La réhabilitation économe en moyens et en énergies du parc de Wesserling-Husseren
Chaire Paysage et énergie (ENSP), 2022
Le projet énergétique de Wesserling, commune au cœur du massif des Vosges dans le département du Haut-Rhin, vise la sobriété énergétique dans la requalification d’un ancien site industriel, l’ancienne manufacture d’impression textile, située sur les deux communes de Husseren-Wesserling et de Fellering. Le début des travaux de réhabilitation a commencé dès 2003, au moment de la fermeture de la manufacture. Les porteurs du projet sont l’Association de Gestion et d’Animation du Parc Textile de Wesserling (AGAPTW) et la Communauté de Communes de la vallée de Saint-Amarin (Vosges du Sud)
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Valorisation du paysage historique local pour construire l’avenir à Wesserling
1 – Un site entre deux vallées, au cœur d’influences multiples
Wesserling se situe à la confluence de la vallée de la Thur, qui descend du col de Bramont (950 m) et de la vallée qui descend du col de Bussang, le plus bas des Vosges (731 m). Une voie romaine importante y passait déjà, car c’est la liaison la plus courte entre Milan et la Belgique. Cet emplacement stratégique est l’un des facteurs qui expliquent l’importance du site de Wesserling dans la vallée. La commune fait partie du Parc naturel régional des Ballons des Vosges (PNRBV).
Le bourg, situé au cœur de la vallée de la Thur, est entouré par des vallons aux reliefs prononcés, recouverts majoritairement de hêtraies-sapinières. Les villages sont groupés aux abords de la rivière, joints par une succession de prairies situées sur des replats adjacents. Des infrastructures routières et ferroviaires s’ajoutent aux dynamiques linéaires de la vallée et de la rivière.
2 – L’industrialisation de la vallée de la Thur et de ses ressources
Le parc de Wesserling est une cité-usine dans un paysage rural avec château, jardins, villas, et fermes sur 42 ha, et usines de différentes époques sur 60 ha. Il est l’un des rares sites industriels européens à être en mesure de faire découvrir les différentes strates historiques, sociales et techniques de l’industrie textile, du XVIIIe siècle au XXIe siècle.
On ne trouve qu’un hameau au XVIIIe avant l’installation en 1762 de la première manufacture d’indiennes (toiles de coton) d’Alsace, créée dans l’ancien château. Il est situé à un endroit stratégique sur l’axe industriel et commercial. La présence de ressources naturelles de la région comme les mines de cuivre, l’énergie hydraulique et le bois favorisent l’implantation de l’industrie dans la vallée.
Au cours de la première moitié du XIXe siècle, Wesserling connaît une véritable mutation, qui va lui permettre de passer du stade de fabrique artisanale à celui d’entreprise industrielle moderne. Pour ce faire, les responsables s’appuient sur les avancées technologiques anglaises, et concentrent les différentes étapes de l’élaboration du tissu : la filature, le tissage, le blanchiment, la teinture et l’impression sont regroupés sur le site. L’acquisition de métiers à tisser mécaniques conduit les manufacturiers à recourir à une nouvelle source d’énergie, la vapeur créée à partir de la combustion de charbon, et à construire de nouveaux bâtiments mieux adaptés à ces nouvelles techniques. Une mutation sociale modifie les structures du paysage. Les ouvriers paysans dont l’agriculture a transformé les paysages montagnards et qui habitent dans des fermes environnantes deviennent des ouvriers spécialisés qui habitent dans des cités ouvrières autour des usines. Au début du XXe siècle, une couronne de bâtiments industriels entoure le vieux château de Wesserling et occupe toute la zone basse bordant la rivière de la Thur.
La première crise du textile apparaît dès les années 1960 en Alsace puis s’accélère ensuite dans les années 1980, notamment avec l’effondrement de l’industriel principal de la région. De plus de 65 000 ouvriers en 1955, la région passe à moins de 9 000 emplois en 2002.
Initié au début des années 2000, le projet du parc de Wesserling-Husseren a pour objectif de redonner du sens à un site industriel et patrimonial qui a subi de plein fouet la crise économique de la fin du XXe dans le secteur du textile. Il a pour but de refaire vivre le site par la recherche de nouvelles activités économiques et redonne du sens à une vallée fortement anthropisée depuis des siècles.
3 – Les conséquences paysagères de la déprise industrielle : des fonds de vallées en péril
L’industrie placée en fond de vallée laisse place à des friches industrielles dans le prolongement des structures urbaines des villages. Les bâtiments et les infrastructures laissés à l’abandon impriment une image dégradée au paysage.
En parallèle les activités agricoles nourricières sont en fort recul depuis les années 1950. Les derniers ouvriers paysans délaissent l’agriculture de montagne qui n’est pas valorisée par les politiques publiques. Les parcelles et les communaux sont laissés en friche ou plantés de résineux. Les fonds de vallée sont particulièrement touchés.
Dans les années 1960, les nouveaux modes de vie se traduisent par le développement de l’habitat résidentiel et la création de lotissements et de zones de chalets, qui s’installent surtout dans les fonds de vallée, là même où se situent les terrains les plus favorables à l’agriculture.
Des actions communes pour affirmer un nouveau projet de paysage dans la vallée
En 1982, quelques militants de la vallée se réunissent face à la déprise industrielle que connaît le site de Wesserling. Ils sensibilisent les syndicats ouvriers à la richesse du site pour la vallée. La notion de patrimoine industriel émerge. Elle est intégrée par le Département du Haut-Rhin qui développe une politique culturelle axée sur la reconnaissance de ce patrimoine.
1 – Jardins et patrimoine, premier acte de renouveau
En 1985, une première initiative est portée par l’association ARCS (actifs, retraités, chômeurs solidaires) pour aider à la réinsertion des chômeurs de longue durée. De là naît un potager décoratif. Ce jardin d’insertion a pour but de réapprendre les gestes de jardinage et de mettre en valeur un ancien jardin ouvrier du XIXe. Le défrichage de ces jardins a permis de mettre au jour un ancien parc à la française. Celui-ci est remis en valeur pour révéler la qualité du site. C’est le premier acte de réhabilitation de patrimoine industriel. Suite au jardin potager, d’autres parcs et jardins de Wesserling ont eux aussi été restaurés et accueillent à présent des événements culturels, facteurs majeurs de réussite économique, notamment un festival annuel de jardins.
2 – La reconnaissance d’un avenir possible
En 1986, une commission d’avenir du Parc est créée pour faire face à la déprise industrielle. Composée d’élus et de militants de la vallée, elle élabore un schéma d’intention en le planifiant sur le long terme. À cette même date, le groupe Boussac, propriétaire de la manufacture, fait faillite. L’activité fait alors l’objet d’un resserrement, la partie haute du site est achetée par le Conseil Départemental du Haut-Rhin, afin d’œuvrer à sa conservation et à sa mise en valeur. En 1992, en plein cœur du site enfriché, le Conseil Départemental entame la construction d’un musée qui ouvre en 1996.
3 – Le paysage mis en valeur dans des politiques publiques
En 1994, un plan de paysage intercommunal est initié grâce à l’action de l’ancienne communauté de communes de la vallée de Saint-Amarin. Réalisé avec l’appui du Parc Naturel Régional des Ballons des Vosges, il permet de réaliser les premières actions concrètes de réouverture des paysages et de pérennisation de l’agriculture de montagne. Le plan amènera la création en 1996 de l’association A et P « Agriculture et paysage ». Cette association travaille sur la réouverture de plus de 100 ha dans la vallée et la remise en pâturage des prairies. Elle est également partie prenante dans la rénovation d’une ferme dans le parc de Wesserling, replaçant ainsi le parc dans son contexte agricole et paysager. En 2002 débute la concertation pour le Plan de Gestion de l’Espace Rural et Périurbain permet de faire le point sur ce premier plan de paysage. Les GERplan sont une démarche promue par le Département du Haut-Rhin. Cet outil permet de préciser les préconisations données par le plan paysage concernant les aspects fonciers, notamment d’urbanisme. Le plan de paysage a permis une prise de conscience des évolutions paysagères négatives notamment les boisements qui « étouffaient » les habitats. En revanche, il n’a pas permis à lui seul de contrôler l’urbanisation dont le développement décousu en fond de vallée s’est poursuivi. C’est le GERplan qui le permettra.
Le GERplan suit différents axes : la gestion du foncier, la maîtrise de l’urbanisation et la mise en valeur du patrimoine bâti, la préservation des ressources naturelles, et la mise en valeur des grandes structures paysagères ou naturelles. Il est réalisé par l’association Agriculture et Paysages. Un poste d’animateur GERplan au sein de la communauté de communes permet de concrétiser ces actions par la commission « paysages et aménagement du territoire ».
En 2003 l’intercommunalité développe une Charte intercommunale de développement et d’aménagement de la vallée de Saint-Amarin.
Aujourd’hui le PLU traduit une forte prise de conscience du patrimoine et du paysage. L’axe 5 « Protéger et le paysage et le patrimoine » prolonge le travail des vingt dernières années. Le parc de Wesserling est perçu comme un des pôles dominants culturels et patrimoniaux, mais également comme un pôle d’activité et un pôle d’habitat.
Affirmer les caractéristiques d’un paysage comme socle d’un urbanisme sobre
1 – Un projet urbain sobre dans le respect d’une histoire pastorale et industrielle
La restauration des bâtiments industriels sur la partie basse du site a fait l’objet d’un projet débuté en 2004. La Communauté de communes a mené ce projet avec une équipe composée de juristes et d’agents de développement, d’un architecte et d’élus. Ce projet est une référence en termes de sobriété d’aménagement, en s’appuyant sur l’histoire des lieux. L’objectif était de mener une transition : nouveau modèle économique, nouvelle façon d’habiter… sans oublier le caractère patrimonial. Grâce à la reconnaissance des richesses présentes et à la concertation entre les habitants et les élus de la vallée, la restauration du site valorise les secteurs de la culture, de l’habitat, du tourisme, de l’industrie et du commerce tout en réhabilitant un site remarquable. De fait les aménagements sont simples et économiques et s’appuient sur les structures paysagères, urbaines et architecturales existantes.
Ici le passé n’est pas considéré comme une erreur, mais plutôt comme un levier pour renouveler l’urbanisme.
2– Le réemploi comme un principe de projet
Le recensement des matériaux à réemployer est souvent peu valorisé, ainsi que la remise en état de ceux-ci pour la reconstruction. Dans le cadre de la création d’emplois aidés de la Communauté de communes, une quinzaine de personnes ont travaillé pendant toute la période de chantier à cette sauvegarde des matériaux. Issus des ouvrages démolis, ils ont servi pour la rénovation des parkings et des voiries, limitant le coût environnemental : les déblais deviennent remblais localement.
3 – Les compétences locales
Après une première tentative infructueuse d’utiliser des bois locaux à travers une entreprise, la communauté de communes s’est engagée dans la gestion forestière. Le bois choisi sur des parcelles dans des communes voisines est coupé par l’équipe de bûcherons communautaire et scié localement. La pose de bardage, traditionnelle, est opérée par des employés municipaux. Cette valorisation à la fois des savoir-faire et des matériaux locaux valorise le paysage en déployant toutes ses qualités.
4 – Le choix des ouvriers
La communauté de commune a favorisé la création des emplois locaux, issus des anciens emplois industriels. L’architecte et les ouvriers de l’équipe communautaire sont d’anciens ouvriers de l’usine. « Nous avons mobilisé les plus anciens pour les amener jusqu’à la retraite et avons volontairement travaillé avec tous les plus de 52/53 ans, ceux qui ne retrouvaient pas de travail. Finalement, c’étaient les meilleurs et les plus efficaces : consciencieux, travaillant sans arrêt, connaissant tout. » Mémento n° 7 – Réseau de territoires www.mairieconseilspaysage.net – Décembre 2009.
5 – L’exemple du Pavillon des Créateurs de Wesserling
Le bâtiment qui abrite les métiers d’art était un hangar de stockage des écrus (rouleaux de tissu avant transformation). Il est constitué d’une cour centrale intérieure et d’une quinzaine d’ateliers-boutiques. C’est à présent le bâtiment le mieux isolé qui a cependant gardé sa structure architecturale initiale. Pour éviter les surcoûts inutiles, le sol de l’espace collectif a fait l’objet d’un réagréage et il conserve la légère pente d’origine.
Un grand espace enherbé met en valeur le site dans la vallée. Il crée une ouverture et reprend le vocabulaire spatial des prairies qui bordent la rivière entre les villages. Des hôtels d’entreprise ont été créés dans les anciens bâtiments industriels qui longent la rivière de la Thur. Un bardage fait de bois habille les façades. Un canal hors d’usage, témoin du lien qu’entretient le site avec sa rivière, a été conservé, il délimite le seuil du bâtiment d’une zone de stationnement automobile.
De nombreux parcours permettent de visiter le site. Ils sont faits de grilles récupérées des caniveaux des bâtiments industriels et témoignent de la volonté de réaménager au maximum avec les matériaux du site. Les pavés enfouis sous terre ont été dégagés et réutilisés, l’ensemble des pavements a été réalisé à partir des matériaux existants. Un sentier historique, déjà existant sur les plans anciens, est adapté à la nouvelle fréquentation du Parc : près de 90 000 visiteurs par an empruntent ces cheminements.
L’association Patrimoine et emploi créée en 2006 a fortement contribué à révéler les traces physiques du passé jusqu’en 2018. Cette structure valorise le patrimoine à travers trois missions : le travail, la formation et l’accompagnement socioprofessionnel. Elle s’est spécialisée dès le départ pour répondre aux besoins du site dans le déblaiement, les murs en pierre sèche, le pavage, le réaménagement intérieur, l’aérogommage, puis dans les constructions en bois.
Des murets de terrassement encadrent les chemins et les routes du parc aux endroits où la pente est trop importante. Ces murets ont été restaurés, la pierre dissimulée derrière une épaisseur de ciment a été rendue visible. La restauration est un autre témoignage de l’importance de l’existant dans la philosophie de réhabilitation.
Les bâtiments servent également de locaux pour ne pas avoir à construire ailleurs et protéger les espaces nouvellement défrichés. Un supermarché s’est ainsi implanté dans d’anciens bâtiments et les entreprises sont amenées à utiliser les locaux présents. De plus un des bâtiments est destiné à devenir un ensemble de logements. Les parkings sont mutualisés entre l’ensemble de ces activités. La politique d’utilisation du lieu permet ainsi de canaliser l’urbanisation dans des espaces choisis et de sauvegarder d’autres parties du territoire pour l’agriculture par exemple.
Une démarche sobre du site permet de planifier les énergies renouvelables et la transition
1 – Un lieu prêt à accueillir des énergies renouvelables
Grâce à la démarche paysagère de développement local s’appuyant sur une bonne connaissance de l’histoire et de la géographie des lieux, des ressources naturelles et humaines locales, il a été possible d’imaginer un projet de grande qualité et notamment du point de vue de l’énergie :
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Économie par le réemploi de l’existant. Le projet a nécessité peu d’achats de matériaux coûteux en énergie fossile. Des choix pertinents d’architecture ont été pensés pour limiter l’import de matériaux.
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Économie énergétique liée à l’usage de bois local (de façon ponctuelle) et à l’isolation thermique des bâtiments (tous n’ont pas encore été renovés).
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Économie de mobilité en fournissant du travail local aux habitants. De plus le site est relié à Mulhouse par le tram-train.
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Économie de réseau. Plutôt que d’étaler le bourg de la vallée, habitations, commerce… le choix a été fait de regrouper l’urbanisation sur un seul site. Cela permet de minimiser l’artificialisation des sols, mais aussi les réseaux de distribution d’énergie. Et cela garantit la qualité des espaces ouverts de prairies.
Sur la base d’un tel système économe en énergie, il devient possible de produire des énergies renouvelables adaptées aux caractéristiques du lieu. En effet un projet solaire est en discussions sur les toitures du parc. D’autres énergies sont considérées par le PLU : l’énergie géothermique et l’énergie liée à la biomasse issue de la matière organique principalement végétale. C’est ici la sobriété du projet qui permet de projeter les énergies renouvelables au mieux.
2 – Un lieu de transition de mode de vie
Les habitants ont été associés dès le départ dans la restauration des jardins qui a commencé par les potagers grâce à l’association d’insertion « Les jardins de Wesserling ». La plupart des bénévoles de cette association sont des locaux qui ont grandi ou vivent à Wesserling.
Le site participe à la vie du territoire, avec la présence de services à la personne : magasins, crèche, médiathèque, associations, école de musique, collectif d’artistes, salles disponibles pour les spectacles, etc. Un tissu économique important est également présent : entreprises dans les anciens bâtiments, boutiques d’artisans créateurs, etc.
Wesserling est aujourd’hui un site culturel et touristique actif, avec de nombreuses installations pérennes et des événements tout au long de l’année : le musée du textile, les jardins , l’ancienne centrale thermique (Grande Chaufferie) disposant d’un parcours de découverte, un sentier du patrimoine avec des promenades guidées par un plan et des panneaux permettant de parcourir l’ensemble du site à la découverte de ses bâtiments, la fête du patrimoine industriel début juillet, la fête du sentier pieds nus dans les jardins mi-juillet, la fête du potager fin août, la nuit des musées et les journées européennes du patrimoine, etc.
Références
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Expérience extraite du guide « Transition énergétique : vers des paysages désirables » réalisé en 2021 - 2022 par la Chaire Paysage et énergie de l’Ecole Nationale Supérieure du Paysage de Versailles : www.ecole-paysage.fr/fr/node/402