La nature a horreur du vide

Shahinda Lane, 2014

Cette fiche présente une étude menée pour la déconstruction d’habitations en zones de grands dangers, faisant suite à la tempête Xynthia. La mission du maître d’œuvre était d’inscrire dans les sites la mémoire du risque pour la protection future des personnes et des biens et de mettre en œuvre une cohérence paysagère et urbaine par l’aménagement et la définition des usages et fonctions des espaces déconstruits.

En février 2010, la tempête Xynthia combinée à des basses pressions et à la marée haute a touché la façade atlantique de la Charente-Maritime et de la Vendée entraînant d’importantes pertes matérielles et humaines. Ce phénomène associé à l’urbanisation a donné lieu à une véritable catastrophe naturelle. Car s’il n’y avait eu pas de construction, il n’y aurait pas eu de catastrophe. Et on s’interroge : Qu’est-ce que cet événement nous enseigne sur les stratégies de gestion des risques ? Sur les modes de production urbains ? Faut-il modifier nos modes d’interventions ? Pour répondre à ces questions, je propose de rapporter une expérience menée à Fouras, à partir de 2013, au sein de l’agence panerai et associés, aux côtés de Julie Colin, paysagiste.

A Fouras, le site concerné est la Pointe de la Fumée : il s’agit d’un isthme altimétriquement bas, impropre à la construction, accueillant pourtant des résidences, majoritairement secondaires, des activités ostréicoles et mytilicoles importantes et le principal embarcadère vers l’île d’Aix. Suite aux dégâts causés par la tempête, l’État s’est engagé sur deux actions : le rachat et la déconstruction des habitations en zones de grands dangers, les Zones de Solidarité. La conséquence des déconstructions est un nouveau paysage de dents creuses. Une angoisse nous étreint…: comment remplir ces vides ?

La nature a horreur du vide, certes. Mais on a toujours besoin de place. C’est ce qu’ont fait ressortir les nombreuses visites à Fouras. Par exemple, la libération de terrains a permis de rouvrir le paysage et les accès vers la mer de part et d’autre de l’étroite bande de terre, ce qui avait été rendu impossible par le front bâti. Ailleurs, la présence de véhicules et de cages d’ostréiculteurs parqués sur les bas-côtés enherbés de l’allée centrale, la bien nommée allée des Ostréiculteurs, indiquait un manque d’espace évident : les nouveaux terrains offerts pour leur stationnement et leur stockage a été aussi l’occasion de conforter une activité économique. Enfin, l’embarcadère situé à l’extrémité de la Pointe combiné à un vaste parking, vide la majeure partie de l’année et bondé l’été, offrait des aménagements purement fonctionnels : la libération des terrains et du camping en contrebas a permis de délester le parking et d’aménager un belvédère ouvert sur la mer.

La tempête Xynthia a révélé les faiblesses de l’aménagement du littoral : des urbanisations développées sur des points altimétriquement bas, et donc historiquement submersibles, des protections par digues mal entretenues et notoirement insuffisantes, et enfin la mauvaise information des nouvelles populations, vulnérables face aux risques. Cette situation résulte d’une stratégie de l’évitement et de la réduction du risque qui cautionne un modèle de développement urbain systématique. Cette stratégie a un coût, celui des digues, et comporte des failles dans l’évaluation des facteurs de risques en omettant, comme ici, l’éventualité d’une convergence de différents facteurs – une tempête, la marée haute et des basses pressions. Une alternative à cette stratégie est celle de l’acceptation du risque ; à Fouras, les débords de l’Océan étaient connus – les vieux Fourasins en témoignent. Aussi, plutôt que d’essayer désespérément de contenir l’Océan, pourquoi ne pas le laisser submerger certaines parties et vivre avec ? Cette stratégie va certainement à l’encontre des habitudes de construire partout et à tout prix et de l’idée largement admise que l’on serait entré dans une ère inédite hantée par le spectre de catastrophes sans précédent.

Au-delà même des territoires à risques, l’expérience à Fouras bouleverse un ensemble de réflexes et de convictions qui semblaient acquis. Elle engage un inversement du projet qui admet un projet décousu partant d’une multitude de situations, de terrains épars et vacants qu’il ne s’agit ni de recoudre, ni d’articuler pour tendre à une sacro-sainte continuité des espaces ou cohérence paysagère. Elle implique d’autre part de ne pas considérer la programmation urbaine comme un préalable obligatoire et systématique, de ne pas chercher à qualifier par avance, mais de chercher les besoins et les usages qui se révèlent au fil des opportunités spatiales, urbaines ou paysagères.

Références

Pour accéder à la version PDF du numéro de la revue Tous Urbains, n°8

En savoir plus

Site de la ville de Fouras

Projet de déconstruction des habitations en zones de grands dangers (Zones de Solidarité) en Charente-Maritime réalisé par l’agence panerai et associés