La terre est à nous ! Pour la fonction sociale du logement et du foncier, résistances et alternatives
Charlotte Mathivet, 2014
Le choix du thème du numéro de la collection Passerelle part du constat que de nombreux mouvements sociaux, chercheurs, organisations sociales, autorités locales et nationales et organismes internationaux sont préoccupés par la question de la fonction sociale du foncier et du logement, et ce, dans le monde entier. Grâce à la contribution de nombreux acteurs, ce numéro porte des analyses et des expériences dédiées aux avancées de la fonction sociale du foncier et du logement dans différentes régions du monde. Apporter une analyse sur ses enjeux est d’une importance cruciale pour soutenir les luttes pour le droit au logement, à la terre et à la ville pour toutes et tous.
Le premier chapitre intitulé « L’insécurité des habitants urbains et ruraux face à leurs droits immobiliers et fonciers » vous propose un décryptage d’un certain nombre de concepts parfois obscures, comme la sécurité de la « tenure » (traduction littérale de l’anglais, à laquelle nous avons préféré « sécurité de l’occupation »). Ce chapitre analyse les enjeux fonciers, tant en milieu rural qu’en milieu urbain pour comprendre comment les résistances et les alternatives autour de la fonction sociale du foncier ont tout leur sens.
Tout au long de cette publication, nous répondons aux interrogations posées par la question de la propriété qui est encore dans la plupart des pays au cœur même des mentalités et des constitutions.
C’est ce que nous explique Albert Jacquart, dans son dernier texte , « concept-propriété » : « Il n’est donc pas étonnant que la plupart des constitutions fassent figurer le droit de propriété dans la liste des Droits de l’Homme. Il s’agit d’assurer la stabilité du cadre au sein duquel se construisent les personnes. Initialement, la propriété évoquée par ce droit était celle de biens utiles à la vie quotidienne ou au maintien de la cohésion sociale. Le champs de l’appropriation s’est progressivement élargi et s’est éloigné de ce qui le légitimait. De nombreuses sociétés ont complété le droit d’usage par le droit de transmission sous la forme de l’héritage ; l’appropriation a ainsi été étendue au-delà de la succession des générations. Mené à son terme, ce processus ne peut aboutir, dans un univers limité, qu’à un blocage généralisé par épuisement des biens encore disponibles. »
Le bien fondé et l’inéluctabilité de la propriété privée est un argument ancré dans de nombreuses sociétés. Peu nombreux sont ceux qui se voient évoluer dans la vie sans posséder un logement ou un terrain. Même si cela veut dire s’endetter pendant des années, voire payer son logement trois à quatre fois plus cher que sa valeur initiale, ou encore le perdre en plus de devoir rembourser son emprunt en cas de non capacité de paiement, comme le montre l’expérience espagnole depuis la crise de 2008.
L’injustice qui en résulte, entraîne des soulèvements, des révoltes des populations aspirant à plus d’égalité et de justice sociale. Dans le chapitre deux : « Le droit à la terre, l’accès au foncier: un enjeu majeur déclencheur de révoltes », la question foncière est un dés éléments déclencheurs de grandes mobilisations, comme on a vu à Istanbul, à Rio, São Paulo ou pendant le printemps arabe. C’est aussi le cas en milieu rural si l’on prend les luttes des peuples autochtones, en Amérique du sud et du nord ainsi que les résistances face au processus d’accaparement des terres. .
Si l’on considérait que le foncier, rural ou urbain, agricole ou d’habitat, avait une fonction indispensable pour la vie de tout être humain, comme l’eau ou l’air, et que la valeur d’usage serait prioritaire sur la valeur d’échange, nos villes et nos campagnes ne seraient-elles pas différentes ?
Il nous faut alors réfléchir à des formes de relation à la terre différentes de la propriété, c’est à dire différentes du droit d’abuser, de spéculer et d’exclure les autres, comme le pratique les peuples autochtones. Le chapitre trois « Propositions d’actions pour la fonction sociale » présente différentes formes d’utilisation, d’occupation du foncier et du logement, qui peuvent être collectives, pour mieux répondre à l’objectif de justice sociale.
L’Amérique latine nous montre les avancées qu’elle a réalisé, grâce à la lutte des mouvements sociaux depuis déjà des décennies, notamment au Brésil où la notion de fonction sociale de la propriété a été introduite dans sa constitution (Article 23, Constitution du Brésil, 1988), bousculant ainsi la sacro-sainte notion de propriété privée, celle-ci devant en effet répondre à une fonction sociale et qui plus est ayant pour but, plus de justice sociale. Cela limite certes les abus, notamment des grands propriétaires fonciers, sans pour autant garantir totalement la justice sociale en matière de foncier et de logement dans le pays.
Cela nous montre bien que les avancées juridiques, très souvent obtenues par les mouvements sociaux, sont indispensables pour gagner des droits mais doivent être accompagnées d’une constante vigilance des citoyens quand à l’application réelle de ces droits conquis, le droit à la propriété privée restant prépondérant.
La particularité de ce numéro tient à l’éclairage mis sur l’alliance possible entre les habitant-e-s et les paysan-ne-s, entre les enjeux ruraux et urbains. Vous trouverez ainsi de nombreuses pistes d’analyse des points communs, des alternatives et des résistances dans le monde entier.
12 analyses
- Les « Community land trust » ou la propriété commune de la terre
- Community Land Trusts or Common Land Ownership
- Se réapproprier le droit pour retrouver une prise sur l’usage du foncier
- Les agences immobilières à vocation sociale : un programme de logement innovant en Hongrie
- Les formes coopératives, communautaires et collectives d’occupation du foncier et leur contribution à la fonction sociale du foncier et du logement
- Dévitaliser le droit de propriété de sa substance spéculative
- Récupérer la ville comme espace de lutte anticapitaliste
- Consolider les droits fonciers urbains populaires par des formes juridique et urbaine en Afrique de l’Ouest
- La sécurité du foncier : une introduction
- The security of tenure : an introduction
- « Socialiser » le foncier en le soustrayant au jeu de la spéculation
- La fonction sociale du foncier et la sécurité de l’occupation
19 études de cas
- Re-Shaping the City by Making Urban Land Accessible : The Case of Housing Cooperatives in Uruguay
- Terre et facteurs d’empowerment des femmes : le mouvement coopératif en Égypte
- La fonction sociale de la propriété : entre revendications sociales et décisions de justice dans la campagne brésilienne
- L’Andalousie ouvre la voie : occupations populaires et réponse institutionnelle
- Les fonctions sociales de la propriété en Amérique latine
- La nécessaire reconnaissance d’un droit d’usage opposable à la vacance en France
- La lutte contre les accaparements de terre au Mali
- Terres et ressources à Madagascar : résistances des populations versus nouvelles convoitises
- Avancées juridiques contre les accaparements de terre au Bénin
- Les terres palestiniennes comme principal axe de conflit face à l’occupation et au colonialisme
- La lutte du peuple Mapuche au Chili entre terres et territoires
- Le rôle des groupements résidentiels dans la dévaluation du capital social lakota oglala
- Les voies vers le développement de la fonction sociale de la propriété au Brésil : entre avancées et tensions sociales
- Les racines urbaines de la révolte de Gezi à Istanbul
- Les terres du Printemps arabe
- Droit d’héritage, droit coutumier : un frein à l’émancipation des femmes en Côte d’Ivoire
- Sécurité de l’occupation et fonction sociale de la terre en Inde
- La reconstruction de Port-au-Prince après le séisme de 2010 : un problème foncier ?
- Villes néolibérales et vulnérables. Entre reconstruction post-désastres et résistances au Chili