L’expérimentation « Ehop près de chez moi » : covoiturage solidaire de proximité en Bretagne
septembre 2023
Le covoiturage de proximité a été développé à titre d’expérimentation entre 2019 et 2022 par l’association Ehop et trois EPCI bretons volontaires, aux profils différents. Ce projet, nommé « Ehop près de chez moi », a permis d’expérimenter une nouvelle forme de covoiturage, portant un objectif social d’accès à la mobilité pour des activités quotidiennes (achats, loisirs, soins). Le mode de mise en relation, la démarche et le type de trajets effectués diffèrent de ce qui est communément mis en place par les services de covoiturage classique. L’analyse croisée et le retour d’expérience de deux de ces EPCI ; la communauté d’agglomération Concarneau Cornouaille Agglomération, et la communauté de communes Ploërmel Communauté, permettent de faire le bilan de cette expérimentation d’un covoiturage de proximité basé sur la solidarité.
Personnes interrogées :
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Ophélie Bigot, co-présidente de l’association Ehop
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Cédric Cherfils, Chargé d’études et de projets de mobilité à la Région Bretagne
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Gérard Martin, vice-président mobilités et transport de la Communauté d’Agglomération Concarneau Cornouaille Agglomération ; Benoît Bithorel, responsable service transports agglomération et Susie Brenner animatrice des transitions, Communauté d’agglo de Concarneau
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Felix Moal, chargé du pilotage de OuestGo à la Région Bretagne
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Florence Prunet, vice-président mobilité de Ploërmel Communauté et Jonathan Thiery, chargé de mission mobilité à Ploërmel Communauté
Les enjeux liés à la mobilité au sein de deux EPCI participant à l’expérimentation « Ehop près de chez moi »
La communauté d’agglomération Concarneau Cornouaille Agglomération (CCA), située dans le Finistère, est un EPCI de 50 000 habitants répartis entre 9 communes pour une densité de population de 137 hab./km² en moyenne. Concarneau est la ville-centre et le territoire est desservi par le TGV à Rosporden, commune membre de l’intercommunalité. En tant qu’AOM locale, l’EPCI déploie depuis 2012 un réseau de transports « Coralie », bien implanté sur le territoire avec 4 lignes de bus régulières, une dizaine de lignes de transport à la demande (TAD), et un engagement fort pour le développement du réseau cyclable. Le réseau scolaire est également accessible à tous, mais très peu utilisé. 80 % des usagers des transports en commun sont ainsi des « captifs » et l’usage de la voiture est facile dans les communes de l’EPCI, ce qui est aussi lié à des facilités de stationnement dans les communes, la compétence ne dépendant pas de la Communauté d’agglomération.
La communauté de communes Ploërmel Communauté est un EPCI de 42 000 habitants, qui regroupe 30 communes dont une ville-centre (Ploërmel) où résident ¼ des habitants de l’EPCI, quelques centralités moyennes et de très petites communes. Territoire rural et très étendu (800 km²), la densité moyenne est faible (52 hab/km²). Dès la création de l’EPCI, en 2017, se pose la question de « comment faire communauté avec de telles distances entre les communes ? ». Malgré le caractère rural et peu dense du territoire, la mobilité est l’un des axes forts portés par l’exécutif, pour garantir un développement équilibré du territoire et maintenir l’accès aux services et activités. La communauté de communes est devenue AOM et organise depuis 2018 une offre de mobilités à travers le Réseau intercommunal de voyage (RIV) ; 9 lignes régulières de bus, TAD zonale, location de vélos électriques, location de voitures et covoiturage. La voiture reste toutefois prédominante dans les pratiques, utilisée pour 84 % des kilomètres parcourus.
L’animation du covoiturage du quotidien en Bretagne grâce à l’implication de l’association Ehop, « activateur de covoiturage », et celles de plusieurs collectivités locales de l’Ouest
Le territoire breton et celui de la Loire-Atlantique s’illustrent par une mise à l’agenda de longue date du covoiturage, notamment par les Départements du Finistère, du Morbihan, d’Ille-et-Vilaine et de Loire-Atlantique, et par les métropoles de Rennes ou de Nantes. En parallèle, dès 1997 se créé l’association Allostop Bretagne, puis en 2002, plusieurs collectivités locales soutiennent l’association Covoiturage+ qui vise à développer le covoiturage domicile-travail en Ille-et-Vilaine, comme le rapporte l’étude de cas relative à Rennes métropole et Covoiturage+ détaillé dans le rapport ADEME-Inddigo (2015). Les appariements entre covoitureurs sont d’abord gérés sous Excel par les fondateurs de l’association puis, en 2004, un premier site internet est proposé. En 2013, la marque Ehop est créée, traduisant « un tournant vers l’accompagnement au changement de comportement. » (site internet Ehop). L’association Covoiturage+ prend en 2018 le nom de Ehop et se concentre sur son activité d’ « activateur de covoiturage », c’est-à-dire, pour Ophélie Bigot co-directrice de l’association, une activité d’« accompagnement du développement des politiques publiques en termes de mobilités partagées. »
Ehop conserve cependant une activité de mise en relation à travers deux services. Tout d’abord, le service « Ehop solidaires », dédié à l’accompagnement solidaire vers l’emploi ou la formation pour des publics en situation de fracture numérique. Pour ce service, une ligne téléphonique permet de recevoir des demandes : plus de 950 ont été déposées en 2021. Le second service est l’expérimentation « Ehop près de chez moi », que nous détaillerons davantage dans le reste de cette étude de cas.
En 2016, Ehop et plusieurs collectivités locales se réunissent pour faire émerger la première plateforme de covoiturage régionale publique : OuestGo. Cette plateforme mutualisée est le fruit de la coopération entre la Région Bretagne, le Département du Finistère, Rennes Métropole, Nantes Métropole, Brest Métropole, la CARENE St Nazaire Agglomération et l’État (DREAL Bretagne), avec le soutien de l’ADEME. OuestGo détaille sur son site internet les différents principes de cette initiative collective entre Collectivités (voir encadré ci-dessous). Par ailleurs, les trajets réalisés sur OuestGo ne permettent pas d’obtenir des incitations financières. Depuis 2023, OuestGo est cependant partenaire du RPC pour l’obtention de la prime aux primo-conducteurs du Plan covoiturage.
L’émergence de l’expérimentation « Ehop près de chez moi » : adapter l’offre et l’accompagnement vers le covoiturage pour développer « un service inclusif et intergénérationnel pour les petits trajets de proximité »
Alors qu’Ehop a été historiquement créé pour promouvoir le covoiturage domicile-travail, l’association développe à partir de 2019 une expérimentation de covoiturage pour d’autres motifs : « Ehop près de chez moi ». Suite à une enquête menée en 2018 auprès de 400 habitants et six structures sociales de Concarneau Cornouaille agglomération et de Ploërmel Communauté, des besoins de mobilité non satisfaits remontent, pour des motifs de déplacement non liés au travail ou études. Au départ, l’association fait l’hypothèse d’un besoin pour des familles qui doivent amener les enfants aux activités extra-scolaires, or des réseaux informels fonctionnent déjà pour ces besoins. L’enquête montre en revanche des besoins pour des activités de proximité, de très courte-distances, comme aller chez le médecin, faire des courses, en particulier pour les seniors. L’enquête a également montré l’importance de proposer un service non seulement sur une plateforme, mais aussi avec une ligne téléphonique pour proposer un accompagnement humain. Les messages de communication, les outils proposés et le public ciblé changent par rapport aux logiques dominantes du covoiturage domicile-travail. C’est un covoiturage de proximité, « ultra-local », qui va être mis en avant, pour mettre en relation des habitants d’une même intercommunalité, voire d’une même commune ou d’un même quartier.
L’expérimentation « Ehop près de chez moi » est développée au sein de trois EPCI et financée pour 3 ans par un financement de l’ADEME pour Concarneau Cornouaille Agglomération et Ploërmel Communauté, et par une aide du Département d’Ille-et-Vilaine et de la préfecture pour la Communauté de communes Bretagne romantique. Le covoiturage de proximité est présenté par les deux Collectivités rencontrées comme complémentaires des services de bus développés sur leur territoire. « Le constat qui a été fait, c’est que le réseau de transport existant depuis 10 ans maintenant ne permet pas d’aller partout, et comme on est sur un territoire peu dense, avec un habitat diffus, il y a des personnes isolées. » rapporte Benoit Bithorel, responsable service transports à la CA de Concarneau. Pour Florence Prunet, élue de Ploërmel Communauté, « le covoiturage est vu comme une offre complémentaire, comme les autres offres de mobilité, parce qu’en milieu rural les bus ne peuvent pas passer toutes les heures dans toutes les communes. »
L’expérimentation est qualifiée d’innovation sociale par Ophélie Bigot, co-directrice d’Ehop, pour aller chercher les personnes les plus isolées, sans solution de mobilité. En effet, même si des services de transport existent sur les deux territoires étudiés ici (bus, TAD), ils ne correspondent pas toujours aux besoins, soit en termes d’horaires ou de desserte géographique, soit parce qu’ils sont perçus comme dangereux ou inconfortable. Une étude réalisée par le Gérontopôle des Pays de la Loire a en effet montré qu’en milieu rural, les seniors utilisent à 70 % la voiture et à 25 % la marche. En général, s’ils ne peuvent plus utiliser leur voiture, ils ne la substituent pas par un autre mode de déplacement et cessent de se déplacer. Même s’il y a des transports en commun, ils les utilisent peu, car ils ne s’y sentent pas en sécurité, ou parce que l’imaginaire de liberté autour de la voiture reste très prégnant 1.
Le caractère solidaire de l’expérimentation est central, puisqu’aucun échange d’argent n’est promu. Les conducteurs participent pour rendre service, pour s’entraider entre voisins ou habitants d’un même territoire. « Il y a l’idée, pour le conducteur, que je vais faire ce trajet-là dans tous les cas, donc si je peux par la même occasion dépanner quelqu’un de ma commune qui lui ne peut pas se déplacer, je vais l’aider. Il y a vraiment cette notion d’entraide. Je pense que c’est important dans des petites communes de retrouver un peu de lien aussi. Dans certains secteurs, il y a beaucoup de résidences secondaires, mais vu qu’en ce moment c’est vide, les quelques personnes âgées qui restent là sont bien contentes de trouver des gens avec qui elles peuvent discuter, aller en voiture », décrit Gérard Martin, élu mobilités et transport à la CA de Concarneau.
Pour résumer, les atouts mis en avant pour promouvoir ce « covoiturage de proximité » sont :
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Proposer une nouvelle solution de mobilité complémentaire des transports publics ;
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Optimiser les trajets déjà réalisés ;
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Rompre l’isolement relationnel ;
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Réaliser des économies par rapport au TAD 2.
Donner du « temps humain » pour expérimenter et « aller chercher » des publics isolés
Il y a un enjeu très fort à aller chercher ces publics isolés (personnes âgées, jeunes sans solution de mobilité), et créer une communauté de volontaires prêts à rendre service. Ehop a ainsi cherché des référents covoiturage dans chaque commune pour faire le lien et organiser des ateliers. Des animations régulières ont été organisées, notamment sur les marchés et les foires, pour recruter des conducteurs volontaires. Les passagers sont eux plutôt recrutés par le tissu local de structures en contact avec les personnes isolées (élus, CCAS, PIJ, SIAE…), avec qui ces dernières sont en confiance. Des campagnes de communication ont également servi de vecteurs de diffusion d’informations sur le dispositif, en mettant en avant des motifs divers, différents du travail et des études.
Les conducteurs volontaires peuvent inscrire leurs trajets occasionnels ou réguliers sur le site internet dédié ou par téléphone, et les passagers réalisent leurs demandes de la même manière. L’association accompagne toute mise en relation, et cette intermédiation humaine est un élément clé pour ce type de covoiturage : « Ce qui est ressorti de l’expérimentation, c’est que les gens ont apprécié de pouvoir appeler, d’avoir quelqu’un derrière qui fasse la recherche pour trouver les personnes disponibles, vérifier que le conducteur a bien décidé de se déplacer, voir s’il sera disponible pour le retour… », explique Susie Brenner, animatrice des transitions à Concarneau agglomération. La demande de trajets peut être l’occasion pour Ehop de présenter les offres de mobilité qui existent déjà sur le territoire (bus, TAD) et qui pourraient correspondre au besoin de mobilité. De même, la personne dédiée à la mise en relation peut aussi lancer des « SOS » covoiturage en cas de demande de trajets sans solution, sur les réseaux sociaux, via les mairies, voire par la presse si le besoin de déplacement n’est pas pressé. « L’association donne du « temps humain » pour expérimenter. C’est un projet d’utilité sociale et environnementale » selon Ophélie Bigot, co-directrice d’Ehop, car il vise à optimiser les trajets en voiture existant dans les communes rurales et périurbaines, tout en faisant preuve de solidarité et d’inclusivité.
Résultats de trois années d’expérimentation : une « solution de dernier recours » nécessitant une forte implication humaine et la mobilisation du tissu local
Après 3 années de fonctionnement, Ehop a organisé des tables-rondes à Rosporden le 15 novembre 2022, revenant sur les 3 années d’expérimentation. L’association est revenue sur les caractéristiques des trajets réalisés via son service : les femmes sont surreprésentées en tant que conductrices et en tant que passagères. L’âge médian des passagers est de 56 ans, et 80 % des passagers ont contacté le service par téléphone, confirmant l’importance d’une intermédiation et d’un accompagnement humain. Le caractère « ultra-local » de ce covoiturage se confirme, car une demande de covoiturage sur deux a concerné des trajets de proximité inférieurs à 10 km. Environ un quart des trajets concernaient la santé, un quart les courses et un quart les loisirs. Enfin, 27 % des demandes étaient souples sur les horaires et les dates.
Au final, 822 trajets ont été proposés par 500 conducteurs et 321 demandes ont été déposées par 267 habitants. 55 % des demandes ont trouvé une solution de mobilité, dont 68 % en covoiturage, le reste ayant été satisfait par l’offre de transport en commun existante ou le réseau des proches. La CA de Concarneau témoigne d’un déséquilibre entre conducteurs et passagers : 150 conducteurs pour seulement 50 passagers ont participé au programme. Sur le territoire de Ploërmel communauté, 91 demandes de trajets ont été déposées et 23 mises en relation ont abouti. Le coût moyen de chaque mise en relation (pouvant entraîner plusieurs trajets) s’élève en moyenne à 510 €. En comparaison, le service de TAD mis en place par Ploërmel Communauté, avec 550 montées par semaine en moyenne, et un budget de 500 000 € par an, parvient à un coût au trajet de 19 €. Le public visé peut cependant être différent.
Il faut toutefois intégrer à ce coût du service l’ensemble des actions menées par l’association : sensibilisation sur le terrain auprès de potentiels conducteurs et accompagnement vers la mobilité pour des publics n’ayant pas connaissance des solutions existantes ou pour lesquels ces solutions ne conviennent pas. Une partie du travail d’Ehop consiste d’ailleurs à promouvoir un autre outil de mise en relation, OuestGo, ce qui n’est pas comptabilisé dans le calcul du coût au trajet. Pour Florence Prunet, élue déléguée aux mobilités de Ploërmel Communauté, « ces 23 mises en relation restent faibles en comparaison du travail effectué par Ehop. » Elles ne sont pas révélatrices du travail de sensibilisation d’Ehop dont les effets ne sont pas forcément traduits par le nombre de trajets selon l’élue : « Ce n’est pas parce que les gens ne passent pas par Ehop qu’ils ne covoiturent pas. Ils ont pu être sensibilisés grâce au travail d’Ehop, mais ne sont pas passés par le service ensuite. » F. Prunet témoigne d’un « travail de fourmis pour capter le plus de publics possibles. Il faut connaître les gens et désigner des personnes référentes pour une longue durée. » Elle note également le besoin de rendre visible le covoiturage, qui l’est beaucoup moins qu’une ligne de bus que l’on voit passer dans les communes.
Le bilan de Ehop près de chez moi est celui d’un effort très important dans l’animation, le recrutement de conducteurs et de passagers volontaires, et d’un faible nombre de trajets réalisés. L’association note 6 recommandations en faisant le bilan de ces 3 années d’expérimentation :
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Rester mobilisés sur le terrain local pour accompagner les habitants. Selon l’association, il existe une corrélation directe entre le nombre d’animations grand public et l’efficacité du service. La mobilisation des acteurs locaux est nécessaire, car ils sont à même s’établir une relation de confiance susceptible de lever les freins inhérents au covoiturage ;
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Organiser un service accessible à tous y compris les habitants en fracture numérique : proposer une mise en relation et un accompagnement via une ligne téléphonique est fondamental ;
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Ile fait que cette solution de mobilité complémentaire à l’offre de transport ne peut garantir 100 % des solutions. Le covoiturage de proximité est décrit comme une solution de dernier recours, quand le réseau de transport ou le réseau relationnel ne fournit pas de solution ;
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Donner le temps nécessaire à l’appropriation de ce nouveau service par les habitants
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Penser le service en adéquation avec le bassin de vie : les pratiques de déplacements dépassent les frontières administratives ;
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Construire une base de covoitureurs conducteurs solide pour savoir gérer des demandes de covoiturage différentes en termes de régularité et d’anticipation.
L’avenir du dispositif « Ehop près de chez moi »
En 2022, les collectivités participantes à l’expérimentation se sont posées la question de la poursuite du dispositif. Concarneau Cornouaille Agglomération a décidé d’internaliser le service et dédie un tiers d’équivalent temps plein (ETP), soit 12 000 euros par an, à l’animation du service téléphonique et la communication sur le covoiturage et au-delà, sur la mobilité et les transitions. Du côté de Ploërmel Communauté, le partenariat avec Ehop a été poursuivi en réduisant les temps d’animation du service et en l’intégrant aux missions de la Collectivité. Les moyens manquent cependant pour continuer d’animer le service et la communauté de covoitureurs volontaires.
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1 Cet exemple de l’étude du Gérontopole des Pays de la Loire a été mentionné par Pierre Grimaud, du CRESS Bretagne, lors des tables-rondes organisées par Ehop à Rosporden, le 15 novembre 2022.
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2 Ces atouts sont décrits dans la fiche « Retour sur 3 ans d’innovation sociale en Bretagne 2019 – 2021 » distribuée à Rosporden le 15/11/2022.