PAP 78 : les plans de paysage pour réussir la transition écologique des territoires

Succès paradoxal mais incertain d’un objet juridique non identifié

Pierre-Louis Bodet, Frédéric Schaller, Jean-Pierre Thibault, septembre 2024

Le Collectif Paysages de l’Après-Pétrole (PAP)

Le Plan de Paysage est un outil opérationnel majeur de l’aménagement du territoire. C’est, pour chaque collectivité qui le souhaite, une démarche politique et technique volontaire, destinée à définir un projet de territoire par le prisme intégrateur du paysage. Il est organisé chaque année par le bureau des paysages du Ministère de la Transition écologique et de la Cohésion des territoires, en partenariat avec l’ADEME. Dans cet article Signé PAP, Pierre-Louis Bodet, doctorant au laboratoire ESO, institut agro Rennes-Angers, Frédéric Schaller, chargé de mission paysage au parc naturel régional des Ballons des Vosges et Jean-Pierre Thibault, président du Collectif PAP, retracent l’histoire et l’évolution des Plans de Paysage et soulignent les éléments clefs d’une bonne conduite de projet.

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En dépit d’une définition incertaine et d’une histoire quelque peu chaotique, les plans de paysage constituent un outil potentiellement porteur d’une politique contemporaine de transition écologique par le paysage.

Planifier le paysage ?

Les outils de politique publique dont disposent les élus locaux pour intervenir sur les paysages du quotidien restent peu nombreux en France. Les atlas de paysages et les observatoires photographiques sont des instruments pour dresser un état des lieux par des procédures analytiques. Un autre dispositif permet à la collectivité publique de tenter de maîtriser, d’accompagner ou de susciter des évolutions du cadre de vie : les plans de paysage, seule et unique composante active de la politique du paysage en France. Une telle dénomination suggère qu’il s’agit de maîtriser par un plan une matière dont la nature est plutôt de l’ordre du ressenti que du mesurable. La liste des projets en cours suscite toutefois notre perplexité : les cent quatre-vingt plans recensés par le Ministère chargé du paysage concernent en effet toutes les échelles de projet, toutes sortes de collectivités et une grande diversité d’objets. Ce plan est-il alors un mot-valise identifiant une politique publique de bon aloi (personne n’est hostile au paysage), mais sans objet réellement structuré ? L’existence de deux définitions conforte cette appréciation : - une circulaire de 1995 est le texte de Droit qui définit ces plans : issus du volontariat des intercommunalités, ils se composent d’un travail d’étude, de l’énoncé d’un projet et de ses débouchés opérationnels et réglementaires. La pratique actuelle correspond à cette définition. - la seconde se trouve sur le site internet « Objectif Paysages » du ministère, où sont recensées les démarches actuellement engagées. Deux nuances par rapport à 1995 : les porteurs ne sont pas forcément des intercommunalités (on y trouve même des associations), et le débouché réglementaire n’est pas mentionné 1. Les plans de paysage sont élaborés dans la perspective du développement durable des territoires dont les canicules et les crues d’hiver nous rappellent l’absolue et concrète urgence. L’histoire de la diffusion de ces démarches illustre la façon dont s’est affirmée au cours du temps un mode de conduite pour les projets locaux conjuguant l’échelle micro-locale et l’échelle territoriale, l’immédiateté des résultats et le temps long des stratégies. Pour peu que leur mise en réseau puisse permettre leur généralisation, ces démarches pourraient être le vecteur de réussite de la transition écologique.

De la loi paysage aux plans de paysage

L’émergence clairement affirmée du paysage dans les politiques publiques date de la décennie 1990, avec pour ancrage la loi Paysage de 1993 qui reconnaît le paysage du quotidien comme un enjeu majeur pour les populations. Des plans de paysage sont alors expérimentés dans quelques territoires, ainsi à Decizes (Nièvre), Belle-Ile ou Saint-Flour, en accompagnement de l’arrivée de l’autoroute A75. Répertoriées dans la brochure « Repères 1993 » 2, ces études sans existence juridique sont officialisées par la circulaire de 1995 qui les décrit comme des « démarches opérationnelles identifiant des actions concrètes à engager et les moyens nécessaires à leur gestion et leur suivi ». La planification urbaine devient l’un de leurs débouchés possibles. De nouveaux plans sont alors mis en place. Laissés le plus souvent à la seule initiative de ses services déconcentrés, ils sont mal référencés et peu suivis par le ministère. La connaissance du paysage est activement poursuivie pendant les années 2000 avec le développement des observatoires photographiques et des atlas de paysage sur la presque totalité du territoire national. Mais, de son côté, la phase d’action reste principalement portée par des initiatives locales 3. Alors qu’elle avait débuté par l’édition, en 2001, d’un « guide des plans de paysage » rédigé par Bertrand Folléa, l’activité incitative nationale reste plutôt faible dans ce domaine pendant la décennie 2000.

De la relance de 2013 aux plans thématiques

En 2013, le ministère de l’écologie et du développement durable relance vigoureusement la démarche. Le bureau des paysages diffuse un appel à projet national et crée un « club plan de paysage » pour réunir les lauréats 4. La note qui lance cet appel à projets définit les plans comme « une démarche de projet de territoire, élaborée par les collectivités locales, partagée et portée par l’ensemble des acteurs de ce territoire. » Les plans de paysage sont généralistes, mais tous les territoires qui les engagent identifient un point de vue thématique à partir duquel le leur sera réalisé : le patrimoine, l’eau ou bien encore la nature en ville. Notifié aux jurys successifs, un critère important de sélection est le degré de participation citoyenne prévue aux différentes phases de ces plans.

L’urgence climatique imposera de repenser la production énergétique à l’échelle nationale. De son côté, la réticence de nombreux habitants face à l’installation chaotique ou opportuniste des premières centrales éoliennes ou photovoltaïques a poussé à expérimenter des plans de paysage ‑ transition énergétique avec, depuis 2020, un co‑financement de l’ADEME . En 2024, le thème de la biodiversité est apporté et soutenu par l’office français de la biodiversité (OFB). On pourrait imaginer que les conséquences du changement climatique appellent d’autres types de plans, ainsi sur la ressource en eau (inondations, sécheresses…), avec un financement des agences de l’eau.

Dynamisme et foisonnement des plans de la décennie 2013-2023

Près de cent quatre-vingt plans de paysage ont été financés par le ministère de la transition écologique pendant cette période, auxquels il faut sans doute ajouter de nombreux autres lancés sans subvention ministérielle. Les plans de paysage concernant les territoires urbains (8%), périurbains (52%) et ruraux (40%), ces démarches reflètent la diversité de nos territoires 5. De la petite commune rurale à la métropole, les structures porteuses sont diverses, avec de fortes différences en matière de populations et de superficie : communes, intercommunalités, syndicats dotés d’un schéma de cohérence territoriale (SCoT), d’un schéma d’aménagement et de gestion des eaux (SAGE), parcs nationaux, pays d’art et d’histoire, associations ou périmètres UNESCO. Dans le guide mentionné plus haut, Bertrand Folléa identifie trois types de débouchés pour les plans de paysage : réglementaire, opérationnel et pédagogique. Les traductions réglementaires se trouvent dans les orientations d’aménagement et de programmation (OAP) des PLUi. Les traductions opérationnelles sont des actions concrètes mettant en oeuvre le projet de territoire par l’aménagement d’une place ou le défrichement d’une parcelle. De leur côté, les traductions pédagogiques font partager les objectifs de qualité paysagère aux institutions, aux acteurs économiques et au grand public, ainsi les actions de médiation culturelle auprès des scolaires dans le pays d’art et d’histoire de Cluny-Tournus. Si elle peut suivre une méthodologie commune, la démarche paysagère ne saurait s’appliquer partout de la même manière : diversité et représentativité marquent donc le dispositif des plans de paysage. La force de ces plans tient en particulier à leur prise en compte fine des caractéristiques d’un espace vécu. De fait, les plans de paysage ont montré une belle inventivité dans la manière d’associer les populations par des arpentages de terrain ou des descriptions graphiques ou photographiques prenant en compte les caractères physiques ou écologiques locaux, et plus globalement leur « corps sociétal », selon l’expression d’Yves Gorgeu 6. De l’arrivée d’une autoroute à Saint-Flour à l’implantation harmonieuse de centrales solaires, l’histoire quelque peu chahutée des plans de paysage montre comment, à bas bruit et depuis trente ans, ces démarches innovantes accompagnent l’évolution qualitative des territoires. Leurs caractéristiques étant difficilement compatibles avec le caractère descendant et cadré de démarches normatives, les plans de paysage ne peuvent être que des démarches volontaires 7

Des démarches à la pérennité fragile

Les territoires ayant répondu aux premiers appels à projet sont pourtant peu nombreux à faire vivre leur démarche aujourd’hui. Comme les plans de paysage ne sont ni obligatoires ni contraignants, un projet d’aménagement du territoire à partir de son paysage appelle deux facteurs de réussite complémentaires. Animer la démarche sur le long terme suppose un soutien politique fort et, d’autre part, un portage technique transversal assuré dans le meilleur des cas par un poste dédié au suivi des actions. Les métropoles et grandes agglomérations disposent de services techniques significatifs 8.

Inversement, une fois la subvention d’Etat épuisée, l’ingénierie fait souvent défaut en milieu rural, à l’exception des parcs naturels régionaux ou des grands sites de France dont les équipes réduites, mais dynamiques, peuvent suivre ces projets. Ce défaut de pérennité ne doit pas induire la tentation d’imposer une norme obligatoire pour le développement de ces plans, qui serait inadaptée à la fluidité de la démarche comme à son appropriation citoyenne. De fait, le succès des plans de paysage tient pour partie à leur nature d’objet juridique non identifié. Pour autant, par quel chemin induire la généralisation de ces démarches de paysage, qui s’avèrent un levier puissant pour accélérer la transition écologique et son appropriation démocratique, ainsi que l’analyse le think-tank La Fabrique écologique dans sa note « Réussir la transition écologique par l’approche paysagère » (avril 2024) ? Le massif des Vosges développe depuis plusieurs décennies des plans de paysage dont les caractéristiques sont propres à assurer une telle évolution. De l’échelle micro-locale à l’échelle territoriale, une planification spatiale cohérente articule les micro-aménagements et le schéma stratégique intercommunal. Sur le plan temporel, ces plans conjuguent le temps court de l’efficacité et une cohérence stratégique d’ensemble. Des résultats immédiats font adhérer au projet, cependant qu’une animation dans la durée reste la condition nécessaire pour que le développement se fasse dans le sens de la transition écologique. Enfin, la mise en réseau de ces initiatives est un facteur important de leur généralisation, en coordonnant les démarches locales à l’échelle supérieure pour renforcer la cohésion de leur ensemble.

Des stratégies paysagères déclinées à l’échelle locale

Accompagnant la fin du modèle ouvrier-paysan avec les fermetures des usines textiles au sud du massif, le vaste territoire habité du parc des ballons des Vosges9 était affecté il y a trente ans par des dynamiques paysagères régressives : fermeture des paysages du fait de l’enfrichement ou l’enrésinement, patrimoine bâti en souffrance, friches industrielles nombreuses, pression urbaine et touristique grandissante. A la demande de ses élus et bien dans son rôle, le parc a expérimenté l’outil plan de paysage dès le vote de la loi paysage en 1993. Les plans menés sur ce territoire ont pour caractéristique majeure leurs résultats concrets. Un exemple. Ce village de montagne se trouvait enfermé dans une forêt couvrant 85% de sa surface du fait d’une déprise agricole et démographique majeure, le bâti patrimonial était en déclin, les vergers à l’abandon et le cadre de vie dominé par l’épicéa. Trente ans plus tard, ce village respire, des dizaines d’hectares de prairies restaurées ont écarté les résineux. Dans l’ensoleillement retrouvé, un verger conservatoire riche en biodiversité a été replanté. La population qui a doublé vit dans un paysage habité, ménagé et valorisé, la réhabilitation du patrimoine bâti ayant supplanté la logique d’étalement urbain si fréquente ailleurs. Ces habitants ont accueilli avec sérénité une toiture photovoltaïque pour leur église, ainsi que plusieurs éoliennes.

Ce village-clairière existe, c’est La Grande Fosse, au nord du territoire du parc, qui s’est engagé dès 1995 dans un plan de paysage intercommunal, révisé en 2011 avec une acceptation locale remarquable.

La mesure la plus souvent mise en oeuvre dans le cadre des plans de paysage vosgiens est la reconquête pastorale et paysagère de friches publiques et d’espaces péri-villageois au foncier souvent morcelé, qui a été acquise sur 4 800 ha en tout. Des collectivités ambitieuses ont créé des associations foncières pastorales, outil très efficace pour mettre en oeuvre la réouverture de ces espaces par un projet agricole, écologique et paysager.

De nombreuses friches industrielles ont fait l’objet d’interventions mobilisant de précieuses opportunités foncières en les conjuguant avec la mise en valeur d’un héritage patrimonial. AInsi limite‑t-on l’étalement urbain qui impacte trop souvent les ressources agricoles et naturelles. Citons notamment le programme de requalification architecturale et paysagère dans la vallée de la Haute Meurthe (Vosges), le parc de Wesserling (Haut‑Rhin) et la Filature de Ronchamp (Haute‑Saône).

Témoignant des singularités de chaque vallée, le patrimoine bâti rural fait régulièrement l’objet d’actions dédiées : outils de connaissance, dispositifs de conseils aux particuliers ou incitations financières. En net déclin, les vergers traditionnels et familiaux ont eux aussi bénéficié d’opérations programmées : l’amélioration des vergers du Val de Galilée en Déodatie (Vosges) a permis, par exemple, la plantation de plus de mille fruitiers chez les particuliers. Les actions menées dans le cadre des plans de paysage doivent veiller à la pertinence de l’échelle de travail. C’est idéalement celle d’une intercommunalité de taille suffisante pour pouvoir offrir une approche paysagère cohérente et une capacité à mobiliser les moyens humains, techniques et financiers nécessaires. Ainsi à Fraize (Vosges), la restauration des prairies humides des Prés Bazure en fond de vallée s’est-elle conjuguée avec une approche globale, celle du plan de paysage, permettant une articulation des outils règlementaires et des démarches de projet dans un PLU qui a pu stopper la conurbation de la vallée. Dans le cas d’un bâti à remettre en valeur ou dont il faut éviter l’étalement, ou encore de l‘ensemble complémentaire forêts-prairies à restaurer pas à pas, la mise en cohérence des interventions de petite et de grande échelle est une vertu majeure de ces démarches.

Cette articulation recoupe celle qui concerne la temporalité des interventions.

Une stratégie du temps long, faite de gestes successifs

Si le caractère non contraignant et volontaire d’un plan de paysage est une de ses forces, le fait de traduire les ambitions collectives dans des documents réglementaires reste un gage d’efficacité sur la durée. Dans cette logique, le PLU de la Grande Fosse (Vosges), le PLUi « patrimoine et paysage » de la vallée de Saint-Amarin (Haut‑Rhin), les règlementations des boisements, ou encore l’aménagement foncier agricole, forestier et environnemental de Ronchamp (Haute-Saône) ont constitué les conditions nécessaires du maintien à long terme des dynamiques engagées. Néanmoins, un défaut de volonté politique et d’ingénierie fragilisera la durabilité du projet. Il faut donc réussir à perpétuer le portage politique et technique local qui était présent au départ. Un certain nombre de territoires vosgiens ont pu maintenir une action continue pendant trente ans. Ils offrent les résultats les plus remarquables sur un plan quantitatif ou qualitatif : ainsi en vallée de la Bruche (Bas-Rhin, frontalière du Parc), dans la commune de la Grande Fosse (Vosges) ou encore le territoire des Hautes Vosges (Vosges), et bien sûr la vallée de Saint-Amarin (Haut-Rhin). Porteuse d’un premier plan de paysage dès 1994, cette dernière est marquante par la cohérence et l’ambition des réalisations portées depuis trente ans : restauration pastorale et paysagère de près de 700 ha couplée avec une importante dynamique agricole (90 emplois créés), développement des circuits courts, réhabilitation des friches industrielles, amélioration de l’attractivité du territoire, approbation dès 2019 d’un PLUi « patrimoine et paysage » qui, bien avant le zéro artificialisation nette (ZAN), réduit de 85% les zones constructibles et propose de nombreuses OAP. Au coeur de cette vallée, le parc de Wesserling (42 ha autour de l’ancienne manufacture textile) témoigne de cette logique d’aménagement mise en oeuvre avec constance. Certaines actions ponctuelles, menées dans le cadre de la mise en oeuvre d’un plan de paysage, ont su elles aussi s’inscrire dans la durée. A Lusse (Vosges), l’accueil de leur activité dans un bâtiment communal a permis l’installation d’un couple de chevriers au coeur de paysages menacés. Vingt‑cinq ans après, l’exploitation a été transmise : fidèle à l’esprit du projet, un nouveau couple de paysans poursuit aujourd’hui la gestion des espaces ouverts. Plus généralement, les actions en faveur de la réouverture des paysages perdurent grâce à l’économie agricole et pastorale dont elles assurent l’autonomie fourragère, permettant alors l’installation de jeunes agriculteurs et le renouvellement des générations 10. Le modèle vosgien du plan de paysage propose donc le développement pluri-décennal opiniâtre de gestes concrets et de proximité qui, tous ensemble, prennent sens et cohérence à l’échelle territoriale. Ces démarches sont ancrées, par ailleurs, dans divers supports réglementaires (planification urbaine, aménagement foncier, stratégies agricoles) et entretenues par une animation technique locale régulièrement reconduite.

Assurer la mise en réseau des démarches, des porteurs politiques et des animateurs techniques

Le Parc des ballons conduit depuis trente ans une politique de partage et transfert d’expériences entre élus et techniciens communautaires des différentes vallées, assurant de la sorte une contamination positive entre les acteurs. Le territoire du parc est riche aujourd’hui de trente démarches paysagères qui couvrent la quasi‑totalité de ses intercommunalités. Proposées aux territoires par les chartes successives du parc lui‑même, ces démarches ont souvent fait l’objet de révisions à l’occasion d’un renouvellement des ambitions locales après dix ou quinze ans de mise en oeuvre, ou encore dans le cadre d’une évolution de la carte intercommunale. De précieux soutiens publics sont venus garantir la pérennité de ces politiques paysagères : politique des paysages du conseil départemental des Vosges, politique régionale des paysages Etat‑région en Lorraine, politique « Gerplan » du conseil départemental du Haut-Rhin, politique du commissariat de massif des Vosges… Néanmoins, à certaines périodes, soutenir ces plans a été une lutte contre vents et marées, du fait des priorités successives d’une action publique nationale où le paysage subissait des éclipses (ainsi, comme vu plus haut, la quasi disparition de l’incitation aux démarches actives locales pendant la décennie 2000). La capitalisation des centaines d’actions et expériences issues des démarches paysagères, la mise en réseau de cent-soixante-cinq techniciens contribuant à la mise en oeuvre des plans de paysage ont été toutes deux initiées par le parc. Elles ont été maintenues pendant une dizaine d’années au cours desquelles l’écosystème régional et départemental favorable évoqué plus haut offrait une véritable synergie autour de l’outil plan de paysage, avant que la relance nationale de 2013 envoie enfin un signal positif pour sa promotion. Dépérissement des forêts, enneigement aléatoire des stations, ressource en eau qui s’amenuise : les paysages vosgiens et l’économie locale qui les engendre sont marqués par les mutations accélérées qu’induit la crise climatique. A l’image de la fermeture des paysages il y a trente ans, cette nouvelle conjoncture appelle aujourd’hui à se (re) mobiliser et à se projeter collectivement autour des trois principes évoqués ci-dessus : articulation des échelles spatiales, mise en cohérence des temporalités, mise en réseau des territoires et de leurs acteurs. La nouvelle charte du parc 2027-2042 offre l’opportunité de renouveler cette dynamique pour relever le défi de paysages désormais sobres et décarbonés. Visant l’urgence d’en réaliser les transitions, le paysage sera compris comme une méthode et le changement climatique comme une opportunité.

Après trente années de succès locaux et en dépit d’un développement peu lisible dans la durée à l’échelle nationale, il semble bien que, du fait de sa souplesse, de son adaptabilité et de sa capacité de mobilisation des populations, le plan de paysage tel qu’il a été compris et mis en oeuvre dans le modèle vosgien est l’outil qui permet d’assurer une transition écologique par le paysage. Comment une telle démarche peut-elle être amenée à faire école sur des territoires de plus en plus vastes ? Comment généraliser le volontariat de façon qu’une masse critique de plans permette d’enclencher la requalification globale de nos espaces de vie ? Ce processus sera engagé si un signal national est donné, en même temps que se multiplient les mises en réseau emboîtées à l’échelle régionale puis nationale. La reconnaissance nationale pourra passer par l’écriture d’une très courte circulaire remplaçant celle de 1995 avec un maximum d’ouverture et de souplesse et un minimum de détails d’exécution. Autour d’un noyau dur de contenu et de méthode sera défini un mode de constitution pour un réseau de procédures, de techniciens et de porteurs politiques. Dans le même temps, sera formulée une proposition ambitieuse d’incitations financières départementales, régionales et nationales à l’appui des programmes d’action et de l’ingénierie locale. Enfin, facteur de confortement de chacune d’elles et de multiplication de l’ensemble, une aide résolue à la mise en commun des démarches devra être mise en place, à l’image de ce qui existe pour les parcs naturels régionaux comme pour les grands sites de France. Ainsi, tout en conservant son caractère d’OVNI procédural, le plan de paysage sera-t-il amené à couvrir progressivement l’ensemble du territoire. Le pari d’une adhésion volontaire hors de toute réglementation a des chances de réussir parce que le paysage est une réalité positive et concrète, celle du milieu de vie de chacun. Appréhendé de façon sensible et non technique, il constitue ainsi un des rares vecteurs potentiels d’une transition choisie

  • 1 Cf les deux textes présentés en annexe du pdf joint.

  • 2 Publiée par le ministère de l’équipement (direction de l’architecture et de l’urbanisme).

  • 3 Dans son rapport de stage au bureau des paysages en 2012, Cécile Folinais recense 73 plans d’initiative locale entre 2000 et 2005.

  • 4 Ces appels seront reconduits chaque année à partir de 2018.

  • 5 Selon le zonage en aires d’attraction des villes 2020 de l’INSEE, avec comme définition pour le périurbain : « commune de la couronne » et pour le rural : « commune hors attraction des villes ».

  • 6 Cf « La transition énergétique est une opportunité pour repenser la qualité paysagère et humaine des territoires », Yves Gorgeu in « Villes et territoires de l’après-pétrole » Le Moniteur 2020, pp 68 et sq.

  • 7 Les mésaventures de l’application du « zéro artificialisation nette » illustrent les impasses d’une réglementation obligatoire pointilliste et uniformisante.

  • 8 Dans l’idéal, le référent technique en charge du paysage devrait être rattaché à la direction générale des services pour garantir la cohérence et la transversalité de l’ensemble des mesures adoptées par la collectivité.

  • 9 Créé en 1989, il compte plus de 200 communes et 250 000 habitants sur 3000 km², deux régions et quatre départements.

  • 10 En 2021, 478 opérations avaient été réalisées sur le territoire du parc, soit 3 318 ha restaurés depuis 1989.

Références