La rétropole (ou la métropole « slow »)
Remi Dormois, mars 2013
Cette fiche propose une prospective de ce que serait une métropole « slow » en 2040. Ce scénario met l’accent sur la décroissance et le rétrécissement des métropoles, causés, entre autre, par une émigration massive et une démographie négative dues au décrochage de l’économie française, et par la concurrence mondiale entre métropoles. Les métropoles redeviennent dans ce cas des villes à taille humaine.
Le contexte d’action en 2040
En 2040, la France est un pays vieux et point de départ, qui plus est, d’une importante émigration. La population nationale est revenue à 45 millions d’habitants. Les jeunes hautement qualifiés comme peu qualifiés émigrent vers les nouveaux pôles de croissance mondiaux. Cette hémorragie pose des problèmes à la fois du point de vue du dynamisme économique et de la survie des systèmes de protection sociale.
L’économie française a poursuivi son décrochage entamé dès la fin du 20ème siècle et est progressivement devenue un acteur dominé dans la division internationale du travail. La concurrence imposée par les ex-« pays émergents » a durablement déstabilisé l’industrie française. La poursuite des délocalisations des activités manufacturières a fini par priver les activités de recherche et développement de leur substrat matériel. Le développement des activités de services aux entreprises a aussi été interrompu par cette perte de substance. Le pari de la spécialisation de l’économie nationale sur les activités « immatérielles » du tertiaire, de la R&D, de la conception et de l’éco-conception est donc perdu car ce type d’activités a suivi les activités manufacturières. Cette évolution résulte aussi en partie de choix collectifs : de larges portions de la jeunesse, notamment celle issue des classes moyennes déclassées, ont fait pression pour des choix politiques de désintensification des rythmes économiques et sociaux et de refus des sacrifices induits par la mondialisation néolibérale.
L’économie française est recentrée sur les activités liées au patrimoine, au tourisme, à l’agriculture et à l’oeno-gastronomie mais aussi sur des activités subalternes de support aux grandes firmes internationales (centres d’appel, recyclage, back office). Dans les communautés ou les quartiers qui ont fait très tôt rupture avec les modèles dominants de la mondialisation néolibérale, des activités artisanales dans le domaine du textile ou de l’ameublement se recréent. Ces activités deviennent des foyers d’innovation et sources de nouveaux avantages comparatifs dans des secteurs négligés par les économies dominantes. Ce nouveau type de spécialisation de l’économie française présente des avantages : il est moins dommageable pour l’environnement, il redonne un sens au travail, il aide à conserver les aménités naturelles et patrimoniales du pays et à attirer les élites sociales des pays émergents en quête d’authenticité.
Les principales métropoles françaises sont reléguées dans la hiérarchie des villes mondiales désormais dominée par Shanghai, Pékin, Bombay, Sao Paolo et Moscou. Les grandes villes françaises, notamment celles qui ne bénéficient pas de la manne du tourisme internationale et de la résidence de luxe, sont désormais en compétition avec les métropoles africaines pour la relocalisation des centres d’appel ou les plates-formes de recyclage. Les métropoles françaises sont redevenues des villes de taille modeste, certes marginalisées dans la hiérarchie urbaine internationale mais en même temps décongestionnées et offrant une meilleure qualité de vie, ce qui leur permet d’accueillir l’élite transnationale et ses subordonnés (traders, cadres supérieurs, entrepreneurs à succès). En sus d’une résidence principale à Shanghai ou Rio, le mas dans l’arrière-pays niçois, voire la longère finistérienne ont progressivement remplacé les traditionnels lofts à New-York, Paris ou Londres comme lieux de villégiature de la nouvelle classe capitaliste mondialisée. La métropole parisienne a perdu une bonne partie de ses sièges sociaux et de ses fonctions directionnelles. Ce qu’elle a partiellement compensé en développant, comme la Provence et la Côte d’Azur les fonctions résidentielles, touristiques et universitaires à destination de l’élite transnationale. Globalement, la hiérarchie urbaine ne s’est pas tant étirée que fortement diversifiée : certaines villes ont fait valoir leur qualité patrimoniale, la beauté de leur pourtour rural, la qualité des produits agroalimentaires et se sont positionnées dans la captation de la résidence, du tourisme et de la consommation de l’élite transnationale. D’autres en revanche ne parviennent pas à suivre cette tendance et sont obligées de « courir la délocalisation ».
Quelques caractéristiques de la rétropole
Le succès croissant des discours et des mouvements politiques et sociaux favorables à la décroissance fait que les métropoles françaises voient leurs rythmes, à la fois sociaux et de croissance, ralentir. La plupart des métropoles françaises, à l’exception de Paris, sont redevenues des villes.
Ce décrochage a des effets ambigus et variés d’un contexte territorial à l’autre. Certaines régions urbaines bénéficient du processus de spécialisation de l’économie nationale dans des fonctions résidentielle, touristique et de consommation. Le ralentissement de la croissance leur permet d’améliorer la qualité de vie et d’attirer une élite internationale en quête de patrimoine et d’authenticité. Ces métropoles (Paris, Nice, Bordeaux) maintiendront une position relativement favorable dans la compétition internationale pour la consommation. Certaines villes de moindre importance mais relativement bien connectées et ayant réussi par des politiques de branding, de préservation du patrimoine et des traditions agroalimentaires et des savoir-faire artisanaux ont tiré leur épingle du jeu (Strasbourg, Dijon, Aix-en-Provence, Rennes). En revanche, d’autres métropoles peinent à se positionner sur ce type de créneaux. Elles subissent la désindustrialisation, l’hémorragie démographique, le départ des classes supérieures, l’émigration des jeunes, l’effondrement des valeurs foncières et immobilières et, parfois, l’évidement et la désurbanisation.
A l’intérieur des espaces métropolitains, certains territoires profitent du tournant patrimonial, résidentiel, consumériste et touristique et d’autres connaissent plutôt un phénomène d’évidement. Ces différences de trajectoires se traduisent par un morcellement social, générationnel et politique des métropoles. Les enclaves résidentielles, patrimoniales et touristiques accueillent des populations plutôt âgées et une élite transnationale mobile. Elles sont gouvernées par des coalitions conservatrices veillant à préserver l’intégrité sociale et environnementale de leurs espaces. A l’opposé, les villes centres ayant subi un phénomène de désurbanisation sont conquises par des groupes sociaux favorables à une réinvention de manières de vivre en société, de produire et de consommer. Ainsi les gouvernements métropolitains laissent place à un système métropolitain fragmenté laissant libre cours aux protectionnismes municipaux. Cette désintégration des anciens systèmes métropolitains a eu un impact fort sur les services urbains. La dégradation des comptes publics et le sécessionnisme de communes privilégiées refusant de prendre en charge le coût des équipements collectifs conduit à une importante dégradation de ces derniers. Dans les métropoles, des infrastructures d’accès aux espaces socialement privilégiés, rentables, performantes et gérées par des opérateurs privés jouxtent des infrastructures publiques de desserte de proximité dégradées. Des conflits permanents opposent les usagers et gestionnaires de l’une et l’autre de ces catégories d’infrastructures.
La stratification sociale des métropoles est très variable. Les métropoles encore intégrées dans la division internationale du travail accueillent l’élite mobile transnationale, les retraités aisés mais aussi la « classe des serviteurs », l’armée de travailleurs pauvres et précarisés des services à la personne, du commerce et des transports. Dans les villes moins bien loties ou dans les espaces relégués ou en rupture des métropoles, on observe une égalisation sociale par le bas, propice à une remobilisation et à la redéfinition du contrat social local.
Globalement, la plupart des métropoles se trouvent un peu au large dans les habits que leur aura légué le 20ème siècle. Le reflux démographique, la marginalisation économique, la raréfaction et le renchérissement des énergies conduisent à un rétrécissement des métropoles et à une désintensification des mobilités. Beaucoup d’espaces au sein des métropoles sont abandonnés au profit d’espaces plus facilement accessibles. Les plus riches peuvent encore s’affranchir des distances mais l’essentiel des populations métropolitaines a dû privilégier des localisations dans les villes centres ou des centres secondaires du fait des difficultés croissantes pour se déplacer. Ce réinvestissement des centres n’a pas empêché un relatif dépeuplement de ceux-ci du fait du solde démographique devenu structurellement négatif.
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DATAR. 2010. Territoires 2040, aménager le changement
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