La ville est encore conduite par la voiture

Jean-Pierre Charbonneau, septembre 2013

Monde pluriel

Cette fiche montre la difficulté de réduire la place de l’automobile dans l’espace public. Ce sujet est structurel de l’évolution des villes et doit faire l’objet d’un choix politique fort pour favoriser une mobilité douce et de nouveaux modes de vie.

Supprimer des places de stationnement, vous n’y comptez pas !

Malgré tout ce qui est dit, affiché dans les documents de communication, les choix dans l’espace public sont souvent faits pour favoriser la voiture. La concertation en témoigne. On passe en général une bonne partie de la séance à parler « nombre de files de circulation, de places de parkings », plus que de « confort, ambiance, sécurité des enfants, assises pour les personnes âgées… ». C’est qu’il existe cette croyance qu’il est impopulaire de toucher à l’automobile. Du coup, on commence par ce sujet, le considérant comme essentiel. Certes cela change. A présent les habitants se sentent de plus en plus citadins. Ils ont plutôt moins de voitures et sont soucieux de la vie quotidienne. Des points de vue contradictoires s’expriment, racontant de manière plus juste la réalité des modes de vie urbains.

C’est que l’on revient de loin. Depuis les années 60, on a imaginé la ville au service de la voiture. L’organisation des déplacements, les infrastructures, les paysages, les budgets ont été orientés en ce sens. Et même si, depuis 20 ans, le propos affiché évolue, le savoir en transformation urbaine a continué de se concentrer en partie sur ce thème. Il y a peu, évoquer l’espace public conduisait à chaque fois à devoir d’abord se justifier sur les « rayons de giration, le nombre de véhicules par heure, les remontées de files aux heures de pointe… ». Les quartiers eux-mêmes étaient conçus en fonction de calculs réalisés à partir de matrices prédisant le nombre de voitures à venir. A cet égard, l’exemple de Copenhague est frappant. Dans le nouveau quartier de Nordhaven, la projection des déplacements est calculée à partir d’une prévision de 50% de trajets en vélo, le reste pour une grande part en métro. Et les investissements, l’utilisation de l’espace public sont orientés en ce sens : des passerelles piétons-vélos au lieu d’échangeurs d’autoroutes, des pistes cyclables larges et sécures, des services aux utilisateurs, des parkings seulement pour le fonctionnement du quartier… Il y a là une décision politique et sa traduction en projets multiples chargés de la concrétiser dans les faits. Et bien entendu, on n’obtiendra pas la même ville, le même quartier que si on part d’une projection fondée sur 80% de déplacements en voiture.

En France, jusqu’à récemment, les administrations et notamment les services Voirie des collectivités étaient organisés, formés, formatés même pour faciliter l’usage de l’automobile. C’est en train de changer mais il est encore courant d’avoir à expliquer qu’un trottoir règlementaire d’1m20 n’est pas confortable, pas plus que traverser des îlots entre des barrières de sécurité. Il faut argumenter longuement pour supprimer 4 places de stationnement au profit d’arbres ou d’une placette devant une école, utiliser la rhétorique pour convaincre que marcher 200m n’est rien et qu’il n’est pas nécessaire de toujours garer sa voiture devant sa porte.

C’est le quotidien de quiconque travaille sur l’espace public. Or, une grande part de son activité porte sur la réparation de ce qui fut abîmé depuis 30 ans (des quartiers relégués ou coupés en deux, des fleuves rendus inaccessibles…), sur la démolition de ce qui, construit au seul profit de l’automobile, est devenu inutile (des autoponts, des trémies autoroutières en pleine ville…). En quelque sorte, on tire un trait (onéreux !) sur les voies rapides, qui séparent les chaussées surdimensionnées qui laissent à la vie locale la portion congrue, les ronds-points à 1 million d’euros, et on cherche à retrouver une ville et des espaces publics aimables, avec des continuités de cheminements, des arbres, des bancs, des ambiances, de l’espace. Cette réparation répond de manière concrète à l’évolution de la demande d’urbanité et a pour conséquence de donner une autre place à l’automobile. Il n’est alors pas tant question de « l’après voiture » que de la recherche d’une ville équilibrée entre la possibilité d’une vie urbaine agréable et un usage de l’automobile raisonnable.

A une autre échelle, celle des agglomérations, on tente d’organiser globalement et de manière cohérente les déplacements en réalisant des Plans de Déplacement urbain (PDU). Leur objectif affiché est d’accompagner le besoin de mobilité en favorisant les transports en commun et les modes doux et en luttant contre les nombreux travers induits par l’usage intensif de la voiture. Intéressants en tant que tels, ils donnent cependant des échéances lointaines et n’obligent pas vraiment à court terme, d’autant qu’ils portent sur des objectifs généraux, sur des résultats que l’on n’évaluera pas forcément.

Ils sont censés guider « l’après voiture ». Mais que prépare-t-on dans la réalité ? On construit loin des villes, rendant nécessaire l’usage d’un véhicule ou de transports en commun saturés pour aller au travail. Les images des autoroutes aux entrées des agglomérations, celles des trains de banlieue aux heures de pointes sont édifiantes. Est-on à l’échelle du problème ? Combien de lignes de tram, de RER, de TER, de logements en secteurs denses, de zones d’activités accessibles faudrait-il construire pour inverser la tendance, et en combien de temps ?

Alors que faire ? Déjà ne pas en faire une question de doctrine (« pour ou contre la voiture ») mais considérer que ce sujet est structurel de l’évolution des villes au même titre que l’habitat ou l’économie et en cohérence avec eux. Il ne parle pas d’autre chose d’ailleurs : habiter dans les centres de métropoles aujourd’hui n’est pas à la portée de toutes les bourses et souvent on habite loin car on n’a pas le choix.

Ensuite la réponse est forcément plurielle et mobilise des décisions concernant les transports, le stationnement, l’aménagement, l’habitat, l’urbanisme, le foncier, les qualités, la vie quotidienne dans sa diversité… En ce sens c’est un véritable projet politique d’agglomération, qui doit être porté par les acteurs chacun dans sa responsabilité. « Après la voiture » ne se décrétera pas mais se construira en partenariat.

Enfin il nécessite que chaque action soit conçue, imaginée avec soin non dans sa seule logique (faire passer des voitures, améliorer le temps de parcours des bus, construire du logement, une zone d’activités, rénover un quartier…) mais pour que chaque fois il y ait une évolution vertueuse vers l’objectif de « l’après voiture ». Vaste programme…

Références

Pour accéder à la version PDF du numéro de la revue Tous Urbains, n°2

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