Des villes qui s’étalent en s’émiettant
Eric Charmes, octobre 2015
En France, les nappes bâties continues qui constituent les agglomérations ne s’accroissent presque plus. Loin de l’image communément partagée des zones pavillonnaires qui s’étendent à perte de vue, les villes ne s’étendent pas à la façon d’un volcan, avec une poussée verticale au centre et des nappes urbaines qui se répandent en périphérie avec une densité décroissante. La meilleure illustration quantitative de ce phénomène est la faiblesse de la croissance spatiale de beaucoup de pôles urbains. Le cas de Toulouse, étudié par Séverine Bonnin-Oliveira (2012) est particulièrement évocateur. Entre le zonage de 1999 et celui de 2010, le pôle urbain, constitué rappelons-le des communes intégrées dans la zone bâtie continue du centre de la ville, est passé de 72 à 73 communes. Dans les villes où l’augmentation du nombre de communes qui composent le pôle urbain est plus importante, la continuité bâtie ne s’est souvent établie que par le biais de quelques constructions le long d’une voie routière. Cette faible croissance spatiale des pôles urbains contraste fortement avec la vigueur de la croissance des couronnes périurbaines (voir Une forte croissance, y compris pour l’emploi).
Or, loin de s’effectuer par étalement continu, la croissance se fait en « sauts de grenouille », pour reprendre une expression étasunienne. On l’a dit, dans près de neuf cas sur 10, les communes périurbaines ont moins de 2000 habitants. Les extensions urbaines y demeurent souvent réduites. Ainsi, plus de 80 % des terres périurbaines restent occupées par l’agriculture et les espaces naturels (Cavailhès, 2004). Ce chiffre est une moyenne, mais comme le montre l’image ci-dessous, même dans une zone à proximité de l’aéroport Charles de Gaulle et de la Francilienne, le paysage reste très agricole (et ceci alors même que, dans cette zone, l’aéroport n’impose presque pas de contraintes en matière d’urbanisation).
En réalité, la périurbanisation doit être appréhendée à deux échelles. A une échelle large, elle apparaît comme l’extension de la zone d’influence des grandes villes. On peut alors parler d’étalement. Toutefois ce dernier est en large part fonctionnel et non morphologique. Quand on analyse le processus de périurbanisation à une échelle plus fine, le terme « étalement » apparaît impropre. Le périurbain est en effet un espace émietté, constitué de noyaux d’urbanisation éparpillés dans des territoires où vu d’en haut, la couleur dominante est celle des champs, des parcs et des espaces naturels.
Cet émiettement n’est pas propre à la France, mais il est particulièrement intense, à la fois par la population concernée et par le degré d’émiettement de l’urbanisation. Cette spécificité française s’explique pour l’essentiel par le degré très élevé de fragmentation du tissu communal et par le fait que chaque commune décide de manière relativement indépendante de son avenir urbanistique, notamment depuis les lois de décentralisation du début des années 1980 (voir Périurbanisation et logiques locales).
Références
BONNIN-OLIVEIRA Séverine, 2012, Intégration des espaces périurbains à la planification métropolitaine et recompositions territoriales: l’exemple toulousain, Thèse de doctorat. Université Toulouse le Mirail-Toulouse II (consultable en ligne)
CAVAILHES Jean, 2004, L’extension des villes et la périurbanisation, Villes et Économie, p. 157-184