Les consultations délivrées en ADIL : bilan et enseignements
Prévention des impayés et des expulsions locatives
juin 2022
Agence Nationale pour l’Information sur le Logement (ANIL)
Des modifications législatives et réglementaires ont jalonné l’évolution de la politique de prévention des expulsions locatives depuis les années 90 : d’une logique visant à éviter les troubles à l’ordre public, le traitement des expulsions locatives a évolué vers une logique de prévention, incluant l’accompagnement social des ménages et le développement d’actions en amont des impayés de loyers, pour consacrer aujourd’hui une approche socio-juridique. Le législateur a prévu un ensemble de procédures visant à garantir tant les intérêts du bailleur que ceux du locataire en cas d’impayés. Il a également défini des instances de coordination et de pilotage de la politique locale de la prévention des expulsions, en particulier les Commissions de coordination des actions de prévention des expulsions locatives (CCAPEX). Le contexte particulier de la crise sanitaire, qui a pu engendrer une baisse de ressources pour une partie des ménages locataires, et donc, des difficultés de paiement de loyer, a fait craindre une explosion des impayés. La vague d’impayés de loyers pressentie n’a pas eu lieu. Mais cette absence d’explosion des impayés ne signifie pas pour autant une absence de difficultés, et les pouvoirs publics se sont mobilisés par la mise en place d’un troisième plan interministériel de prévention des expulsions pour 2021 et 2022. Cela réaffirme les enjeux de coordination d’une politique territoriale transversale faisant appel à une grande diversité d’acteurs. Le réseau des ADIL est fortement impliqué dans cette stratégie de coopération multi-scalaire.
Dans ce contexte, plusieurs questions se sont posées :
-
Quels enseignements peut-on tirer de l’évolution des consultations délivrées en ADIL ces dernières années ? L’année 2020 est-elle atypique ou porteuse d’évolutions durables ?
-
Comment se positionne le réseau des ADIL ? Quelles sont leurs missions ? Comment évoluent-elles ? Qu’est-ce que cette radioscopie des missions des ADIL raconte des enjeux locaux de mise en œuvre de la politique de prévention des expulsions ?
-
Comment le réseau peut-il contribuer à la structuration de la politique ?
Le cadre actuel de mise en œuvre de la politique de prévention des expulsions en France permet d’apporter un nouvel éclairage sur Les consultations délivrées en ADIL. A partir de données statistiques et des différentes observations en cours d’action, l’ADIL peut présenter un bilan et des enseignements utiles pour son évolution.
À télécharger : 002_les_consultations_delivrees_en_adil.pdf (2 Mio)
Les ADIL sont des associations sans but lucratif, régies par la loi du 1er juillet 1901. Elles sont créées à l’initiative conjointe d’un ou plusieurs départements, d’une métropole et de l’État. Elles sont agréées dans le cadre de l’article L.366-1 du CCH (Code la construction et de l’habitation), qui définit leurs missions. Elles ont ainsi pour objet « d’informer gratuitement les usagers sur leurs droits et obligations, sur les solutions de logement qui leur sont adaptées, notamment sur les conditions d’accès au parc locatif et sur les aspects juridiques et financiers de leur projet d’accession à la propriété, ceci à l’exclusion de tout acte administratif, contentieux ou commercial » (extrait de l’article L.366-1 du CCH). Elles favorisent l’accès au droit des ménages en matière de logement et assurent ainsi un rôle de prévention, notamment en direction des publics fragilisés, en permettant à chacun de mieux connaître le cadre juridique et les solutions adaptées à sa situation personnelle, et de faire ainsi des choix éclairés. L’information et le conseil auprès du public sur l’ensemble des thématiques liées au logement constituent leur mission socle, mise en œuvre par l’ensemble des ADIL du réseau. En fonction des enjeux qui se posent aux territoires et des partenariats développés localement, certaines ADIL ont également développé des missions spécifiques en matière de prévention des impayés et des expulsions. Au global, plus de 50 000 consultations sont réalisées annuellement à l’échelle du réseau sur cette thématique. Cette partie s’appuie sur l’exploitation des données de consultation recueillies via l’outil de suivi des consultations du réseau ANIL/ADIL.
1) Des consultations fortement marquées par la saisonnalité
Entre 2016 et 2021, le nombre moyen de consultations par mois s’élève à plus de 4 000. Néanmoins, cette moyenne lisse les évolutions qui s’observent tout au long de l’année selon une récurrence pouvant faire l’objet d’une modélisation. L’analyse du nombre de consultations mensuel sur une période de cinq ans permet en effet de mettre en lumière une saisonnalité des consultations selon le schéma suivant :
-
hausse en début d’année, qui marque une reprise des consultations après la baisse observée dans le cadre des congés de fin d’année ;
-
hausse en mars, en anticipation de la fin de la trêve hivernale ;
-
hausse en juin, avant les congés d’été ;
-
baisse en juillet et en août, liée à la période estivale ;
-
hausse à l’automne, en anticipation du début de la trêve hivernale ;
-
baisse en fin d’année, liée à la période de congés et à l’application de la trêve hivernale. L’année 2020, atypique du fait d’un pic de consultations inédit lié à la crise sanitaire, s’inscrit, elle aussi, dans cette même saisonnalité. Enfin, on observe également que le niveau des consultations en ADIL reste durablement élevé, malgré la sortie de la crise sanitaire.
Bilan du baromètre des consultations pour impayés locatifs en ADIL pendant la crise sanitaire
En 2020, près de 55 000 consultations avaient porté sur les impayés et la procédure d’expulsion. L’année 2020 avait été marquée par un pic de sollicitations record à la sortie du premier confinement (prise d’informations en anticipation d’éventuelles difficultés). Avec un peu plus de 52 000 consultations au cours de l’année 2021, dont 71 % émanent de locataires et 27 % de propriétaires bailleurs privés, le niveau de sollicitation est demeuré soutenu, bien qu’il n’y ait pas eu de pics comparables à ceux enregistrés en juin-juillet 2020, qui étaient liés à un contexte inédit.
2) Quelle évolution du profil des ménages consultant les ADIL ?
Le cœur de mission des ADIL est l’information du grand public, ce qui se traduit par une très large majorité de consultations à destination des particuliers, avec une grande stabilité dans le temps.
Une augmentation de la part des consultations des locataires et une diminution de celle des bailleurs
Le nombre annuel de consultations des particuliers se stabilise en 2021 autour de 50 000. Depuis 2016 on observe une évolution de la composition par statut d’occupation de ce volume. D’une part, la proportion de consultations émanant des locataires augmente, alors que celle des propriétaires bailleurs recule sensiblement. D’autre part, alors que l’augmentation de la part des consultations des locataires du parc social est progressive et continue, celle des locataires du parc privé est marquée par un pic de consultations en 2020, lié à la crise sanitaire.
Un impact de l’évolution des statuts d’occupation sur la structuration par âge des ménages
La structuration par âge des consultations des particuliers se caractérise par une grande stabilité en cinq ans. Elle est toutefois marquée par une légère hausse des consultations de ménages de moins de 30 ans, en même temps qu’une baisse de ceux de plus de 60 ans. Cela s’explique par l’évolution de la répartition des consultations par statut d’occupation.
-
de manière attendue, les propriétaires bailleurs sont plus âgés que les locataires. Ils sont plus d’un tiers à être âgés de plus de 60 ans, là où les locataires sont 10 % ou moins à l’être. La baisse de la part des consultations des bailleurs privés explique la diminution du nombre de consultations émanant de ménages de plus de 60 ans ;
-
les locataires du parc social sont plus âgés que les locataires du parc privé. Cela est représentatif de la population générale, les locataires du parc social étant en moyenne plus âgés que ceux du parc privé, ce dernier étant soumis à une plus grande mobilité.
Une part importante de ménages modestes consultant les ADIL
Au global, les ménages bénéficiaires des minima sociaux représentent un quart des ménages consultant les ADIL au titre des impayés locatifs. En 2020, ils sont relativement moins nombreux, quel que soit leur statut d’occupation. Cela s’explique dans la mesure où la crise sanitaire a entraîné l’apparition de nouveaux publics, moins fréquemment bénéficiaires des minima sociaux, tels que des indépendants (commerciaux, libéraux, auto-entrepreneurs…) ou des étudiants. Ainsi, en plus d’avoir contribué à la plus grande précarisation des ménages fragiles habitués du réseau, la crise a également touché de nouveaux publics, moins habitués à fréquenter les ADIL.
En 2021, on observe une précarisation de l’ensemble des publics, le nombre de ménages bénéficiaires des minima sociaux augmentant pour chacun des statuts d’occupation. Sont ainsi concernés :
-
plus d’un quart des locataires du parc privé (26 %) ;
-
plus d’un tiers des locataires du parc social (36 %) ;
-
près d’un cinquième des bailleurs (17 %).
Les bailleurs consultant les ADIL sont donc concernés par cette précarisation, au même titre que les locataires. Bien que les profils des bailleurs consultant les ADIL peuvent varier d’un territoire à l’autre, et que les ADIL situées sur les territoires les plus tendus peuvent être amenées à réaliser des consultations auprès de bailleurs ayant un profil d’investisseur, les ADIL sont majoritairement consultées par de petits bailleurs disposant d’un seul ou de deux biens, souvent âgés et pour lesquels le revenu locatif est un complément de revenu indispensable. Des CESF enquêtées mentionnent des bailleurs privés ne mobilisant pas de dispositifs de garanties, fonctionnant à la confiance. Les ADIL réalisent alors un important travail d’information de ces bailleurs quant à l’existence de la garantie VISALE, dont ils n’ont pas connaissance.
La prévention des impayés et des expulsions doit ainsi prendre en compte la question de la précarisation des petits bailleurs et des conséquences d’une perte de revenus substantielle pour ces ménages. Afin de mesurer de manière plus précise ce phénomène, l’ANIL, dans le cadre de la refonte de son outil de suivi des consultations engagée en 2021, a prévu d’intégrer un indicateur de repérage de ce public spécifique. Le nouvel outil sera mis en service au 1er janvier 2023.
Les entretiens réalisés témoignent enfin d’une très faible minorité d’impayés liés à des problématiques de gestion. Dans une large majorité de situations, les impayés sont liés à des ressources des ménages structurellement faibles, pouvant ainsi entraîner la constitution d’un impayé pour toute dépense imprévue (dépense de santé, réparation d’un véhicule…) ou lors d’évolutions des situations personnelles des ménages ayant un impact sur la composition des ressources des ménages (séparation, passage d’un enfant à l’âge adulte, perte d’emploi…).
3) Une évolution de l’origine et de la nature des consultations
Un conseil qui se renforce en phase amont, en même temps qu’en phase avale
Le stade amont comprend l’ensemble des consultations pour lesquelles aucune procédure n’a été engagée ainsi que celles pour lesquelles un commandement de payer a été envoyé ou réceptionné. On observe un renforcement des consultations en phase amont. Celui-ci est particulièrement lisible en 2020 et s’explique par le fait que le public nouveau apparu en 2020 du fait de la crise, constitué de ménages habituellement hors des radars des ADIL, a rapidement réagi à cette situation nouvelle, d’autant plus que des moyens de communication spécifiques et conséquents avaient été mis en œuvre.
Néanmoins, malgré l’amélioration de la situation sanitaire, la progression des consultations en phase amont, amorcée en 2019, se confirme en 2021.
Part des consultations en fonction du stade de la procédure
Hors année 2020, spécifique du fait de la crise sanitaire, on observe un renforcement des consultations au stade du commandement de payer en même temps qu’un renforcement de celles au stade du commandement de quitter les lieux. Cela s’explique par la hausse du nombre de missions spécifiques menées par les ADIL à ces deux stades. Les ADIL confirment donc leur positionnement en tant qu’acteur majeur de la prévention tout en étant davantage sollicitées au stade aval.
Les consultations ont augmenté en volume et en part au stade du commandement de payer et du commandement de quitter les lieux entre 2019 et 2021, respectivement de +2323 et +1118. La forte progression des consultations signalées hors démarche de 2020 est un artefact résultant de la conjugaison de l’anticipation de difficultés dans le contexte anxiogène de la crise sanitaire et de la communication sur les aides possibles (particulièrement celles mises en place par Action Logement), qui a été à l’origine d’un bond de consultations en ADIL au sortir du premier confinement.
Une évolution de l’origine des consultations qui témoigne d’une évolution des missions des ADIL
Le renforcement des missions spécifiques est lisible à travers l’évolution du nombre de consultations en fonction de l’origine :
-
bien qu’ayant baissé entre 2020 et 2021, le nombre de consultations issues de démarches spécifiques menées par les ADIL sont en augmentation entre 2019 et 2021. Le pic de 2020 témoigne d’une implication forte du réseau durant la période de la crise sanitaire ;
-
cette hausse des démarches spécifiques s’accompagne en miroir d’une baisse du nombre de consultations renvoyées vers les ADIL par les travailleurs sociaux. En réalité, de nombreuses consultations réalisées dans le cadre de démarches spécifiques sont le fruit de renvois de la part de travailleurs sociaux mobilisés dans ces démarches ;
-
l’augmentation du nombre de consultations issues des documents d’huissier témoigne lui aussi d’un renforcement des missions spécifiques des ADIL, aux stades du commandement de payer et de l’assignation ;
-
cette hausse se lit également à travers l’augmentation des consultations issues d’autres acteurs de la prévention des expulsions, puisque les ADIL s’inscrivent dans un partenariat mobilisant des acteurs variés ;
-
enfin, la baisse du nombre de consultations dont l’origine est « Autre » pourrait également s’expliquer par la hausse des démarches spécifiques.
Ces données relatives à l’origine de la consultation permettent également d’observer l’impact de la crise sanitaire sur l’origine des consultations : la forte communication réalisée autour du numéro national « SOS loyers Impayés » est lisible dans le pic de consultations en 2020, en même temps que la légère baisse observable pour les consultations liées au bouche-à-oreille.
L’outil de reporting du réseau ANIL/ADIL identifie par quels moyens ou via quels partenaires les ménages ont été dirigés vers l’ADIL (« origine de la consultation »). L’analyse des consultations par stade de la consultation en fonction de l’origine confirme le renforcement des actions des ADIL au stade amont en même temps qu’au stade aval :
-
l’augmentation nette de la part de consultations issues des documents d’huissiers au stade du commandement de payer traduit le déploiement d’actions spécifiques des ADIL à ce stade;
-
l’évolution des consultations issues des démarches spécifiques des ADIL montre quant à elle une augmentation sensible de leur part au stade du commandement de quitter les lieux ;
-
la plus forte sollicitation des ADIL via la ligne « SOS loyers impayés » par des ménages engagés en phase contentieuse, est certainement à mettre en lien avec les campagnes d’information réalisées en 2020.
Un conseil des professionnels majoritairement réalisé en direction des travailleurs sociaux, mais qui se diversifie sur la période récente.
Les travailleurs sociaux s’adressent de manière prépondérante aux conseillers des ADIL pour cette thématique spécifique. Pour l’ensemble des consultations du réseau, qui abordent les rapports locatifs, les copropriétés ou encore l’accession à la propriété, les travailleurs sociaux représentent 41 % des professionnels qui consultent les ADIL, soit dix points de moins que la part pour les questions relatives aux impayés et expulsions. Cela s’explique par l’importance du suivi social conjugué à la dimension juridique dans l’accompagnement qui peut être réalisé auprès des ménages en situation d’impayés ou menacés d’expulsion par les travailleurs sociaux. Pour autant, cette part diminue sensiblement depuis 2020, au profit d’autres acteurs, en particulier les professionnels de l’immobilier, et les autres administrations telles que les DDETS, fortement mobilisées dans le cadre du dispositif des chargés de mission « sortie de crise ».
La hausse de la part des professionnels de l’immobilier se vérifie également en volume. La majorité de cette augmentation se rapporte au stade du commandement de quitter les lieux. Cela est à mettre en lien avec l’augmentation globale des consultations à ce stade (+1.188 par rapport à 2019) et une plus grande lisibilité de l’action des ADIL en la matière auprès de professionnels qui assurent une gestion déléguée de biens locatifs.
Références
-
NB: tableaux et projections en illustrations dans le document pdf joint.
-
Cette fiche est extraite de l’étude proposée par l’ANIL intitulée « Prévention des impayés et des expulsions locatives - État des lieux de l’activité du réseau ANIL/ADIL et perspectives, publiée en juin 2022 (cf fiches liées)
-
www.anil.org/etudes-prevention-impayes-expulsions-locatives/