Risques
2014
« La ville résiliente », censée mieux se relever des aléas- est à la mode, et les « catastrophes naturelles » émaillent l’actualité médiatique de leurs dévastations urbaines. Ces phénomènes sans âge, souvent intégrés très étroitement à la culture des lieux ont modelé pendant des millénaires les pratiques rurales et urbaines. La distance que la technique et le droit ont progressivement mis entre les hommes et la nature ont modifié cette relation, et cette dissociation accentue le sentiment d’urgence. La pensée positiviste nous a conduit à penser que les moyens techniques pouvaient nous mettre à l’abri des phénomènes (tremblement de terre, inondations, tornades, etc.). Dès lors, lorsque la dévastation advient, l’idée d’une défaillance est la première qui surgit. Qui a fauté ? quel dispositif a failli ? De facto, le contexte juridique s’est transformé : on est passé d’une adaptation culturelle au principe de responsabilité anthropique et, ce faisant, à l’indemnisation, jusqu’à l’expression de la solidarité nationale qu’illustre le fonds Barnier pour les catastrophes naturelles. Bref, l’intelligence de l’aménagement et des pratiques urbaines a cédé place à l’efficience de l’assurance et de la compensation. Le « risque » pose une question métropolitaine, urbaine et enfin politique, que les auteurs de ce dossier identifient bien.
Tout d’abord, il y a « risque » parce que les lieux sont habités. La nature n’est pas une menace en tant que telle. Notre relation aux phénomènes est ici questionnée. Il est troublant qu’un auteur de la Renaissance, Leon Battista Alberti, auteur d’un traité d’architecture majeur publié en 1485, ait su formuler avec précision un enjeu qui nous échappe pourtant trop souvent : « en premier lieu n’accepte rien qui dépasse les forces humaines, et n’accepte rien qui doivent manifestement entrer en conflit avec les forces de la nature (…) la persévérance tenace et assidue de sa défense brise et écrase avec l’aide du temps tout l’acharnement, pour ainsi dire, que manifeste les choses à son endroit ». Ceci implique que, plus que les phénomènes, ce sont pratiques et nos dispositifs artificiels qui sont interrogés, et ce faisant nos méthodes pour construire et imaginer la ville.
Ainsi, comme le souligne Magali Regettha-Zitt (Villes, métropolisation et risques. Nouveaux défis, nouveaux enjeux politiques), la métropolisation, parce qu’elle suppose une continuité des flux, rend plus vulnérables les milieux habités : l’interruption des réseaux est finalement plus dommageable que les effets locaux de la catastrophe. La résilience des habitats traditionnels, comme dans les barthes de l’Adour, par exemple -où l’on habitait à l’étage pour ne pas trop souffrir des inondations fréquentes du rez-de-chaussée- était optimale dans la mesure où ces habitats ne dépendaient pas de réseaux étendus, et où la sédentarité était économiquement imaginable pendant le temps de la crue. Aujourd’hui, une simple chute de neige à Paris, ridicule en amplitude, devient catastrophe urbaine uniquement parce que la métropole ne supporte pas la mise en veille, alors que cinq fois plus de flocons n’empêche pas, jusqu’à preuve du contraire, le Cantal de continuer à vivre. Ce qui est « spectaculaire » dans la paralysie métropolitaine n’est pas le phénomène lui-même, mais la révélation soudaine de la prédominance des flux dans nos univers urbains. Nous sommes devenus très dépendants des réseaux. De facto, la nature n’est pas seule en jeu : les accidents, les grèves, les émeutes, le terrorisme peut avoir des effets similaires à ceux des vents, de l’eau et de la terre. On gagnerait ici à relire Paul Virilio.
Le caractère spectaculaire, et l’exagération médiatique dénoncés par Michel Lussault (Nous sommes toujours-déjà vulnérables) font écho aux réflexions de Anne Vernez-Moudon. L’inondation ou le typhon entraînent parfois des morts humaines, dont le drame est amplifié par l’immédiateté, la surprise, la diffusion des images passant en boucle et le caractère apparemment fortuit de l’événement (pourquoi nous ?, semblent nous dire les protagonistes à la télévision). Les interview politiques et techniques se succèdent alors, les recherches de responsabilité s’activent frénétiquement, le Préfet succédant au Procureur, le Ministre de l’intérieur au Colonel de la Gendarmerie. Mais nous savons maintenant que les victimes des catastrophes, même si elles sont dramatiquement regrettable, sont infiniment moins nombreuses que celles liées à la pollution urbaine au fil du temps, où au diabète et maladies cardiovasculaires dont notre environnement construit contribue pourtant à amplifier le nombre. Anne Vernez-Moudon montre études à l’appui que la forme de l’urbanisation a un lien direct, malheureusement sous-estimé ou absent !- avec la mortalité. Vivre en ville, dans certaines formes de villes, commence à être terriblement dangereux, des études confirmées l’attestent désormais. Les quantités en jeu n’ont rien à voir avec les inondations, elles sont largement décuplées. Pourtant, silence radio, personne n’en parle… Le déficit de prise en compte de la santé publique dans les stratégies urbaines présente en réalité bien plus de risques que n’importe quelle catastrophe naturelle. La prédominance de la voiture, encore bien vive, et notre difficulté à tirer profit des « modes actifs » pour les déplacements quotidiens tue bien plus chaque année que Xynthia (La nature a horreur du vide) et toutes les catastrophes naturelles réunies. Mais il n’a pas d’effet spectaculaire, si ce n’est lors des épisodes de pollution, où l’on se borne à recommander aux personnes « fragiles » (qui sont les « endurants » ?) à rester chez eux. Nous sommes heureux que ce dossier soit aussi l’occasion d’évoquer ce scandale sanitaire qui, par extension, est un scandale territorial. Il témoigne de notre incapacité à prendre les bonnes décisions, d’une crise du sens politique tragique et inquiétante.
Mais ce débat sur les risques, si nous savons le conduire, peut aussi être une chance pour l’urbanisation. Comme je l’évoque plus loin aux côtés du texte de Shahinda Lane, la prise en compte de la vulnérabilité des sites habités peut aider à mieux choisir ; Choisir une meilleure répartition des constructions et des milieux non construits, favoriser des interdépendances localisées équilibrant les flux métropolitains, - donc un meilleur rapport entre proximité et globalisation, entre sédentarité et mouvement- et enfin une intégrer les dispositifs techniques pour bonifier les milieux habités, optimisant ainsi chaque effort d’aménagement.
In fine, si l’on prend la patience de réfléchir, et d’infléchir nos méthodes dans la durée, le « problème » des risques deviendra très vite le support d’un débat démocratique passionnant, et in fine un atout redoutable, une aide à la décision, pour des milieux non seulement plus « résilients » mais tout simplement mieux habitables.
Dans un climat de crise, la menace de la catastrophe alimentée par des évènements traumatiques récents inonde les discours politiques et médiatiques. Pour parer à cette menace, des stratégies de gestion sont mises en place sur les territoires à risques ; elles se déclinent de la réduction à l’acceptation du risque.
Comment ces différentes stratégies modifient-elles nos modes d’interventions ? Quels enseignements en tirer sur le projet d’aménagement, au-delà des seuls territoires à risques ?
Références
Pour accéder à la version PDF du numéro de la revue Tous Urbains, n°8
Une notion
2 analyses
- Villes, métropolisation et risques. Nouveaux défis, nouveaux enjeux politiques.
- Nous sommes toujours-déjà vulnérables
3 études de cas
- La gestion des risques et sa doxa : un regard critique
- Les inondations dans le Var (France) : quelles leçons pour une gestion post-crise ?
- La nature a horreur du vide