Les Assises du climat - L’Union Européenne au défi de l’obligation de résultats face au changement climatique
Un élan, une volonté, des contradictions : l’Europe au milieu du gué (session 2)
Jim Cloos, Clara de la Torre, Carole Dieschbourg, Michèle Rivasi, Pierre Larrouturou, Philippe Lamberts, Pierre Calame, février 2021
Face au réchauffement mondial, comment passer à une obligation de résultat ? C’est tout l’enjeu de cette série de débats publics permettant de se familiariser avec l’idée d’obligation de résultat, d’explorer les différentes modalités possibles pour satisfaire à cette obligation et d’interpeller les pouvoirs publics sur la manière d’assumer leurs responsabilité à cet égard.
Pour passer à une obligation de résultat des États et des citoyens, on n’échappe pas au niveau européen et au niveau national à un rationnement de l’énergie fossile. Reste à définir comment pratiquer le rationnement dans un esprit de justice sociale :
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la stratégie européenne prend-elle effectivement en compte la totalité de l’empreinte carbone de la société ou seulement les émissions sur le sol européen ? Comment assumer nos responsabilités réelles vis à vis de notre empreinte ?
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le Green Deal se fixe des objectifs ambitieux de réduction des émissions et le Parlement Européen souhaite plus d’ambition encore : comment prendre ces objectifs au sérieux pour que l’Union se donne une véritable obligation de résultat et comment répartir cette obligation entre les États membres ?
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les objectifs fixés impliquent un plafond d’émissions qui se réduit d’année en année. Quel pourcentage de réduction annuelle et comment gérer ce rationnement -car c’en est un- dans un esprit d’efficacité et de justice sociale ?
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notre cycle de débats s’achève en synthèse le 8 avril. Joe Biden a convié un sommet mondial le 22 avril. Les actions en justice (voir l’Affaire du Siècle en France) conduisent de façon de plus en plus constante le devoir de respect par les pouvoirs publics des objectifs chiffrés qu’ils se sont eux-mêmes fixés. L’Union revendique un leadership au plan mondial dans la lutte contre le dérèglement climatique. Comment faire en sorte que face aux Américains et aux Chinois, l’Union porte une vision renouvelée de la responsabilité des acteurs publics et privés, vis à vis des GES, et une proposition d’obligation de résultat ?
Cette seconde séance a réuni un panel de six intervenants de très grande compétence. Jim Cloos, tout récemment retraité de son rôle de directeur général au Conseil de l’Union Européenne, a su replacer dans une perspective historique longue le dialogue entre les États membres sur le réchauffement climatique. Clara De la Torre, directrice générale adjointe de la DG CLIMA à la Commission Européenne a évoqué les avancées les plus récentes de l’élaboration du nouveau Pacte. Carole Dieschbourg, ministre de l’environnement et du développement durable du Luxembourg nous a décrit l’engagement de son propre pays. Trois députés européens, Michèle Rivasi, membre du groupe des Verts, Pierre Larrouturou, groupe de l’Alliance progressiste des socialistes et démocrates, et Philippe Lamberts, co-président du groupe des Verts au Parlement Européen ont partagé leur analyse de la portée et des contradictions de l’action européenne actuelle face au défi climatique.
Un dialogue constructif
On ne peut qu’être frappé par l’excellent accueil réservé par les intervenants à l’initiative citoyenne des Assises du climat. Les uns et les autres ont souligné que les incitations et pressions de la société civile avaient contribué de manière décisive à ce que l’ensemble des institutions européennes fassent de la lutte contre le réchauffement climatique une priorité majeure de la présente législature. Sans cet engagement d’ensemble de la société à faire évoluer le mode de vie de la société, il serait impossible pour les institutions européennes d’assumer leur responsabilité vis-à-vis du climat.
Frappé aussi par le sérieux avec lequel chacun a écouté les autres. Non pas unanimisme et absence de critiques mutuelles mais respect à l’égard des rôles respectifs des institutions européennes qui ont toutes à assumer aujourd’hui des contradictions majeures : contradictions entre les États membres ; contradictions entre des politiques qui se sont juxtaposées de décennie en décennie ; contradictions entre les objectifs affichés, et dont la bonne foi n’a pas été mise en cause, et les moyens réellement déployés pour les atteindre. Ce mélange de rigueur et de bienveillance mutuelle laisse à penser qu’autour des exigences d’obligation de résultat des progrès considérables pourraient être accomplis si le dialogue se poursuivait sur ce sujet entre les institutions européennes et avec l’ensemble de la société.
L’Union européenne, le bon niveau auquel porter l’ambition climatique
Nul ne doute que l’Union Européenne est, pour nos sociétés, la bonne échelle à laquelle définir et mettre en œuvre une obligation de résultat vis-à-vis du réchauffement climatique, assumer les responsabilités de la société à l’égard de son impact sur le climat et la biosphère. Et, ce, pour deux raisons :
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le marché unique, qui reste le socle fondateur de l’Europe, rend très difficile une transformation du modèle de développement à l’échelle d’un seul pays ;
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et face au défi de protection d’un bien public mondial comme le climat, qui impose une coopération internationale d’une nouvelle ampleur, c’est l’Union Européenne, et non chaque État membre pris isolément, qui peut porter des propositions nouvelles susceptibles, ou d’entraîner l’adhésion des autres, ou de porter atteinte au dynamisme économique des régions du monde qui ne joueraient pas le jeu de la protection du climat.
Une volonté politique nouvelle d’agir face au dérèglement climatique
Tous les intervenants reconnaissent la prise de conscience progressive par les institutions de l’Union Européenne de l’enjeu climatique et de la nécessité de mettre en place des politiques à hauteur de cet enjeu. Cela se vérifie dans la longue durée, comme l’a rappelé Jim Cloos, depuis l’initiative 20/20/20 de décembre 2008, qui fixait pour ambition pour 2020 la réduction de 20 % des émissions, une part des énergies renouvelables représentant 20 % et 20 % de gain d’efficacité énergétique. Cette ambition qui, à la veille du Sommet de Copenhague de décembre 2009, semblait audacieuse est, rétrospectivement, hors d’échelle avec l’ampleur des transformations à accomplir pour préserver le climat. L’ambition a été rehaussée en 2014 pour porter l’objectif de réduction d’émissions de gaz à effet de serre à 30 % d’ici 2030, au lieu de 20 %. Et surtout, fin 2020, un important Conseil Européen a réévalué radicalement cette ambition, et les moyens mis à son service, en fixant cette fois un objectif de neutralité carbone en 2050 et de réduction de 55 % des émissions de gaz à effet de serre d’ici 2030, en allouant 30 % du plan de relance de 1500 milliards d’euros à cet objectif . Unanimité dans l’ambition malgré les profondes divergences d’intérêts entre les États membres, à l’issue d’un véritable marathon et malgré le fait que l’énergie reste en théorie une compétence nationale. Jim Cloos l’a résumé en conclusion de son propos : « La réponse de l’Europe ne sera pas toujours à la hauteur de vos espoirs mais la volonté politique est là ».
Clara de la Torre de son côté a exposé l’état d’avancement du « paquet législatif » qui réunira l’ensemble des moyens dont veut se doter l’Union Européenne pour atteindre cet objectif. Elle a souligné que ce « paquet législatif » toucherait de très nombreux domaines, la réforme du système d’échange de quotas entre entreprises (ETS), les standards d’émission des voitures, la conception des infrastructures, les émissions de gaz à effet de serre par l’agriculture, etc…
Philippe Lamberts a confirmé le profond changement d’atmosphère qui s’était opéré entre la Commission présidée par Jean-Claude Juncker et la nouvelle Commission présidée par Ursula von der Leyen. Ce changement se manifeste de deux façons ; d’une part, la discussion actuelle aurait été impossible il y a encore un an et demi ; de l’autre, la mondialisation néolibérale qui avait été la doxa de l’Europe pendant plusieurs décennies, se trouve maintenant sur la défensive. Ce contexte, avec le retour des États-Unis dans l’accord de Paris, est favorable à des initiatives ambitieuses. Le fait que la pandémie du Covid n’ait pas fait renoncer à l’ambition du nouveau Pacte Vert est le signe de la prise de conscience qu’il faut, comme le dit Pierre Larrouturou, s’attaquer à la question du climat « pour de vrai et pas pour de rire » comme ça a été le cas jusqu’à présent.
Un fossé qui demeure entre l’ambition et les moyens mis en œuvre
Cette forte volonté politique ne rend que plus criante la difficulté de l’Union Européenne à se mettre à la hauteur de cette vitale ambition.
Premier reflet de cette difficulté, le nouveau Pacte Vert reste enfermé dans la logique de souveraineté qui a présidé depuis trente ans aux négociations climatiques : la Commission n’est pas en mesure d’évaluer l’empreinte carbone totale de la société européenne comme l’a fait le Haut Conseil au Climat pour la société française. Tout au plus peut-elle dire que le rythme de réduction de cette empreinte est « probablement comparable au rythme de réduction des émissions nationales », mais cela ne nous dit rien sur l’effort à faire pour effectivement ramener l’empreinte totale de la société européenne à une hauteur compatible avec la lutte contre le réchauffement climatique.
De même, le nouveau Pacte Vert ne s’est pas imposé de véritable obligation de résultat et, a fortiori, d’obligation de réduction de l’empreinte carbone de la société année après année. L’existence d’une cible ambitieuse de réduction d’ici 2030 (55 % des émissions de gaz à effet de serre sur le territoire européen) ne dit rien quant à la capacité du « paquet législatif » en cours de préparation à atteindre cet objectif. Certes, ce Pacte Vert est « pour de vrai » mais sa logique reste de même nature que toutes les lois climats et stratégies bas carbone adoptées depuis 1992 et dont on sait qu’aucune n’a été à la hauteur de l’enjeu.
L’«ajustement carbone aux frontières », pour inciter les partenaires commerciaux de l’Europe à mettre en place des filières internationales de production moins émettrices en gaz à effet de serre reste dans le flou le plus total, qu’il s’agisse des exigences concrètes qui seront formulées ou qu’il s’agisse de la compatibilité de ce dispositif avec l’Organisation Mondiale du Commerce.
Quant à la responsabilité effective des acteurs politiques, administratifs ou économiques à atteindre les résultats désirés, il n’en est pas dit un mot. Or on sait que dans l’état actuel du droit, les condamnations de ces acteurs pour « inaction climatique » reste purement symbolique.
La difficulté à adopter une démarche cohérente entre les différentes politiques européennes
Autre symptôme du fait que l’Union Européenne reste au milieu du gué, les contradictions actuelles entre les différentes politiques européennes, soulignées par Carole Dieschbourg et Michèle Rivasi. L’histoire d’une société et de sa gouvernance, c’est toujours l’histoire de politiques publiques qui se mettent en place à différentes époques, donnent naissance à des institutions et des groupes d’intérêt ou des idéologies associées à chacune de ces époques, l’existence de ces idéologies et groupes d’intérêt contribuant ensuite à perpétuer les politiques alors même que leur raison d’être initiale a disparu. Et, lorsque les sociétés changent vite, on se heurte à un second paradoxe : quand des dispositifs ou traités nouveaux nécessitent de longues années voire des décennies de négociation, il y a fort à parier qu’au moment où ils aboutissent ils ne correspondent plus aux besoins de la société. Les députés européens intervenant à la séance, ont donné différents exemples de cette stratification de politiques contradictoires entre elles.
L’unification du marché européen a été, lors du traité de Rome en 1957, la condition même de la construction de l’Union Européenne, dès lors que la tentative d’union politique avait échoué avec l’Initiative européenne de défense. Cette « raison d’être » initiale de l’Europe a débouché sur la doxa du libre-échange qui continue à prévaloir dans les institutions européennes même quand ses effets pervers, en terme d’impact sur la biosphère ou en terme d’inégalités sociales, deviennent patents et même quand les États-Unis sous la présidence de Trump prennent soudain cette doxa à revers.
De même, la Politique Agricole Commune, adoptée dans les années 60 et dont l’objectif premier avait été l’autosuffisance alimentaire de l’Europe, a fait naître une doctrine de la modernisation productiviste de l’agriculture qui n’a pas encore été sérieusement renversée malgré ses contradictions avec l’action climatique.
Le Traité de la Charte de l’Énergie, TCE, adopté en 1998, avait pour but d’harmoniser le marché international de l’énergie et de favoriser les investissements dans la production d’énergie et devient un obstacle quand les États décident, pour préserver le climat, de fermer des centrales thermiques.
Quant aux grands accords bilatéraux, par exemple l’accord sur le Mercosur, celui-ci finit par aboutir, comme le souligne Michèle Rivasi, au moment où ses contradictions avec le Pacte Vert sont patentes et que la déforestation en vue de la production de biens agricoles destinés à l’Europe est reconnue comme une composante non négligeable de l’empreinte carbone des sociétés.
Le changement de modèle économique n’est pas encore engagé
Tous les intervenants ont souligné le fait que le changement de modèle de développement, qui conditionne la capacité à atteindre les objectifs affichés, suppose non seulement une action publique résolue mais aussi et surtout l’engagement des autres acteurs : les citoyens, au profit d’un modèle de vie plus frugal (comme le souligne Jim Cloos, il ne suffit pas d’agir sur l’offre, il faut aussi agir sur la demande), les entreprises, dans une volonté de mettre en place des filières de production durables ou les institutions financières et des épargnants. Mais les conditions dans lesquelles les uns et les autres pourraient s’engager constituent un angle mort du nouveau Pacte Vert. Et il ne suffira pas, comme l’évoque Clara de la Torre, d’inviter ces différents acteurs à signer un pacte pour le climat pour y parvenir.
Trois conditions de réussite ont affleuré au cours de la séance :
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associer réellement les citoyens à la définition du nouveau modèle de développement. À l’évidence, cela implique que cette invention avec les citoyens soit au cœur de la Conférence sur le futur de l’Europe, qui va s’ouvrir au mois de mai 2021. Or à l’heure actuelle, cette conférence se centre sur l’agenda actuel de la Commission plutôt que sur les grands défis du futur. Il faudrait en outre qu’au-delà des panels de citoyens mentionnés de manière assez timide par les orientations du Conseil en date de janvier 2021, cette conférence sur le futur de l’Europe soit une véritable dynamique de démocratie délibérative ;
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il n’y aura pas d’adhésion des citoyens à une telle transformation du modèle de développement et des modes de vie sans équité sociale. Les mécanismes à mettre en place par le nouveau Pacte Vert doivent donc combiner : obligation de résultats et égale distribution à tous les citoyens, ou des quotas d’énergie découlant de l’obligation de résultat, ou des dividendes tirées d’un prix élevé du carbone. Or ces mécanismes n’apparaissent pas encore ;
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enfin, comme l’a rappelé Carole Dieschbourg, la philosophie du Pacte Vert repose sur un découplage radical entre développement du bien-être de tous et consommation d’énergie fossile. Aujourd’hui les mécanismes de ce découplage n’ont pas encore été mis en place.
Le Pacte appelle une gouvernance à multi-niveaux
Carole Dieschbourg a également souligné le fait que le nouveau Pacte Vert doit se décliner à toutes les échelles territoriales et se retrouver en particulier à l’échelle des plans climat des collectivités locales. Sa mise en œuvre devra donc s’inspirer des principes énoncés pour l’élaboration des politiques européennes : gouvernance à multi-niveaux, proportionnalité, subsidiarité active. La manière dont le plan de relance européen et en particulier les 30 % consacrés à la transition écologique, traduira ces trois principes sera une des conditions de son succès.