Les micro-centrales hydroélectriques des torrents de montagne

Chaire Paysage et énergie (ENSP), 2022

La micro-station hydro-électrique est intégrée à son environnement, elle respecte les milieux naturels et les usagers de la rivière. La prise d’eau laisse en permanence s’écouler à son aval un débit minimum biologique (débit réservé), pour les besoins du milieu aquatique sur le tronçon court-circuité. Une fois turbinée, l’eau est restituée au cours d’eau sans avoir été altérée. La création des micro-centrales et leur production contribuent au dynamisme économique des territoires, tout en participant à l’atteinte des objectifs nationaux de réduction des gaz à effet de serre. Il existe environ 1800 petites centrales partout en France, qui fournissent l’équivalent de l’éclairage public extérieur du pays. Dans les Hautes Alpes, le projet de Cervières passe pour un exemple d’intégration dans le paysage et de gestion durable de l’environnement.

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Les micro-centrales hydroélectriques dans les Hautes-Alpes, l’énergie des rivières de montagne

1 – Le lac de Serre-Ponçon et ses vallées, l’eau et l’électricité

Le village de Crévoux fait partie de l’unité paysagère des vallées du lac de Serre-Ponçon. Ce lac, artificiel, situé dans la vallée de la Durance, constitue la pièce majeure de cette unité, étendu sur 20 km. Le barrage est construit en 1960 à des fins de production d’électricité hydraulique. L’immense lac de montagne qui résulte du barrage prend rapidement une vocation touristique : baignade, sports et loisirs nautiques, campings, hôtels et restaurants, etc. L’exploitation du lac de barrage, soumise aux besoins énergétiques comme aux aléas climatiques, conduit à des phénomènes de marnage saisonniers qui affectent sensiblement le paysage perçu et vécu. Ces transformations sont à l’origine de berges en perpétuelle mutation. Des vallées bien marquées viennent s’accrocher perpendiculairement au lac, notamment celle de Crévoux, qui profite de la dynamique touristique liée à la présence de Serre-Ponçon. Le dialogue avec le lac se fait par des vues en balcon.

2 – Crévoux, commune de montagne encaissée

Crévoux est une commune de montagne située dans le massif du Parpaillon. Le torrent de Crévoux se jette dans la Durance au pied d’Embrun. Le contraste est fort entre la rive droite, paroi rocheuse le plus souvent nue, et la rive gauche, pente boisée à dominante de mélèzes. La vallée est encaissée et peu desservie, mis à part pour des activités touristiques de montagne, avec une station de ski et de nombreux sentiers de randonnée. Une agriculture de petite exploitation est présente, avec des bovins pour la viande et des chèvres pour le lait et sa transformation en fromage. Aujourd’hui, la population du village est en baisse, avec peu de renouvellement. La proximité d’Embrun à vingt minutes en voiture est à la fois un atout et un frein, donnant à certains l’envie de vivre à la campagne, et générant en même temps un village-dortoir.

3 – Les vallées du Guil et du Queyras, la montagne iconique

Le village de Cervières fait partie de l’unité paysagère des vallées du Guil et du Queyras. Elle est associée à des représentations fortes, notamment celle d’une montagne icône avec des vallées encaissées, des crêtes à plus de 3 000 mètres, des alpages pâturés par les troupeaux et des petits villages peu étendus. La réputation du Queyras et des vallées du Guil tient de son histoire marquée par les conflits religieux, de ses activités d’élevage et d’artisanat traditionnels, et de ses paysages préservés.

4 – Le village de Cervières, une implantation remarquable

Les montagnes qui entourent le village de Cervières cadrent fortement les vues. La commune a créé et entretient des pistes de ski nordique. Ces pistes font partie de « Nordic Alpes du Sud ». L’exposition ouest – est de la vallée donne aux différents versants montagneux des caractéristiques marquées. Sur les versants les plus ensoleillés s’implantent des prairies, tandis que de l’autre côté le caractère minéral de la montagne prédomine, avec de nombreux éboulis. Des cultures de petites parcelles en terrasses se situent à la sortie du village. Leur typologie est intéressante ; elles sont ouvertes, sans clôtures, et leur forme suit les aspérités du terrain.

Depuis la RD 902 en venant de Briançon, l’arrivée sur Cervières est large et ouverte. Le bâti est regroupé sur un replat herbacé et forme une silhouette en terrasse clairement identifiable. Les éléments excentrés comme l’église Saint-Michel (classée aux Monuments Historiques) sont très visibles par rapport au noyau formé par le village.

Les deux torrents de montagne de Crévoux et de la Cerveyrette relèvent d’une implantation similaire, avec des villages de montagne de même tailles et fonctionnant avec la même économie de petite agriculture et de tourisme. Ils sont tous les deux les supports de projets de micro-centrales hydroélectriques bénéficiant aux communes rattachées.

Des projets énergétiques adaptés aux besoins des villages

1 – Les projets de centrales, réflexions communes entre les mairies et les entreprises

Le torrent de Crévoux est déjà en exploitation par une micro centrale hydroélectrique depuis le récolement des installations effectué en 1989, sur la commune de Saint-André-d’Embrun. Le projet d’une deuxième centrale émerge dans les années 1990, mais le dossier est d’abord rejeté par la Préfecture et le Département. En 2013 la société SERHY Ingénierie prend contact avec la maire de Crévoux, pour lui proposer de développer un projet de micro-centrale au-dessus de l’aménagement existant de Saint-André-d’Embrun. Pour cela, les deux parties signent une convention décrivant notamment une redistribution de redevance annuelle représentant un montant d’environ 60 000 €. La mairie accepte le renouvellement de l’ancienne centrale et le projet d’une nouvelle centrale en 2013. L’appel à projets de Ségolène Royal pour les « Territoires à Énergie Positive pour la Croissance Verte » en 2015 offre un appui financier et institutionnel pour réaliser le projet. L’entreprise SERHY Ingénierie est spécialisée dans la petite hydroélectricité. Des premières études de faisabilité sont initiées en 2013. Puis une instruction de dossier est lancée à la DDT, sous l’autorité de la Préfecture. Le dossier d’études d’impact se construit sur six mois ; il est d’abord rejeté, car très incomplet et insuffisant sur les aspects environnementaux, mais aussi techniques. L’entreprise retravaille ces aspects, notamment écologiques et paysagers, et le dossier est accepté six mois après. Il aura fallu 4 années pour rédiger et instruire le dossier d’autorisation environnemental et ainsi obtenir l’arrêté préfectoral permettant la construction et l’exploitation de l’aménagement hydroélectrique.

« L’examen du dossier par le service instructeur est d’environ 6 mois suite à la simplification de la procédure d’instruction. Ce délai est relativement court pour étudier l’ensemble des pièces du dossier. Nous attachons donc une grande importance à se rapprocher en phase de pré-instruction des services coordonnateurs de l’administration pour qu’ils puissent en amont se familiariser avec le projet que nous leur soumettrons lors de l’instruction. » Nathan Ranc, SERHY Ingénierie

Les travaux commencent en octobre 2018 et le récolement se fait en décembre 2019. Il faut toutefois déduire la période hivernale pendant laquelle les travaux sont impossibles.

« Dès l’obtention de l’arrêté préfectoral, nous engageons les démarches pour la construction de l’aménagement. Dans le cadre de Crévoux, nous avons réussi à mettre en service l’aménagement en 1 an et 4 mois… » Nathan Ranc

À Cervières, sur le torrent de la Cerveyrette, deux centrales existent déjà. Elles sont exploitées par la Société d’économie mixte (SEM) Énergie Développement Services du Briançonnais (EDSB), qui va également réaliser et exploiter la nouvelle centrale, avec un modèle économique particulier. La commune possède l’intégralité du domaine foncier de la centrale de EDC, et une partie seulement d’une des centrales déjà existantes. Une étude de faisabilité est lancée en 2012.

En 2015, le dossier de demande de droit d’eau d’autorisation, qui comprend entre autres l’« Étude d’impact », est instruit en préfecture, l’autorisation d’exploitation de la Cerveyrette par la nouvelle centrale est accordée, entraînant le début des travaux en 2016. Un point important du dossier d’étude d’impact porte sur l’aspect architectural du bâtiment de l’usine. En effet, la micro-centrale se situe en vis-à-vis de l’église de Saint-Michel classée aux Monuments Historiques.

En 2017 les premiers tests turbine sont réalisés et au printemps 2018 les derniers aménagements finalisent la construction. La production est lancée en janvier 2018.

Pour ce projet, la SEM Énergie Développement Cervières (EDC) est créée. La commune a les moyens de contribuer au projet, les parts sont partagées entre EDSB (49,9 %) et la commune de Cervières (50,1 %) de sorte que cette dernière soit majoritaire. L’entreprise EDSB est par ailleurs déjà une SEM. Cette Société d’Économie Mixte créée en 1990 est détenue à 49 % par la commune de Briançon. Elle est venue se substituer à la Régie Electrique du Briançonnais créée en 1924.

2 – Des apports qualitatifs pour les communes

Durant le temps du chantier de la centrale de Crévoux, l’entreprise SERHY fait travailler des gens du village. La centrale apporte une manne financière de 60 000 euros par an pour la commune. Au démarrage du chantier, la mairie a demandé à l’entreprise d’ajouter un réseau d’eau potable. Le réseau de la conduite forcée passe sous certains terrains agricoles ; ce qui permet aux agriculteurs de bénéficier d’apports de l’entreprise (déblais ou remblais souhaités, déplacement de tas de cailloux, etc.). Ces éléments mis bout à bout apportent une réelle plus-value pour la commune. Pour la centrale de Cervières, le conseil d’administration se réunit quatre fois par an. Il est composé de 5 membres, 3 représentants de l’actionnaire majoritaire à savoir la commune et 2 représentants de la société EDSB. La centrale apporte une plus-value économique au village, et la conduite forcée passant à proximité de certains jardins permet de réaliser des travaux d’irrigation. De plus, un sentier de randonnée est rénové lors du chantier.

Insertions paysagères et architecturales des micro-centrales

Les centrales de Crévoux et Cervières sont composées d’une prise d’eau, d’une conduite forcée enterrée et d’une usine pour la microcentrale. Dans les deux cas, les études paysagères ont été réalisées par un bureau d’étude environnemental, qui a également produit d’autres chapitres du dossier d’études d’impact (faune et flore, hydrobiologie, etc).

1 – Crévoux – Des aménagements au fil de l’eau

La prise d’eau de la centrale de Crévoux se trouve 4 km en amont de la microcentrale. Elle est située près de la station de ski de fond de la commune. Elle est dissimulée derrière une colline rocheuse elle ne se voit que depuis un pont situé quelques dizaines de mètres en amont. Le bâtiment de la prise d’eau n’est pas crépi ; le béton est laissé brut pour s’accorder au milieu des rochers. Le barrage s’ouvre avec un clapet, ce qui permet aux matériaux d’être évacués du bassin ; celui-ci n’est jamais obstrué. Une passe à poissons est réalisée pour les espèces piscicoles. Une passe de ce type est indispensable surtout pour la montaison des truites. Un peu plus loin en aval, la conduite forcée enterrée passe entre le torrent de Crévoux et la route départementale. Les travaux ont donné lieu à un enrochement en pierres du site semi – bétonné, avec une partie immergée. L’enrochement ne se voit que si l’on se promène sur les berges très proches de la rivière ; il donne presque l’impression d’un mur en pierre sèche. Toujours un peu plus loin, la conduite forcée passe sous des terrains agricoles en terrasses. Un ré-ensemencement et un enrichissement du sol ont été réalisés après les travaux. Les terrains sont bien remaniés. Une partie du site défrichée est replantée par les espèces en place naturellement. Ce choix interroge par rapport à la fermeture des paysages agricoles et à l’avancée des forêts de résineux.

Le bâtiment de la microcentrale est dissimulé depuis la route derrière un talus. Il se trouve en bord de rivière, juste en face d’une très belle cascade. Le bâtiment a directement été conçu par l’entreprise SERHY, puis signé par des architectes pour validation. Avec son crépi, son bardage bois décoratif, son volume, ses abords, il dépare dans ce site remarquable. L’appel à un architecte de l’amont à l’aval du projet aurait permis d’obtenir in fine un ouvrage de qualité. L’instruction du permis de construire par les services de l’Etat n’a pas déclenché d’exigence qualitative particulière. La DDT a demandé la construction d’un muret de soutènement en bord de berge pour protéger le site de potentielles inondations, sans qualité d’inscription dans le paysage. Le projet n’étant pas en site classé ou aux abords d’un monument historique, l’avis de l’ABF est un avis « simple ». Il n’y a pas d’obligation réglementaire qui s’applique, opposable au pétitionnaire.

2 – Réseaux et dynamique locale

La production électrique est reliée à un poste Enedis à Saint-André-d’Embrun ; elle est ensuite réinjectée localement à Crévoux et aux villages environnants. La procédure de raccordement électrique au réseau Enedis est complexe, car elle ne peut démarrer qu’à partir de l’obtention de l’arrêté préfectoral. Le temps de travail entre l’entreprise SERHY et Enedis est donc très court. En matière foncière, le projet a été compliqué à mettre en place. Pour que le dossier soit complet, il est nécessaire d’avoir l’autorisation de l’ensemble des propriétaires impactés par la zone projet. La mairie de Crévoux a fortement contribué pour obtenir les autorisations qui étaient nombreuses.

3 – Cervières – Des aménagements au fil de l’eau

La prise d’eau de la centrale de Cervières se trouve 2,5 km en amont de la micro-centrale. Elle est assez loin du village, le long d’un sentier de randonnée. Elle est située dans l’entaille de la Cerveyrette, en zones d’éboulis.

Le lit d’enrochement au niveau de la prise d’eau est constitué de blocs pris sur site. La partie la plus importante est un mur de barrage de 1,95 m de hauteur sur une vingtaine de mètres, fermant le lit du torrent. Celui-ci est constitué de blocs bétonnés en pierres du site ; son aspect est un peu rude, d’autant qu’il est visible frontalement depuis un petit pont situé à quelques mètres. Les ouvrages qui l’accompagnent sont moins importants et semi-enterrés. Les murs du bâtiment sont laissés en béton brut, afin de faciliter leur bonne inscription au milieu des roches. Le volume du bâtiment est lui-même intégré dans la pente. La retenue d’eau est d’une longueur d’environ quinze mètres.

Un rebouchage de la tranchée de la conduite forcée, avec remise en place des matériaux de surface, a été réalisé. Sur les cheminements et les zones de prairie, une reconquête végétale spontanée s’est réalisée.

L’architecture du bâtiment de la microcentrale est intéressante ; elle est conçue par un architecte local. Celui-ci s’empare des contraintes patrimoniales (présence proche de l’église Saint-Michel classée aux Monuments historiques) et de l’effet « vitrine » de son emplacement en entrée de village. La centrale est l’un des premiers bâtiments que l’on découvre lorsqu’on arrive depuis la route, et elle est visible de presque partout dans le village et sur les sentiers de randonnées alentour.

Elle est orientée nord-sud, avec une toiture à 2 pentes, et des murs revêtus de crépi à la couleur claire. Un bardage bois est réalisé sur le toit. La forme de la fenêtre arrondie en façade a été choisie pour « rappeler » le vitrail de l’église Saint-Michel surplombant le village.

L’usine et l’église sont en effet en covisibilité, bien que l’usine ne soit pas dans le périmètre de protection de ce monument historique. L’inscription du bâtiment dans le paysage est également réussie ; une plantation d’arbres locaux est réalisée autour du bâtiment de manière discontinue, ainsi que des terrassements adoucis. Un muret de soutènement existant constitué de blocs de pierres et de béton est prolongé sur quelques mètres en bord de rivière. Il est peu visible depuis la route et la centrale.

L’électricité produite est réinjectée sur le réseau Enedis.

Des bénéfices sur le long terme générés par l’énergie hydroélectrique pour les villages de montagne

1 – Tourisme et réchauffement climatique

Les apports financiers générés par les deux centrales permettent aux communes de mener de nouveaux projets. Pour la commune de Crévoux, la volonté est de développer une station de ski avec télésiège. « Nous avons besoin du tourisme, même si l’avenir des sports d’hiver semble être compromis face au réchauffement climatique » Marie-Jeanne Faure Le changement climatique, même s’il n’est pas encore visible localement (notamment sur le manteau neigeux), va dans les prochaines décennies modifier le paysage montagnard. La question touristique notamment sur les sports d’hiver va évoluer. Les apports financiers des micro-centrales seront donc amenés à se diversifier. Ils peuvent cependant servir à varier cette offre pour accompagner le changement.

2 – L’avenir des micro-centrales hydroélectriques

Les projets des centrales de Crévoux et Cervières font exemple localement, notamment en termes d’inscription dans le paysage. De nombreuses communes contactent les développeurs pour mener des projets similaires. Le projet de Cervières a remporté un prix d’architecture. Il est notamment cité comme exemple par le CAUE des Hautes-Alpes.

Références

  • Expérience extraite du guide « Transition énergétique : vers des paysages désirables » réalisé en 2021 - 2022 par la Chaire Paysage et énergie de l’Ecole Nationale Supérieure du Paysage de Versailles : www.ecole-paysage.fr/fr/node/402

En savoir plus

  • A NOTER

Le Collectif Haut-Alpin pour la protection des torrents et rivières a été créé en février 2020 pour dénoncer l’impact des micro-centrales sur l’environnement.

En juin 2021, la Fédération de pêche des Hautes-Alpes, membre du collectif a alerté les médias sur la multiplication des micro-centrales hydroélectriques et des conséquences sur l’environnement et la biodiversité:

« Les projets de petites centrales hydro-électriques de faible production déferlent sur les Hautes Alpes, sans réflexion, sans concertation préalable. Ces projets, d’intérêt mineur sur le plan énergétique sont d’un impact majeur du point de vue environnemental. Ils frappent et sacrifient les rares cours d’eau ou parties de cours d’eau encore épargnés, proches de leur état naturel, sans réel intérêt énergétique mais assurément financiers. Il est urgent de sortir d’une vision idyllique de la petite hydroélectricité « verte » et de préserver autant que possible aujourd’hui les rares cours d’eau épargnés, encore naturels de notre département ».