alegre. 1998. Le budget participatif. Porto Alegre, document de travail.
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Picheral J.B. 2001. « Le budget participatif de Porto Alegre. Un processus démocratique, précis et évolutif », In Territoires, n° 416.
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Toulotte M. 2001. « Quel bilan pour Porto Alegre ? Instituer une démocratie en continu », in Territoires, n° 416.
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Réseau Capacitation Citoyenne. 2000. Pas de formation citoyenne sans action sur le réel, le budget participatif de Porto Alegre.
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« Démocratie participative et budget participatif à Rio Grande Do Sul. La globalisation néolibérale s’arrête-t-elle à Porto Alegre ?". 2000. In Socialisme Sans Frontière, année 2, trim.3, Bruxelles
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Caprioli N. 2000. « A Porto Alegre les habitants réinventent la ville », In Demain le monde, n°42-43, mars-avril, Bruxelles, pp.24-25
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Mairie de Porto Alegre. 2001. Rompons nos limites. Une première évaluation des points d’étranglement que nous vivons dans le déroulement du Budget Participatif de Porto Alegre, 18 avril.
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Journal Démocratie active (France)
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Percq P. 1994. Les habitants aménageurs, éd.de l’aube, France.
1999. Les habitants dans la décision locale, In Territoires, septembre-octobre, France -
Guidelines for transferring effective practices. novembre 1998. CityNet/UNDP/UNCHS, Thaïlande
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« Décortiquer les finances communales ». décembre 1999. In Territoires, n°402-403, France
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« Enveloppes de quartier, budgets participatifs… pour une démocratie sonnante et trébuchante ». mars 2001. In Territoires, n°416, France
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Lorthiois J. 1996. Le diagnostic des ressources locales, ASDIC, éd.W, France
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Charte européenne des libertés communales, Conseil des communes de l’Europe, 1955
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Charte européenne de l’autonomie locale. 15 octobre 1985. Conseil de l’Europe, Ratifiée par la Région wallonne en 2001.
En savoir plus
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CNCD – Stéphane Compère – Quai du Commerce, 9 – 1000 Bruxelles – Tél. : 022501230 – Fax : 022501263
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Groupe sur la participation : Patrick Bodart – rue de Hollande, 45 – 1060 Bruxelles – Tél/Fax : 025440793
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Le centre de documentation d’Habitat et Participation possède de nombreux ouvrages, textes, fichiers d’expériences et autres sur la question