Quand le dialogue est au rendez-vous, la réussite suit

Comment les habitants des quartiers Nkolbikok 2 et Melen 7B à Yaoundé (Cameroun) s’organisent pour améliorer leur cadre de vie

février 2000

Cette fiche est inspirée de la participation de Jules-Dumas NGUEBOU aux réunions qui ont précédées la création du comité de développement de Nkolbikok 2 et Melen 7B.

Elle revient sur la mobilisation des habitants, des associations et des acteurs politiques des quartiers Nkolbikok 2 et Melen 7B à Yaoundé pour trouver des solutions afin d’éradiquer une décharge sauvage présente sur leurs territoires et améliorer leur cadre de vie.

Nkolbikok2, en langue locale « colline de BIKOK » et Melen 7B, originellement appelé Njon Melen ou la rue des palmiers, sont deux quartiers populaires de l’arrondissement 6 de Yaoundé, caractérisés par une absence totale d’infrastructures. Ils ont été créés pendant les années d’indépendance par une population en provenance des villages environnants à la recherche des meilleures conditions de vie dans la capitale.

A Nkolbikok 2 et à Melen 7B, presque toutes les ethnies du pays se côtoient et vivent en harmonie.

Selon Mbilong Tsala, chef et notable : « Quand je suis arrivé à Nkolbikok 2 pendant les années 60, rien ne faisait croire que les choses seraient comme elles sont devenues. Une vingtaine d’habitations étaient éparpillées au milieu d’une végétation faite d’arbres et de grandes herbes. La petite source limpide, aujourd’hui polluée, nous abreuvait sans grande difficulté. La petite agriculture et le petit commerce suffisaient à joindre les deux bouts. Au fil du temps, tout a changé, brusquement changé ! ».

Identiques, Nkolbikok 2 et Melen 7B le sont aussi par leur « architecture » : terre battue, tôles, bois, les matériaux sont hétéroclites et provisoirement agencés. Apparemment, les constructions ont précédé ici le plan d’urbanisation. Au total, pas de rues, pas d’espace public, pas d’école, pas de centre de santé, ni d’espace de sport, pas de système d’égout, bref, absence totale d’infrastructures. Pire encore, il y a plusieurs dizaines d’années une grande décharge sauvage y a vu le jour. Alimentée par les habitants, « la grande poubelle » a pris, courant 1990, des allures d’une calamité urbaine avec l’amoncellement incontrôlé des immondices.

« Nous avons vu créer et grandir cette poubelle pendant les années 70 », affirme le chef de quartier. « Au départ, nous utilisions ces ordures pour faire du compost pour nos cultures maraîchères. Au fur et à mesure que la population augmentait, elle est devenue gigantesque et préoccupante. Si seulement l’État pouvait nous aider à nous en débarrasser ! ». Pourtant, entre 1990 et 1997, plusieurs tentatives ont été enregistrées qui visaient toutes à dégager le « dépotoir ». Notamment celles de la commune urbaine d’arrondissement de Yaoundé 6 et de l’ONG Solidarité Agissante pour le Développement Économique (SADEC).

La première est une initiative politicienne liée à une campagne électorale. Ainsi, une action de nettoyage est engagée à grand renfort de publicités afin d’appâter les électeurs et de glaner quelques voix. A la fin des élections, l’opération est arrêtée. Pour la deuxième, le manque de moyens matériels et techniques sera la cause principale de l’échec.

En 1998, commence l’initiative de l’Association des Jeunes du Parc National (AJEPAN), de l’Association des Amoureux du Livre (ASSOAL), de Carrefour de la vie, Réseau Africain des Éducateurs Populaires (RAEP) et du Réseau Inter-Africain des Habitants (RIAH Cameroun). Elle consiste proprement à sensibiliser sur les dangers de l’insalubrité et attirer l’attention des populations sur l’importance de leur implication dans la résolution des problèmes de leurs quartiers. On notera dans cette perspective, la publication d’un dossier dans le bulletin « Courrier des habitants », l’organisation de plusieurs réunions d’échange rassemblant les populations, les chefs de quartiers et les leaders associatifs, l’envoi de plusieurs lettres d’informations aux autorités, l’organisation des habitants en comité de réflexion et de développement.

Pendant ces séances, les populations ont surtout débattu de l’environnement, des problèmes de sécurité, de chômage, de l’habitat, des problèmes d’eau, bref, des conditions de vie et des modalités de leur implication. Ainsi une résolution a été prise d’arrêter tout dépôt d’ordures sur le site dit « la grande montagne ». Quelques idées allant dans le sens de la facilitation sont émises. Par exemple, les populations ont consenti à contribuer auprès de l’AJEPAN à hauteur de 500 Francs CFA par famille et par mois. L’AJEPAN se charge à son tour de vider les ordures du quartier dans les bacs placés à cet effet par la société Hygiène, Salubrité et Assainissement du Cameroun (HYSACAM).

« Cette contribution permettra de désintéresser les jeunes en chômage, d’acheter les sacs ainsi que les autres outils de travail » affirme un Conseiller Municipal pendant une séance d’explication. En outre, un exposé basé sur l’ouvrage : « Quand les habitants gèrent vraiment leur ville » présentant l’expérience du budget participatif dans l’État de Porto Alegre au Brésil permet de mieux appréhender les enjeux d’une véritable participation des habitants dans la construction collective de la ville. Au cours de la quatrième réunion qui se tient courant juillet 1999, une quête spontanée permet de collecter la somme de 57 000 Francs CFA, destinée à la motivation de l’équipe qui se mobilisera pour le travail.

Courant 1999 toujours, le ministère de la ville, à l’occasion de la journée mondiale de la salubrité, décide de se rendre sur le site. Au lendemain de la visite, une demande d’aide est adressée au ministre et au directeur de la société HYSACAM qui réagissent favorablement. Trois mois plus tard, le dépotoir est enlevé. Une série de réunions se tiennent rassemblant populations, chefs des deux quartiers, leaders associatifs et Conseiller Municipal. Au cours de ces rencontres, des résolutions sont prises : les populations décident de ne plus déposer les ordures sur le site de l’ancien dépotoir. Elles acceptent de parcourir les 200 m séparant leurs quartiers du bac à ordures. Toute personne surprise vidant ses ordures à l’ancienne décharge payera une amende dont le montant est fixé à 500 Francs CFA.

Commentaire

Les quartiers NKOLBIKOK 2 et MELEN 7 B ont aujourd’hui un nouveau visage. Certes les problèmes demeurent importants par rapport aux capacités des habitants. Mais la volonté de prise en charge, le goût du dialogue et de la concertation qui les animent, constituent un atout majeur. En plus, dans la construction collective de la ville, toute action isolée n’est d’emblée qu’une action mutilée et vouée à l’échec. A preuve, il a fallu attendre trois décennies durant, la concertation Habitants- chefs de quartiers- leaders associatifs- jeunes- femmes pour que finalement, la « montagne » inquiétante se dégage et que se créent de nouvelles perspectives dans le milieu.

Références

GENRO T., DA SOUZA U. 1998. Quand les habitants gèrent vraiment leur ville, FPH, France

En savoir plus

Fiche du dossier préparatoire au forum des habitants qui s’est tenu à Windhoek, Namibie (12-18 mai 2000) dans le cadre du sommet Africités

Réseau Africain des Éducateurs Populaires (RAEP)

Réseau Inter-Africain des Habitants (RIAH Cameroun)

Jules Raymond Ngambi. Déchets solides ménagers de la ville de Yaoundé (Cameroun) : de la gestion linéaire vers une économie circulaire. Géographie. Université du Maine, 2015. Français.

Pour plus d’informations, Monsieur TSALA MBILONG Désiré, BP 25072 Yaoundé.