Quand des habitants parviennent à arrêter la construction d’une autoroute urbaine
Karachi, Pakistan
2014
Centre Sud - Situations Urbaines de Développement
Cette fiche présente la mobilisation des habitants contre les démolitions de leur habitat et de leurs lieux de vie prévues pour le passage d’une autoroute, faisant la liaison entre le Pakistan et l’Afghanistan.
Mégaprojets et expulsions forcées
Les mégaprojets liés aux Jeux Olympiques, Coupe Mondiale de football, Jeux du Commonwealth, ou à des grands projets des villes globales (terrain de golf, piste de formule 1, marina, autoroute urbaine, etc.) sont parmi les causes principales des expulsions forcées et de la souffrance de centaines de milliers de pauvres dans le monde entier.
Karachi, 15 millions d’habitants, est une ville en pleine croissance avec de multiples grands projets. L’un d’entre eux est particulièrement stratégique. La voie aérienne express qui part du port devrait passer le long des quelques rares « rivières » de la ville, en faisant un égout à ciel ouvert. Elle rejoindrait la partie nord, permettant ainsi de transporter, entre autres, les produits importés par les Américains en direction de l’Afghanistan (armes, nourriture pour l’armée, équipements, etc.). L’essentiel des importations américaines vers ce pays transitent par Karachi. Le poids stratégique et géopolitique est clair et loin des intérêts des habitants pauvres s’entassant le long de la rivière Lyari ou vivant dans les huit districts touchés par le projet.
25 000 maisons détruites depuis 2002
Le projet Lyari Expressway (LEW) a été proposé en 1989 et relancé en 2000 par les autorités responsables des routes nationales. Bien que les destructions aient commencé en janvier 2002, l’administration n’avait pas fourni les détails du projet, ni une analyse d’impact économique ou environnementale. Selon M. Haji Jan Mohammed, »Le Lyari Expressway est en cours de construction pour un coût de Rs 22 milliards (260 millions USD)« […] »dans une ville où un très faible pourcentage de personnes possèdent un véhicule privé. Selon les estimations du gouvernement, le projet devait démolir 11 964 logements, 42 lieux de culte et 1 035 magasins, ateliers et usines« . Mais, selon une enquête récente réalisée par le Urban Resource Centre (UCR), ce sont 25 000 maisons, 146 lieux de culte, 110 écoles, 3 470 unités commerciales, 58 lieux d’ateliers et 250 étages loués ou non qui ont été rasés.
Résistance et répression au village Hasan Aulia
Le village d’Hasan Aulia, inclus dans le plan de démolition du LEW, est un des plus vieux quartiers de Karachi, et c’est aussi là que les équipes de démolition ont rencontré le plus de résistance. En 2000, les habitants d’Hasan Aulia Village se sont vus notifier que six cents familles seraient expulsées.
Un groupe de représentants du village a été désigné par les familles pour participer à la réunion de présentation du projet en présence du maire. C’est après cette réunion que les foules en colère, composées d’hommes et de femmes, ont commencé les manifestations de résistance. Le sort des habitants du quartier a été exprimé à l’échelle internationale par des ONG, à l’instar du Centre on Housing Rights and Evictions (COHRE) et c’est à la suite de nombreuses manifestations et de pétitions que la Banque Asiatique du Développement a stoppé le financement du projet durant une période.
La résistance paie. Les premières victoires
A ce jour, le côté sud du LEW a été achevé et est opérationnel. Le côté nord de l’Expressway n’est toutefois pas terminé car trois communautés résistent encore et ont porté le cas devant la justice. Il s’agit d’une première victoire et d’un renouveau d’espoir pour de nombreuses communautés menacées. En effet, les communautés, se battant contre les démolitions illégales, ont trouvé l’argent nécessaire afin de porter le litige devant la Haute Cour et ont assisté aux procès en nombre. Ils ont organisé des assemblées populaires, des conférences, parlé aux journalistes pour expliquer leurs situations. Plus d’un millier d’organisations centrées sur les droits de l’Homme et le droit au logement dans le monde entier ont adressé des courriers au Président du Pakistan. Les communautés ont enfin pris part à la préparation d’une proposition alternative de l’Expressway, réduisant ainsi le nombre de familles touchées. Elles ont recruté des experts en ingénierie et en planification pour les représenter face au gouvernement dans l’examen du projet.
Détermination des habitants, luttes populaires, couverture médiatique
En conclusion, la détermination des habitants, les multiples formes de lutte, malgré la répression et la couverture médiatique accordée à la résistance organisée ont obligé le gouvernement à négocier avec les communautés et à offrir des compensations acceptables pour les expulsions.
Références
Yves CABANNES (Professeur, Development Planning Unit, University College London) Cabannes,Y, (coord.), Guimarães Yafai J, Johnson, C, (2010:6), How people face evictions, final research report, DPU/UCL-BHSF, London.