Le Compromis Territorial au Bénin
Des paysans de plus en plus dépossédés de leur outil de travail : la terre
Gustave ASSAH, février 1999
Dialogues, propositions, histoires pour une citoyenneté mondiale (DPH)
Cette fiche aborde le phénomène de spéculation foncière au Bénin. Les paysans sont obligés de vendre leur terre agricole au profit de riches acheteurs, entrainant une baisse durable et irrémédiable de l’activité agricole pour le pays.
Profitant de la pauvreté de certains paysans, de riches commerçants et de hauts fonctionnaires achètent à des prix dérisoires d’importantes superficies de terres. Certains agriculteurs sont ainsi peu à peu privés de leur principal outil de travail. Quant à ceux qui étaient partis chercher fortune en ville, à leur retour, ils peinent à trouver des terres disponibles, à un prix abordable à cause de la spéculation foncière.
« Je gérais, il y a moins de 5 ans encore, un domaine familial de plus d’une trentaine d’hectares à ZE, une localité du département de l’atlantique, à plus d’une soixantaine de kilomètres de Cotonou au Bénin. Maintenant, il ne m’en reste qu’une dizaine. Pour aider notre benjamin, qui doit partir à Cotonou poursuivre des études universitaires, nous avons été obligés de vendre une bonne partie du domaine pour payer ses études et lui louer un petit appartement ». Moralement, le paysan, qui travaille avec ses trois frères, a ainsi décidé de sauver l’honneur de la famille en cédant plus de 20 hectares pour la somme de 600 000 Francs CFA. C’est un bon risque de financer les études universitaires du rejeton qui, à terme, pourra aider toute la famille.
Dans tout le Bénin, c’est par milliers qu’on rencontre des cas similaires. En effet, s’ils ne sont pas sollicités par des intermédiaires, c’est d’eux-mêmes que les commerçants et certains fonctionnaires bien placés de l’administration publique ou privée arrivent dans les campagnes en quête de domaine à acheter ou à arracher subtilement. Dans la sous préfecture de ZE, ce sont des dizaines d’hectares que les agriculteurs pauvres bradent, surtout ceux qui n’ont pas la possibilité de bénéficier de crédits ou qui se trouvent subitement en difficulté (décès de proches parents ou préparation de certaines grandes cérémonies traditionnelles). Le drame dans cette situation, c’est que ces acheteurs de terres les utilisent rarement pour y entreprendre des activités agricoles, mais les gardent longtemps. Ce comportement empêche toute personne physique ou morale d’exploiter ne serait-ce que temporairement le domaine vendu.
Le but poursuivi par ces acheteurs est de garder ces terres aussi longtemps que possible et de procéder en fin de compte à leur morcellement en vue de les transformer en parcelles d’habitations, revendues à d’autres fonctionnaires moins nantis, mais qui tiennent coûte que coûte à posséder leur propre maison, un véritable mythe au Bénin. M. Jean Ezin, membre d’un groupement de paysans à TORI (village situé à 45 km de Cotonou), cite l’exemple de la sous-préfecture d’Abomey Calavi situé à 23 km de Cotonou, qui, de ce fait, est complètement urbanisée à présent et qui se confond parfois à Cotonou, alors que cette région faisait jadis partie des greniers du Bénin par sa production en maïs, manioc, arachide, haricots, etc. C’est dans ces conditions, où il est vraiment impossible de faire appel aux autorités locales pour freiner le phénomène, que les agriculteurs perdent leur terre. Ils sont alors bien obligés de changer, malgré eux, d’activités ou, plus grave de quitter la campagne à la recherche d’un hypothétique emploi dans les grandes villes comme Cotonou, avec le développement des agricultures périurbaines pour certains tandis que d’autres s’adonnent purement et simplement au transport public par la pratique des Taxis-Moto appelés « Zémidjan », participant ainsi à la pollution urbaine.
L’auteur soulève une question relative au rôle important du sol comme patrimoine nécessaire à toute entreprise de la paysannerie. Mais l’auteur n’a pas beaucoup insisté sur ce rôle de la paysannerie comme fer de lance territorial de l’État. En revanche, on y trouve qu’au-delà du rôle économique ou politique de la paysannerie, les liens avec le sol sont à sauvegarder pour que les greniers ne disparaissent pas complètement au point où on soit astreint à des importations avec toutes leurs conséquences. Il est donc important d’aboutir à un compromis, un lien de production-reproduction entre l’État et ses paysans, pour cause de gestion spatiale, car l’attachement à la terre est un atout dans la lutte pour la survie tant pour les populations que pour l’État.
Aussi, le territoire est-il d’abord le cadre d’existence et un support d’activités pour la paysannerie. Et lorsqu’on réduit la territorialité humaine à une simple habitabilité économique, on favorise une résistance des paysans ou c’est plutôt la voie à l’exode rural avec ses corollaires. Ainsi, les communautés paysannes ne peuvent mettre durablement en valeur le sol, et encore moins prospérer, si leur emprise sur le territoire ne leur est pas garantie par l’État. Nous pensons que, redonner confiance aux paysans passe aussi par ce nécessaire compromis territorial.
Références
Fiche du dossier préparatoire au forum des habitants qui s’est tenu à Windhoek, Namibie (12-18 mai 2000) dans le cadre du sommet Africités
GARED (Groupe d’Action et de Recherche en Environnement et Développement)
En savoir plus
GLETTON-QUENUM M. 1996. Paysans sans Terre, In « Jeune Afrique Économie », n°2016, le 15 avril 1996. p21.
SALL A. 1999. La bonne gouvernance n’est pas une recette à imposer
HOUNMENOU B. G. 2002. Nouveaux modes de coordination des acteurs dans le développement local: cas des zones rurales au Bénin