Une coopérative multiethnique et multiculturelle qui réhabilite des logements publics
La Coopérative Coralli en Italie
Pascale Thys, septembre 2001
Cette fiche présente la mise en place d’une coopérative multi-éthnique et multi-culturelle de logements à propriété collective à Padova, en Italie, afin de répondre aux problèmes d’accès aux logement des personnes immigrées à bas revenu.
Cette fiche a été réalisée avec le concours de Cesare Ottolini, président de l’Unione Inquilini et de la coopérative Coralli.
Contexte
La vague migratoire des années 1990 en Italie a relancé la demande de logements pour les couches sociales à faible revenu. Des milliers de personnes sans abri occupent des immeubles dans plusieurs villes.
A l’instar de la situation dans les années 1960, avec l’arrivée des migrants du sud attirés au nord par le boom économique, l’exclusion du logement devient la base des revendications sociales et politiques.
Les réponses institutionnelles tardent, mais quelques solutions sont proposées. En général, il s’agit de stéréotypes qui visent à donner un abri, tel que les foyers d’accueil expérimentés sans grand succès dans d’autres pays.
Origines du projet
En s’appuyant sur les échanges d’expériences internationaux favorisés par le Projet Coraux1, l’Unione Inquilini2 et Habitat International Coalition3 proposent, en juin 1991, la constitution d’un outil capable d’activer la participation des personnes directement intéressées : la Coopérative Coralli4 (Coraux), à Padova. C’est une coopérative multiethnique et multiculturelle de logements à propriété collective. Au début, cette institution stratégique n’était pas bien comprise par la municipalité et surtout par la droite qui s’y opposa évoquant la création de ghettos.
Les luttes et le lobbying de la mairie, gérée par le centre-gauche, ont permis, en 1999, la réalisation d’un premier quartier à Ponterotto.
La coopérative propose aux municipalités, via des conventions, soit de réhabiliter des logements publics vides et dégradés, soit d’en bâtir de nouveaux en suivant les principes de la multiculturalité. Le coût des travaux réalisés est comptabilisé et déduit du loyer. Les logements sont loués aux associés de la coopérative.
Objectifs du projet
-
Apporter une réponse concrète aux personnes mal logées ou sans logements.
-
Valoriser l’apport du travail et de la participation des personnes concernées.
-
Offrir du travail et la possibilité d’une formation professionnelle.
-
Valoriser un patrimoine dégradé.
-
Combattre la xénophobie et le racisme par des projets montrant la possibilité pour différentes cultures de vivre ensemble.
-
Ce projet s’inscrit dans la demande d’expérimentation de nouvelles politiques publiques du logement, et non pas l’abandon en faveur de la subsidiarité du secteur privé5.
Population concernée
Les personnes concernées sont celles éprouvant des difficultés à avoir accès à un logement décent. Le projet comprend 18 familles, composées de personnes en provenance de 12 pays des 4 continents.
Montage financier
L’État donne 30%, et prête 30% à rembourser à partir de l’année 2029. 40% proviennent des membres de la coopérative (épargne, emprunt, autoconstruction).
Le montant des loyers dépend des apports de chacun : plus grande a été la contribution du locataire au début, moins cher est son loyer. Un appartement de 70 m² a un loyer moyen de 250 Euros/mois.
Compte tenu de la participation et du contrôle des locataires, le coût final du logement a baissé de 30%.
Montage légal
Il n’existe pas de lois de soutien à ce type d’initiative. La coopérative a pu tirer profit de la loi n. 59/92 concernant la gestion des coopératives sociales6 et de la loi n.493/93 concernant l’attribution de fonds pour la réalisation de logements sociaux.
Une convention a été passée avec la municipalité pour la gestion du plan de quartier (PEEP) en partenariat avec d’autres acteurs « bâtisseurs » tels qu’une autre coopérative, la municipalité, des privés.
Partenaires du projet
Un partenariat entre la coopérative, la municipalité et l’État a été créé. Il faut mentionner aussi l’importance des bons rapports développés avec l’entreprise chargée de la construction, soit la Coopérative Padovana Muratori.
Déroulement du projet
Il s’agit d’un immeuble de 18 logements et quelques espaces consacrés à d’autres fonctions comme, par exemple, un centre social. La taille des logements ainsi que leur qualité, sont adaptés aux familles.
La construction s’ouvre sur une place à l’intérieur d’un groupe de logements sociaux. Derrière les logements, des jardins communs fournissent des légumes et des herbes pour tout le monde.
Les membres sont des locataires spéciaux étant donné leur droit d’usage perpétuel, transmissible aux héritiers. La coopérative est ici une troisième voie possible entre le marché et le public.
Les futurs habitants, au contraire des projets « clefs en main », ont pu donner leur avis concernant les logements et l’ensemble du site. C’est ainsi que les 18 familles, composées par des personnes en provenance de 12 pays des 4 continents, ont réussi à bâtir solidairement un projet concret avec des logements construits sur la base des souhaits et de la culture de ses habitants. Les relations avec le reste du quartier sont bonnes, grâce aux initiatives d’animation et à la présence d’un bon nombre d’enfants, ce qui a contribué à repeupler la zone.
L’expérience de Ponterotto à été réalisée par les personnes directement concernées, appuyées par leur organisation.
Les quelques problèmes rencontrés sont, notamment, les difficultés liées à un certain racisme, plutôt politique et institutionnel que dans le quartier concerné, un manque d’une législation de soutien des expériences novatrices et des difficultés à accéder au crédit pour des personnes qui n’ont pas de propriétés.
1 Le projet CORAUX a été créé par Habitat International Coalition avec les soutiens de la Fondation Charles Léopold Mayer pour le Progrès de l’Homme (FPH) et la DG5 de la Commission européenne. « Il s’agit de promouvoir l’assistance aux faibles, mais aussi de favoriser la participation directe et indépendante des groupes de base, associations, coopératives, communautés d’immigrés ou interethniques qui souhaitent connaître les différentes façons d’aborder le problème, d’étudier les actions en partenariat au niveau local ou international, de lutter de concert avec toutes les organisations concernées par le développement de politiques de logements sociaux visant à la cohabitation inter-ethnique ». Le projet promeut un réseau européen, un centre de documentation, des cours de formation, des projets pilote,…
2 Union des locataires
3 HIC, créé en 1976 à l’occasion de la Conférence des Nations Unies sur les établissements humains, est une Organisation Non Gouvernementale qui fédère quelques 350 organisations réparties dans 80 pays actives dans le domaine de l’habitat. HIC promeut, notamment le droit à l’habitat. Elle est interlocutrice reconnue auprès des Nations Unies et de l’Union Européenne.
4 COoperativa Recupero (réhabilitation) ALLoggi (logements) Interetnica
5 « La question du logement, confrontée à la globalisation, requiert de nouvelles réponses au niveau local, national et international. Il faut des politiques publiques régionales pour faire face au racisme et à la xénophobie ; à la méfiance envers les initiatives indépendantes des habitants ; aux difficultés d’accéder au crédit et à la propriété du terrain ; à la non reconnaissance de la valeur ajoutée du conflit et de la participation ».
6 Loi du 8/11/91, réglementation des coopératives. Son objectif est « l’intérêt général de la communauté pour la promotion humaine et l’intégration sociale des citoyens à travers la gestion de services sociaux, sanitaires et éducatifs ; le déroulement d’activités diverses ayant pour but l’insertion dans le monde du travail de personnes défavorisées ». La loi leur donne priorité pour passer des conventions avec les pouvoirs publics (Delespesses J. 1996, p.21)
Références
Habitat International Coalition. 1997. Building the city with the people, Mexico. pp.184-186
Projet Coraux. Vers un réseau européen multiculturel pour le respect du droit à habiter, DPH Documents de travail n°59, p.75
Davister C., Defourny J., Grégoire O. « Les entreprises sociales d’insertion dans l’union européenne : un aperçu général », In Revue Internationale de l’économie sociale, n°293. 27 pages
Delespesses J. 1996. « Solidarité à italienne », In Traverses, n°112, juin
Article sur la Loi du 8 novembre 1991, n.381, concernant la Réglementation des Coopératives sociales en Italie
En savoir plus
Habitat International Coalition (HIC)
International Alliance of Inhabitants
Unione Inquilini - Union des locataires
ADIE - L’association pour le droit à l’initiative économique finance la création d’entreprises ou de micro-activités par des personnes sans emplois ou étrangères qui n’ont pas l’accès au crédit des services bancaires traditionnels
Réseau d’entreprises sociales (RES)
Réseau européen des villes et régions de l’économie sociale (REVES). Son objectif principal est de stimuler de nouvelles perspectives d’emploi et un développement durable
ENSIE - European network of social integration entreprise
EMES - Réseau d’universités et de centres de recherches sur l’émergence d’entreprises sociales en Europe