Parc éolien sur le plateau de Saint-Agrève
Chaire Paysage et énergie (ENSP), 2022
Le parc éolien de Saint-Agrève est un des rares parcs en forêt et cela implique une hauteur de mât des éoliennes un peu plus importante pour passer au-dessus des arbres. Le site de la Citadelle étant inclus dans le Parc Naturel Régional des Monts d’Ardèche une attention particulière a été observée pour la disposition des éoliennes afin qu’elles n’apparaissent pas en premier plan dans le paysage ardéchois. Inauguré le 7 septembre 2007, après 7 ans de travail, le parc de 6 éoliennes est mis en service sur le site de La Citadelle, au Serre des Ambalés. Afin de sensibiliser la population au projet et à l’environnement, un sentier thématique a été mis en place en visite libre. Il est jalonné de panneaux explicatifs sur la composition du mécanisme des appareils, leur fonctionnement ainsi que leur influence sur l’environnement. On trouve également des renseignements sur la faune et sur la flore présentes. Un bon exemple de concertation/transition/valorisation dans une région préservée.
Le plateau agricole et forestier en belvédère, entre les icônes ardéchoises
1 – Un plateau d’abord peu défini, territoire où souffle la burle
Le plateau de Saint-Agrève est composé d’une succession d’espaces ouverts et fermés diversifiés, où alternent landes, champs et bois. Il se situe en limite d’unités de paysages aux identités fortes, entre les paysages en terrasses des Boutières et les hautes terres plates du Vivarais et du Velay. C’est un plateau d’altitude, avec un relief très découpé de vallons et de collines. Son positionnement au nord du Mont Mézenc lui confère une situation en belvédère vers le plateau ardéchois. Il se définit ainsi comme un territoire de « vues » sur des emblèmes paysagers de la montagne ardéchoise : le Mont Mézenc et le Mont Gerbier-de-Jonc. Le vent dominant (appelé localement la burle) fait partie des traits de caractère du plateau. Les vents et le climat général d’influence montagnarde et méditerranéenne sont définis comme rudes, mais aussi vivifiants. Saint-Agrève fut une « station climatique » réputée à la fin du XIXe siècle. Malgré son caractère de « terre frontalière », le plateau de Saint-Agrève revendique aujourd’hui sa propre identité, liée aux négociations entre la volonté de développement de projets éoliens et le désir d’affirmation des paysages Ardéchois au début des années 2000.
2 – L’avancée de la forêt, l’enjeu de la lisibilité du paysage
Le plateau de Saint-Agrève fait partie d’un ensemble territorial rural, à tradition d’élevage. Depuis la seconde moitié du XXe siècle, les paysages se ferment, notamment avec la déprise agricole et l’augmentation des forêts de production de résineux. Les limites du plateau sont rendues moins perceptibles. L’extension des boisements est un facteur très fort d’atténuation de la lisibilité : ils donnent une lecture cloisonnée de l’unité et masquent les ruptures de pente comme les éléments repères, notamment les icônes Mont Mezenc et Mont Gerbier-de-Jonc visibles depuis le plateau-belvédère. Le plateau de Saint-Agrève est donc un territoire avec une forte vocation productive, marquée ces dernières décennies par l’exploitation de la ressource en bois.
3 – Le plateau de Saint-Agrève en belvédère vers la montagne ardéchoise
La notion géographique de plateau prend une importance locale forte. On retrouve surtout l’emblème local du Plateau Ardéchois, appelé plus communément la Montagne Ardéchoise. C’est un patrimoine paysager à identité forte à préserver, de par ses spécificités géomorphologiques définies comme remarquables. Le plateau de Saint-Agrève a des caractéristiques géomorphologiques moins spectaculaires ; sa définition n’est donc pas associée à une volonté de préservation d’un paysage patrimonial, si ce n’est sur les lieux qui permettent une vue vers le Plateau Ardéchois. C’est dans ce contexte que naît le projet de parc éolien sur les communes de Saint-Agrève et de Désaignes, positionné sur une ligne de crête boisée, au lieu-dit La Citadelle. L’identité de paysage du plateau de Saint-Agrève intègre les activités humaines contemporaines. Les productions forestières et agricoles font partie de la définition de l’unité, ainsi que l’activité énergétique éolienne, à la faveur de la « burle ». Le territoire participe aux nécessités contemporaines de développement d’énergies durables à l’ère du réchauffement global.
Co-construction du projet énergétique et de l’identité paysagère du plateau de Saint-Agrève : vers des liens productifs
1 – Politiques publiques et paysages patrimoniaux
La construction du parc éolien de la Citadelle est le résultat d’un ensemble de politiques territoriales et locales mêlant préoccupations énergétiques et paysagères, dans un territoire ayant un fort potentiel morphologique et climatique pour l’énergie éolienne. En 2001, la DIREN (aujourd’hui la DREAL) construit sa politique paysagère et énergétique au niveau du département Ardèche, avec un plan d’implantation des éoliennes. Dans un même temps, des mouvements de protestation contre l’implantation d’éoliennes naissent sur le territoire de la Montagne Ardéchoise, face aux premières pressions de développement. Ils défendent des paysages patrimoniaux et environnementaux à forte identité.
2 – Le plateau de Saint-Agrève, représentations d’une terre d’accueil des innovations sociétales et environnementales
Les élus de la communauté de communes du Haut-Vivarais (aujourd’hui Val’eyrieux) sont sollicités par des développeurs éoliens à partir du début des années 2000. Ils décident de prendre le contre-pied de ces sollicitations, et de s’inscrire par eux-mêmes dans un sujet de société contemporain et mis en avant par les instances départementales. Par la même occasion, ils vont définir ensemble l’identité paysagère de leur territoire d’action : le plateau de Saint-Agrève. Ils prennent les rênes du projet en amont afin de construire leur propre récit de paysage, et de maîtriser les retombées fiscales et économiques. Dans un premier temps, la Communauté de communes fait appel à l’association Polénergie, devenue par la suite l’ALEC 07.
Elle informe, sensibilise et accompagne l’utilisation des énergies renouvelables, pour les collectivités locales et les développeurs. L’association réalise pour la Communauté de communes une mission de pré-repérage, à la fois technique, environnemental et paysager. Une sélection de sites potentiels est réalisée, avec un référendum d’initiative citoyenne. Le projet de parc éolien de Saint-Agrève est porté par des personnalités locales fortes, s’impliquant politiquement et socialement pour le territoire et ses habitants. La part humaine est essentielle pour cette poignée de personnes convaincues, le projet doit contribuer à la lutte contre le réchauffement climatique, et porter des projets innovants s’intégrant dans le territoire existant pour une nouvelle économie et une identité enrichie.
3 – Projet énergétique pour la « nature ordinaire », éthique du renouvelable
Le Plateau de Saint-Agrève pourrait être défini comme principalement composé d’une « nature ordinaire », c’est-à-dire des espaces ruraux à vocation productive (forêt de production, pâture, agriculture) n’étant pas soumis à une réglementation environnementale ou patrimoniale. De ce fait, les espaces dits de « nature » sont liés aux différentes activités humaines quotidiennes. Cette « nature ordinaire » peut se maintenir dans le cadre du projet éolien.
En effet les processus d’implication des populations et les études menées à l’échelle de la Communauté de communes (et donc de l’unité du plateau de Saint-Agrève qui correspond à son aire d’influence) ont permis une acceptation globale du projet. Il n’y a pas eu de mouvements de protestation, et les éoliennes forment une nouvelle strate qui s’intègre à des paysages éminemment culturels, appréciés par leurs habitants du fait du sentiment d’équilibre qu’ils leur offrent. L’ensemble des deux phases d’études menées globalement par la DIREN Rhône- Alpes et localement par l’association Polénergie ont permis de rédiger un cahier des charges et de lancer un appel à candidatures pour choisir un développeur.
Le cahier des charges fixe : Le nombre, la puissance et la hauteur maximale des installations Les conditions de chantier Le remboursement de la somme investie par la Communauté de communes dans la phase de pré-diagnostic ; notamment le coût des campagnes de mesure de vent Le respect des paysages et de la « charte » des sensibilités paysagères. Suite aux études, c’est finalement le site de la Citadelle qui est choisi. Le choix se porte sur un développeur local et jeune : VSB énergies nouvelles (projet racheté depuis par Boralex). L’étude paysagère pour le permis de construire est conduite par une paysagiste ayant déjà travaillé sur les questions d’énergies renouvelables et de paysage. Cette étude poussée est financée par le développeur.
Récits oraux et écrits pour faire vivre ensemble les évolutions des paysages
1 – Les outils de communication, sensibilisation et participation
Les élus de la Communauté de communes alliés au développeur ont mis en place un ensemble d’outils afin d’informer, de sensibiliser et de faire participer les habitants avant, pendant et après le projet de parc éolien.
L’avant du projet :
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Le plan d’implantation des éoliennes réalisé par des paysagistes pour la DIREN (DREAL), avec notamment la carte des sensibilités paysagères à l’échelle du département Ardèche
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Les études réalisées par l’association Polénergie, notamment la carte présentant 8 sites potentiels d’intervention
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Le référendum d’initiative collective
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Les études menées par une paysagiste dans le cadre du permis de construire
Pendant le projet :
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Une cinquantaine de réunions publiques mêlant acteurs publics, développeurs et habitants
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Un journal des éoliennes distribué dans les boîtes aux lettres des habitants les informant de l’évolution du chantier
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Des visites de chantiers organisées avec des habitants bénévoles afin de découvrir les installations en cours
Après le projet :
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Un sentier thématique d’interprétation dans la continuité des sentiers communaux existants
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Une grande partie de ces actions est financée par les développeurs, qui se saisissent ici de l’acceptabilité du projet. Toutes ces actions permettent d’engager une construction sociale commune de ce qu’est un paysage de qualité et de la place des éoliennes dans ce dernier.
2 – Projets potentiels en fonction des sensibilités paysagères
Le plan d’implantation des éoliennes réalisé par la DIREN à l’échelle départementale porte des préconisations en fonction de la définition « d’échelles de sensibilité paysagère », allant d’un gradient « majeur » à un gradient « fort », identifiant de potentiels lieux d’acceptations et de viabilité de projet.
3 – Choix de sites éoliens en commun et en lien avec le paysage
L’étude menée par l’association Polénergie propose une sélection de sites potentiels. Cette sélection se fait en superposant différentes contraintes (distance par rapport aux habitations, aux sites patrimoniaux, aux sites écologiques classés ou à forte identité, etc.) et avantages (reliefs, vents, etc.). La première volonté a été de ne pas installer d’éolienne qui s’interposerait avec la vue sur la Montagne Ardéchoise et les monts Mézenc-Gerbier.
Chaque maire de chaque commune réalise un référendum d’initiative citoyenne portant sur la volonté ou non d’installer des éoliennes sur le territoire communal. Cela mène à la réalisation d’une cartographie présentant neuf potentiels emplacements répartis sur sept communes.
4 – Le « beau et bon » paysage du vent. Les éoliennes comme nouvel élément du cadre de vie.
Le parc éolien de la Citadelle est situé à 1196 m d’altitude, sur le point culminant de la commune de Saint-Agrève. Il est constitué de six éoliennes. Cinq sont sur la commune de Saint-Agrève et une sur la commune de Désaignes. Le parc est inauguré le 7 septembre 2007. L’ensemble des éoliennes produit 2300 kW ; chacune produit entre 2 et 3 mégawatts, soit l’équivalent de la consommation électrique globale de 10 000 familles sur un an. Une paysagiste conceptrice réalise le volet paysage de l’étude d’impact, qui déterminera l’obtention du permis de construire. L’étude se concentre sur la question de la visibilité des éoliennes et de l’accessibilité au site. Des rapports d’échelles et des points de vue sont définis, afin que l’inscription soit harmonieuse.
Une partie d’une forêt de production doit être exploitée pour implanter les éoliennes. Les machines émergeront visuellement du couvert forestier.
La question de la fermeture des paysages ne semble pas avoir été un sujet transversal à l’époque du projet ; le déboisement devait obligatoirement entraîner une replantation. Aujourd’hui, on se demanderait sans doute si la replantation est un choix judicieux, en termes d’environnement et de paysage, en examinant le potentiel de gestion d’espace ouvert. Une part importante de l’étude se concentre sur la question de la visibilité. Les éoliennes ne doivent pas être dans le cadre de vision des points de vue qui donnent sur les massifs Mézenc-Gerbier, et elles ne doivent pas non plus être vues depuis ces derniers. L’étude doit permettre de « hiérarchiser les sensibilités » (Mathilde Lecuyer) grâce notamment aux comités de suivi.
La partie de l’étude portant sur l’accessibilité ouvre une réflexion sur les circuits de randonnée. L’idée est de conserver les cheminements existants autour et dans le bois, et d’y intégrer les éoliennes, en proposant en plus un sentier d’interprétation. Un parking utilisé pour les semi-remorques transportant le bois est réaménagé ; il devient un lieu d’observation et d’accès à l’ensemble du projet. Cela permet d’ouvrir le site au public depuis un itinéraire routier, permettant ensuite une « balade raisonnable » en termes de difficulté avec le sentier piéton de la boucle de la Citadelle accessible depuis le parking.
La forêt est utilisée comme support visuel du parc éolien. Les lignes de crête sont soulignées, les deux lignes d’éoliennes convergent vers le sommet de la Citadelle.
Ces profils intègrent les notions de perception et « d’harmonie » visuelles. Ils montrent que pour une dimension de rotor identique, l’éolienne la plus grande paraît la plus élancée quand son pied est situé derrière un écran végétal de 25 à 30 m de haut. La partie émergeant des boisements (les 55 derniers mètres du mât) a presque la dimension de l’éolienne de 65 m de mât. L’« harmonie » visuelle est considérée comme meilleure dans le cas de l’éolienne la plus haute.
Dans le cadre du projet éolien, plusieurs types d’accès sont définis :
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Les accès pour les travaux et pour la maintenance du parc
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Des accès visiteurs pendant les travaux, sécurisés et balisés
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Des accès piéton après les travaux, visites du site, promenades et randonnées
Faire paysage avec l’éolien : un défi ardéchois global
1 – Le temps des spécialistes : vers des méthodes de construction des paysages du vent
Après le projet du parc éolien de la Citadelle, des élus de la communauté de communes ainsi que la paysagiste ayant travaillé à l’étude d’impact sont invités à des conférences et colloques sur des sujets énergétiques, paysagers ou bien de gouvernance locale, et présentent le projet de la Citadelle sur Saint-Agrève, qui fait désormais exemple. Différents rapports et études sont réalisés sur ce projet, qui montrent que les démarches allant dans le sens de l’implication des habitants permettent de faire accepter le projet éolien, ainsi que de définir une identité de paysage reconnue par tous. Depuis le projet de Saint-Agrève, il existe un guide méthodologique de l’étude d’impact des parcs éoliens au niveau national, qui accorde une place majeure au paysage. Il apporte de nombreux outils pour évaluer l’inscription d’éoliennes dans un paysage, à la fois en termes visuels et d’identité. Des notions importantes ressortent, potentiellement inspirées du projet de Saint-Agrève :
2 – Développeurs éoliens et paysage : problématiques d’acceptations et de liens au paysage
L’Ardèche et notamment les territoires de la Montagne Ardéchoise et du Plateau de Saint-Agrève, font désormais partie du Parc naturel régional des Monts d’Ardèche. De nombreux sites sont attractifs pour les développeurs éoliens, de par les conditions climatiques et géomorphologiques ; les porteurs de projets sont de plus en plus présents. Les différentes instances territoriales déplorent l’absence d’une véritable politique territoriale à l’échelle départementale. Les documents d’implantation réalisés par la DIREN (DREAL) ou aujourd’hui par le PNR sont intéressants, mais uniquement consultatifs. Ils constatent un manque de décisions réellement contraignantes, qui empêcheraient les projets réalisés au coup par coup, sans réflexion d’ordre général, de voir le jour. Le guide éolien du PNR annexé à la charte du Parc depuis 2014 marque la notion de compatibilité des projets avec le guide et l’exclusion des projets en zone rouge.
L’exemple de Saint-Agrève rappelle à l’évidence que l’échelle intercommunale est incontournable, car les éoliennes se voient de loin, notamment du fait des caractéristiques géomorphologique de l’Ardèche ; il est donc nécessaire d’avoir une vision globale. Il faut aussi que cette vision soit engagée. Un déficit de prise de position de la part des élus et associations entraîne une gestion de l’implantation énergétique uniquement fondée sur l’apport financier ; ce qui n’est en général pas gage d’acceptation de la part des populations.
Références
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Expérience extraite du guide « Transition énergétique : vers des paysages désirables » réalisé en 2021 - 2022 par la Chaire Paysage et énergie de l’Ecole Nationale Supérieure du Paysage de Versailles : www.ecole-paysage.fr/fr/node/402