Les politiques de résorption de l’habitat informel : Influence des organisations internationales et contradictions de l’action publique
Phnom Penh, CAMBODGE
Valérie CLERC, 2014
Centre Sud - Situations Urbaines de Développement
Cette fiche présente la problématique de la régularisation foncière dans la capitale cambodgienne où la volonté affichée des autorités locales et nationales se heurtent aux multiples conflits d’intérêt qu’elles entretiennent avec les investisseurs locaux.
Une action publique mêlant des politiques antagonistes
Qu’en est-il de l’histoire récente des politiques de réhabilitation et de déplacement des quartiers informels de Phnom Penh ? La loi foncière a été adoptée en 2001. Elle prévoit de fournir gratuitement, sous certaines conditions, un terrain aux familles qui n’ont pas les moyens d’en acheter, dans des lotissements réalisés sur le domaine privé de l’État. Le Ministère de l’aménagement du territoire, de l’urbanisme et de la construction (MATUC), appuyé par la Banque Mondiale et les coopérations finlandaise et allemande, ont mis en œuvre à partir de 2002 un projet de gestion et administration foncière pour établir les politiques foncières et enregistrer tous les terrains du Cambodge en 15 ans. Des dispositions y sont prévues pour les communautés de pauvres. En 2003, les expulsions et le déplacement des quartiers informels ont été officiellement abandonnés et une politique de régularisation et de réhabilitation des quelques 500 quartiers recensés a été annoncée par le Premier ministre. En revanche, aucune politique nationale du logement n’a vu le jour. Les premiers projets de réhabilitation ont été réalisés sans que personne ne les coordonne ni ne les compte officiellement. Et il n’y a quasiment pas eu de diffusion de l’information. Les investisseurs souhaitant intervenir sur des terrains occupés ne découvraient parfois la promesse du Premier ministre qu’à l’occasion de rencontres avec des associations d’habitants.
Dans ce cadre, 100 quartiers par an ont bien été réhabilités au début du processus, mais leur régularisation foncière a tardé à se mettre en place. Celle-ci se fait en articulation avec la politique foncière et, de fait, les rares amorces de régularisation sont liées au processus d’enregistrement des terrains. Peu d’habitants sont donc susceptibles d’obtenir le titre foncier annoncé par le Premier ministre. Des projets de land sharing (redistribution foncière) butent également sur la question foncière. Les projets de réhabilitation, de déplacement et de land sharing ont donc été poursuivis, sans cadre formel, tandis que la politique foncière était développée en parallèle.
Dans les faits, cette politique de régularisation et de réhabilitation annoncée n’a été ni formalisée ni suivie de tous les effets escomptés, car un autre mouvement, auquel participaient également les membres du gouvernement – parfois les mêmes –, allait dans le sens opposé et en empêchait la réalisation complète, rendant peu lisible l’action publique. Si tous les acteurs municipaux et gouvernementaux se rejoignaient autour du discours du Premier ministre sur la nécessité d’une action en faveur des pauvres, tous n’étaient pas convaincus de la priorité à accorder à cette action sur d’autres.
Sur le principe, la politique annoncée allait dans le sens des actions de lutte contre la pauvreté que la municipalité avait réalisées les années précédentes. Mais dans la pratique, sur chaque terrain qui doit faire l’objet d’une réhabilitation, il y a des conflits d’intérêts. Les terrains occupés par des familles, qui parfois y ont des droits, sont dans le même temps attribués à des investisseurs, lesquels ont souvent partie liée avec des autorités ou des membres du gouvernement. L’arbitrage, qu’il soit politique ou judiciaire, se fait alors souvent en faveur des investisseurs, qui veulent que le terrain soit libéré. En conséquence, les éventuelles régularisations en cours n’aboutissent pas, même quand le quartier est déjà réhabilité. La politique foncière du gouvernement joue un rôle important dans ce mouvement. La pression foncière s’est fortement accentuée. Les investisseurs cherchent à acquérir rapidement la moindre parcelle non encore attribuée et en particulier les terrains et bâtiments de l’État. Le gouvernement cède ses édifices publics aux investisseurs en échange de terrains en banlieue sur lesquels sont reconstruits de nouveaux équipements. Des quartiers informels sont parfois installés sur une partie de ces terrains publics et leurs habitants doivent alors partir.
Reste que les contradictions de l’action publique gouvernementale reflètent celles des idées portées par l’aide internationale. Car, si les Nations unies, la Banque mondiale et les réseaux et organisations internationales encouragent la mise en place d’une politique de régularisation des quartiers informels et de logement pour les pauvres, l’aide de la Banque mondiale à l’établissement de la politique cadastrale stimule le marché foncier et mène à la bipolarisation des situations foncières.
Références
Valérie CLERC, « Du formel à l’informel dans la fabrique de la ville, Politiques foncières et marchés immobiliers à Phnom Penh » in Espaces et Sociétés n°143, décembre 2010, p. 63-79.
Valérie CLERC, « Les politiques de résorption de l’habitat informel à Phnom Penh. Influence des organisations internationales et contradictions de l’action publique » in Géocarrefour, vol. 80 3/2005.