En Angleterre : des politiques de densification anciennes

Anastasia Touati, octobre 2015

Cette fiche présente la politique de densification de l’Angleterre, tradition ancienne et centrée sur les questions de développement durable et de densification douce.

La densification est aujourd’hui affichée, par les pouvoirs publics de nombreux pays occidentaux, comme une stratégie centrale pour la production de villes durables (OECD 2012). C’est principalement la lutte contre l’étalement urbain, devenue un véritable leitmotiv ces dernières années dans de nombreux pays occidentaux tels que l’Angleterre, le Canada, les États-Unis ou la France, qui a fait resurgir la problématique des densités. Mais si le problème de « la dilution de la tâche urbaine » (sprawl) est bel et bien présent dès les années 1970 (Bruegmann 2005), il ne constitue pas un enjeu de premier ordre comme c’est le cas depuis le début des années 1990. Certains chercheurs montrent, en outre, que les politiques étatiques de nombreux pays ont longtemps contribué aux processus de suburbanisation (Bengston, Fletcher et Nelson 2004; Couch, Leontidou et Petschel-Held 2007; Blais 2010). Ainsi, après l’émergence de la question environnementale et de la sensibilité écologique dans les années 1970, les années 1990 marquent un renouveau de ces questions, la protection de l’environnement, des espaces agricoles et naturels étant convoquée à l’agenda politique et cela de manière prépondérante. Plus récemment encore, le contexte actuel de crise du logement, que connaissent de nombreux pays, couplé à la lutte contre l’étalement urbain constituent les deux fondements d’une mise en avant des actions de densification.

Dans les pays européens qui s’inscrivent dans cette perspective de développement urbain durable, les politiques menées visent des objectifs multiples (lutter contre l’étalement urbain, limiter les déplacements automobiles, encourager l’utilisation des transports en commun, favoriser le recyclage urbain, etc.). Elles intègrent à la fois les outils des politiques urbaines et des politiques de transport, comme cela est spécifiquement le cas en Angleterre.

Le cas de l’Angleterre : une tradition ancienne de lutte contre l’étalement urbain

La tradition de lutte contre l’étalement urbain est relativement ancienne au Royaume Uni. En effet, ses politiques de gestion économe du foncier ont été mises en place dès la fin du XIXe siècle (Halleux, Marcinczak, and van der Krabben 2012). Cette tendance s’est ensuite renforcée avec la mise en place de la loi de l’aménagement du territoire de 1947 (Town and Country Planning Act). Elle instaure un contrôle strict des extensions urbaines, notamment par l’intermédiaire de ceintures vertes à l’intérieur desquelles il est strictement interdit de construire.

Quelques décennies plus tard, les britanniques n’échappent pas à la déferlante du développement durable. Le rapport Brundtland (World Commission on Environment and Development 1987) publié en 1987 par la Commission Mondiale sur l’Environnement et le Développement, donne une dimension nouvelle à la protection de l’environnement naturel et de ses réserves et considère d’une manière inédite les modes de développement urbain. Ce rapport amène à repenser de manière conjointe les dimensions économique, environnementale et sociale des modes de développement, de façon à ce que ces derniers permettent de répondre aux besoins présents, sans compromettre la capacité des générations futures à répondre à leurs propres besoins.

Nombreux sont alors les analystes à considérer que la réponse aux problèmes posés par le concept de développement durable doit être en majeure partie donnée à travers une meilleure planification des villes (Burton, Jenks, and Williams 1996). En raison de la place centrale occupée par les centres urbains dans le fonctionnement de l’ordre économique mondial mais aussi parce que les conséquences des dommages environnementaux s’y ressentent de manière intense, les villes apparaissent comme un lieu majeur pour l’action publique en faveur d’un développement durable (Elkin, McLaren et Hillman 1991). L’enjeu est alors de mettre en place des politiques de gestion de la croissance des villes mais aussi d’organisation et de modelage de leurs formes qui contribuent à un fonctionnement urbain durable. En outre, l’idée se diffuse que, face à des enjeux de portée mondiale tels que l’effet de serre ou encore l’augmentation de la pollution, il conviendrait, entre autres choses, de limiter la place de l’automobile dans la ville.

En 1992, le gouvernement britannique signe la convention sur le changement climatique et s’engage donc à réduire drastiquement ses émissions de CO2. Le gouvernement va alors s’appuyer sur un certain nombre de travaux de recherche pour préparer sa future loi sur l’aménagement du territoire. Les travaux de Michael Breheny ou encore de Susan Owens, sont ainsi pleinement convoqués dans les rapports préparatoires à cette loi. Ces travaux tentent de mettre en évidence les liens entre morphologie urbaine, densité et émission des gaz à effets de serre. L’argument principal dans ces recherches est qu’une organisation de la ville réduisant le besoin de déplacements peut engendrer des économies d’énergie considérables (Breheny 1992; Owens 1991). Les travaux de Newman et Kenworthy, qui mettent en évidence la corrélation négative existant entre densité et émission de gaz à effet de serre sont également mobilisés dans les études préparatoires à la directive britannique sur le développement urbain (Newman and Kenworthy 1989; Fouchier 1995)(voir la fiche sur la ville compacte ). C’est dans ce contexte qu’est élaborée la Planning Policy Guidance numéro 13.

Une directive pour limiter les déplacements automobiles dès 1992

La question de la lutte contre l’émiettement urbain est abordée dans les années 1980 par le ministère de l’Environnement qui publie une circulaire pour freiner la dé-densification (Fouchier 1999). En 1990, le « Town and Country Planning Act » stipule que les collectivités locales doivent tenir compte du contenu des directives nationales dans l’élaboration de leurs plans d’urbanisme locaux. L’accent est donc mis sur le cadre politique national pour influencer les décisions d’aménagement au niveau local.

C’est ensuite en 1994 que le gouvernement britannique publie une directive nationale, la Planning Policy Guidance n°13 (PPG 13) pour limiter les déplacements automobiles. L’objectif est de freiner la périurbanisation pour revitaliser les centres villes et réduire les déplacements motorisés. A cette fin, la PPG 13 préconise une urbanisation dense et mixte autour des stations de transports publics. Elle introduit ainsi des préconisations sur la manière dont les autorités locales doivent combiner leurs politiques de transport et d’urbanisme pour réduire les déplacements motorisés, notamment:

L’efficacité de la PPG 13 a été toutefois inégale sur l’ensemble du territoire, étant donné que le respect de cette directive nationale dépendait du bon vouloir des collectivités locales. Selon Michael Breheny, moins de 30% des effectifs locaux interrogés auraient effectivement modifié leurs politiques pour répondre aux préconisations de la PPG13.

« Garden grabbing » et conversion de maisons : la densification « douce » à l’anglaise

Enfin le cas de l’Angleterre est aussi particulièrement intéressant en ce qui concerne les processus de densification douce, par construction de logements individuels supplémentaires dans les jardins. En effet, ces processus sont relativement importants et anciens sur le territoire britannique, du fait des régulations strictes en matière de lutte contre l’étalement urbain évoquées précédemment. Entre les années 1970 et 1990, ces politiques ont eu pour conséquence de diminuer le foncier disponible pour la construction de logements, provoquant une forte hausse des prix fonciers et immobiliers (Evans 1991). En vertu des préconisations gouvernementales de maximisation de l’utilisation du sol, les processus de densification se sont multipliés, notamment dans les quartiers de maisons unifamiliales avec jardin (constructions intercalaires, construction de maisons plus petites sur des terrains plus petits, etc.). Depuis les années 2000, des politiques ont ainsi été développées au niveau local pour encadrer l’urbanisation des jardins, ou “garden grabbing” (Sayce et al. 2010). Certaines municipalités se sont notamment appuyées sur ces phénomènes de construction de logement dans les jardins pour répondre aux objectifs nationaux de recyclage urbain1.

Parallèlement, dans le cadre de sa politique nationale de densification urbaine, le gouvernement britannique encourage la conversion de maisons individuelles en appartements, une autre forme de densification « douce » (voir la fiche sur les coûts de la densification ).

1 Une recherche actuellement financée par le PUCA, dans la cadre de son programme “Vers des politiques publiques de densification et d’intensification douces” et menée conjointement par l’Université de Sheffield et l’Université de Liège s’intéresse précisément au phénomène, et vise d’une part à le quantifier, d’autre part a étudier ses conséquences socio-spatiales, ainsi que sur l’évolution des prix fonciers et immobiliers.

Références