Du village au quartier informel périurbain en cours de densification : le cas d’El Hallus.
Ismaïlia, ÉGYPTE
Bérangère DELUC, 2014
Centre Sud - Situations Urbaines de Développement
Cette fiche retrace le développement urbain d’une petite ville égyptienne depuis la fin du XIXe siècle et permet d’évoquer la complexité de l’aménagement urbain, surtout lorsqu’il est massif et soudain.
Du village au quartier et squat de terrain péri-urbain
Du village au quartier : construction d’El Hallus
La première famille à s’installer sur la dune, vers 1880 (période de construction du canal de Suez), donne son nom au village. Elle s’installe à l’extrémité nord-ouest le long de l’actuelle route principale qui constituait un axe majeur pour rejoindre les bases de contrôle du canal sous le protectorat français. Le village se développe dans un premier temps le long de cette route, pour s’étendre vers le nord et l’extrémité est, ce qui explique l’urbanisation en lanière autour de rues secondaires. Les regroupements familiaux dessinent des poches d’urbanisation peuplées de migrants originaires du Fayoum, des oasis alentours et de Bédouins originaires du Sinaï.
Après la guerre du Kippour, de nouveaux arrivants urbains élisent domicile à El Hallus et construisent leur habitat, alternative au logement plus cher en ville. La période après-guerre constitue la plus grande étape de développement urbain et démographique. Selon une ancienne habitante, seulement 700 personnes vivaient à El Hallus avant la guerre. La population se diversifie, le type d’habitat et les modes d’habiter connaissent des transformations majeures, le village développe un caractère plus urbain, la spéculation foncière et la revente illégale de parcelles ou le découpage parcellaire dessinent de facto des îlots plus compacts et plus denses. Un « atelier maquette » avec deux femmes originaires d’El Hallus nous a permis de retracer l’histoire du développement urbain du quartier.
De la terre à la brique : de l’horizontal traditionnel à la verticalité moderne
Les constructions originelles en torchis et pisé se transforment au profit de la brique et autres structures béton en poteaux-poutres qui évolueront par la suite de manière verticale en logeant la famille élargie par étage ou offrant des opportunités de location. Mis à part quelques « vieux habitants » qui revendiquent les qualités de l’habitat traditionnel, la plupart boudent l’habitat de terre. Il est désigné comme taudis ou slum par les acteurs du projet de régularisation et les habitants eux-mêmes. Tous lui préfèrent la construction verticale, synonyme de modernité et de confort.
La maison traditionnelle en adobe est délaissée pour la construction multifamiliale en brique, où les appartements des ménages s’empilent verticalement sur la même parcelle. Les habitats en terre se transforment souvent en poulaillers ou sont abandonnés, faisant office de « poubelles géantes ». Le relevé habité des constructions existantes ainsi que les récits précis des habitants nous ont permis de retracer les grandes phases de développement des habitations et de dessiner les projets qu’ils comptent entreprendre pour améliorer leur cadre de vie.
Squat sur terrain d’Etat périurbain
El Hallus est un quartier périurbain situé à 2 km au sud de la ville moyenne d’Ismaïlia (715 000 habitants) située à 120 km du Caire, sur le canal de Suez. Le quartier est implanté sur une dune naturelle de sable, dernier vestige du site originel, qui se serait affaissé de plus de 10 m en 30 ans selon certains « vieux » habitants sous la pression de l’urbanisation galopante. Il est situé à proximité d’un nouveau pôle touristique en développement et demeure l’un des derniers sites non touristiques qui borde le lac Timsah.
Le quartier est illégal aux yeux des autorités car implanté sur un terrain désertique, donc d’État. Le squat sur terrain d’État désertique ainsi que le phénomène de regroupement familial induisent des situations urbaines complexes et variées, des trames urbaines très contrastées et ordonnées par l’implantation successives des constructions.
L’urbanisation sur terrain désertique et le contexte d’El Hallus en exemple montrent la difficulté des différentes actions d’équipement et d’amélioration de ce type de quartier puisque le contexte urbain développe des trames urbaines très serrées, avec des rues souvent très étroites. Le quartier d’El Hallus vient de bénéficier d’un projet de régularisation physique et foncière mené par une équipe locale égyptienne sous l’égide du PNUD (Programme des Nations-Unies pour le Développement).
Évolution démographique et densification El Hallus, 3 ans après…
Le quartier périurbain d’El Hallus comptait, en 2008, 6000 habitants implantés sur 640 parcelles. La population est très jeune, les familles sont en moyenne composées de 5 à 7 personnes et sont souvent dans des situations de grande précarité.
Notre diplôme d’architecture s’attachait à développer des prospectives démographiques et de densification sur 2, 5 et 10 ans. L’étude que nous poursuivons en post-diplôme nous a amené à réaliser un comptage minutieux du bâti ainsi que du nombre d’étages construits en 3 ans. Notre dernière étude (2011) dépasse de très loin la prospective. En effet, la régularisation physique et foncière engendre souvent de facto, ou du moins accélère, la spéculation foncière dans une optique de rentabilisation maximale de l’occupation.
En trois ans, un tiers des constructions du quartier ont subi des surélévations et on peut évaluer à 1100 personnes l’augmentation de la population, soit 1/6 des habitants de 2008 ! Il est donc habité par 7100 personnes en 2011, induisant des densités de population très élevées pour un quartier périurbain d’une ville moyenne égyptienne. Certaines zones urbaines de trame très resserrée avoisinent les 800 habs/ha ; une situation que l’on retrouve dans certains quartiers populaires denses de la capitale égyptienne.
Ce phénomène de densification très rapide est préoccupant pour El Hallus car le quartier ainsi que les terres qui bordent le lac viennent officiellement de rentrer dans le « cordon urbain » d’Ismaïlia autorisant ainsi l’urbanisation des terrains agricoles.
Nos inquiétudes se portent sur trois points particuliers :
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la durabilité des équipements de base mis en place par le projet de régularisation qui sont et seront de fait sur-sollicités,
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l’environnement proche du quartier qui présente déjà les amorces d’une extension urbaine près du lac Timsah, alors que les terres agricoles, rares, sont protégées,
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un risque écologique, économique et sanitaire majeur pour l’environnement et les populations est donc à craindre : pollution accélérée des nappes phréatiques, du lac ainsi que des poissons ingérés par la population, disparition progressive de la ressource agricole qui reste avant tout un moyen de survie. De surcroît on peut redouter un accroissement de la pollution des sols, de l’eau potable et de l’écosystème car les équipements d’assainissement ne sont pas prévus pour accueillir une telle population.
Références
Bérangère DELUC (Architecte-urbaniste, ancienne étudiante ENSAPLV) Extrait de : “Alternative à la régularisation physique et foncière en vue d‛un développement plus durable. El Hallus, Ismailia, Egypte”, PFE sous la direction d’Agnès Deboulet, pôle ASM, 2008.