Restructurations urbaines et démolitions de l’habitat précaire

Delhi, INDE

Véronique DUPONT, 2014

Centre Sud - Situations Urbaines de Développement

Cette fiche présente les conséquences de la rénovation urbaine de Delhi visant à en faire une ville globale de rayonnement international. Ces projets « d’embellissement » passent par l’éradication des bidonvilles qui entraînent des déplacements de population en périphérie mais aussi un déplacement du problème de l’habitat précaire.

Delhi, capitale de l’Inde, au cœur d’une région métropolitaine très dynamique, a connu des restructurations urbaines majeures ces quinze dernières années.

L’expansion spatiale de Delhi : 1950-2008 (Carte 1)

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Cette expansion spatiale englobe de facto des villes périphériques en croissance rapide, situées au-delà des limites administratives du Territoire de Delhi, dans les États limitrophes. Cette agglomération urbaine polycentrique compte à présent environ 24 millions d’habitants. Selon les premiers résultats de recensement de 2011, la population du seul territoire de Delhi atteint 16,8 millions, contre 13,8 en 2001. Ces chiffres révèlent un ralentissement très net du taux de croissance, attribué en grande partie aux démolitions massives de bidonvilles – ou slums. La construction d’infrastructures modernes, les projets immobiliers et de grands centres commerciaux et d’affaires, ainsi que les campagnes « d’embellissement », plus particulièrement avant les Jeux du Commonwealth de 2010, ont en effet entraîné de nombreuses démolitions et déplacements de population. Delhi avait déjà une histoire de « nettoyage urbain » pour faciliter son développement : en 1975-77, pendant l’État d’Urgence, plus de 150 000 familles ont été déplacées des taudis de la vieille ville et des bidonvilles vers des lotissements de réinstallation – des trames d’accueil – en périphérie ; les Jeux Asiatiques de 1982 ont également été précédés par des opérations d’embellissement et d’éradication des bidonvilles.

La population des slums et l’ampleur des démolitions depuis 1990

En 1998, la population résidant dans les slums – ici des camps de squatteurs – était estimée à 3 millions dans la ville même de Delhi, éparpillée dans environ 1100 camps de taille variée, n’épargnant aucun secteur de l’agglomération (carte 2). Ces trois millions de squatteurs représentaient environ 27 % de la population de Delhi (18 % en 1991) mais occupaient moins de 6 % de la superficie urbaine, essentiellement des terrains publics. Ces chiffres soulignent ainsi la très grande inégalité dans l’accès au foncier, au détriment des plus pauvres.

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De 1990 à 2008, au moins 221 camps de squatteurs ont été démolis et 65 000 familles – soit environ 325 000 personnes - ont été transférées sur des trames d’accueil en périphérie. Cependant, derrière ces chiffres officiels on doit également évaluer le nombre, considérablement plus élevé, de familles qui ont été délogées de leur lieu de vie, et dont les maisons, si précaires soient-elles, ont été démolies. L’application d’une date d’installation butoir (sur le site initial) dans tout programme de réinstallation exclut nécessairement un grand nombre de familles considérées comme « non éligibles ». En outre, si les familles éligibles ne sont pas en mesure de satisfaire toutes les conditions posées, en particulier le versement de charges, elles perdent de facto leur droit d’accès à une parcelle. Ainsi, environ 40 000 ménages ont été expulsés des slums situés sur les berges de la rivière Yamuna en quelques mois (photos 5 et 6) alors que le nombre total de familles officiellement réinstallées est de 65 000 pour la période 1990-2008.

Le graphique ci-dessus montre l’évolution des démolitions de camps de squatteurs accompagnées d’un transfert des familles délogées sur des trames d’accueil. L’intensification des évictions (fin des années 1990 et début des années 2000) correspond au lancement d’un ambitieux plan d’embellissement du front de la rivière. Le second pic, en 2006-07, reflète l’accélération des travaux publics et des aménagements pour les Jeux du Commonwealth. Le ralentissement des démolitions depuis 2008 ne signifie pas l’arrêt des démolitions de slums mais plutôt des démolitions de « dernière minute », avant les Jeux du Commonwealth, sans programme de réinstallation.

La carte montre que les démolitions se sont produites sur l’ensemble de l’aire urbaine. Les plus importantes ont affecté les zones centrale et sud de l’agglomération, concentrant les quartiers de classes aisées et le voisinage de l’aéroport international. Les démolitions ont également affecté les bidonvilles situés sur les berges de la Yamuna, pour la mise en œuvre du plan de re-développement du front de rivière et la construction du village des athlètes, et ce en dépit des protestations des environnementalistes, car ces aménagements se situent dans la zone inondable et de recharge des eaux souterraines. De même, les lotissements de réinstallation aménagés ces 20 dernières années pour les habitants des slums éradiqués se situent encore plus loin que les précédentes trames d’accueil et les sites d’habitat initiaux, jusqu’à 30 km du centre-ville.

Les restructurations urbaines décrites s’inscrivent dans le cadre d’une capitale aspirant au statut de « ville globale », et un contexte international promouvant des villes « libérées » de leurs bidonvilles. Cependant, la destruction des slums sans réhabilitation adéquate a repoussé plus loin les occupations illégales sans apporter de solution durable à l’habitat des plus pauvres.

Références

Véronique DUPONT (Directrice de recherche, Institut de Recherche pour le Développement –IRD) Extrait de communication « Access to land and housing for slum dwellers in Delhi: the impact of infrastructure projects and real estate development », in Urban India: Historical Processes and Contemporary Experience, Yale University, USA, 29 avril – 1er mai 2011