Les Assises du climat - Les leçons politiques des Assises sur le climat

Session 9

Pierre Calame, Armel Prieur, April 2021

La 9e séance des Assises était intitulée « Les leçons politiques des Assises du climat ». Sept responsables, intervenant à l’échelle de l’Union Européenne ou à l’échelle française, étaient invités à réagir aux réflexions tirées des huit premières séances qui ont été alimentées par plus de cinquante experts de haut niveau.

En introduction, Pierre Calame a rappelé l’originalité de ces Assises. C’est tout d’abord une initiative de personnes, indépendamment de toute institution ou réseau. Sur un sujet comme le climat, où tant les réseaux que les institutions se sont multipliés depuis plusieurs décennies, cette indépendance a permis que chacun s’exprime librement, sans risque de voir sa parole orientée ou récupérée par l’un ou l’autre. C’est, ensuite, les suites d’un appel collectif à débat, signé par plus de cent personnalités et publié dans le journal Ouest France le 10 novembre 2020. L’appel invitait à prendre (enfin) au sérieux notre responsabilité et nos engagements internationaux vis-à-vis du changement climatique. Enfin, c’est un cycle de huit visioconférences de deux heures qui ont permis d’approfondir deux grandes questions :

  • en quoi consiste la responsabilité de nos sociétés vis-à-vis du climat ? Comment se mesure-t-elle ? Comment se traduit-elle juridiquement, comptablement et politiquement ? À quel niveau de gouvernance la porter ? Avec quels acteurs : ce fut l’objet des séances 1, 2, 3 et 8 ;

  • quelles politiques mettre en place pour assumer notre obligation de résultat ? Selon quels critères les choisir ? Quelles sont les alternatives ? Comment les combiner ? Ce fut l’objet des séances 4, 5, 6 et 7.

Les débats, très constructifs, ont permis de dégager une grille de lecture pour chacune des deux questions :

Responsabilité de nos sociétés à l’égard du réchauffement climatique et l’obligation de résultat qui en découle.

To download : questionnement_seance_9.pdf (43 KiB), bilan-territoires-2021-fr_climate_chance.pdf (9.1 MiB)

Huit thèses se sont dégagées, soumises aux intervenants de la neuvième séance :

1. La responsabilité principale découle de notre niveau de vie et se traduit par l’empreinte écologique de la société, où que les émissions de GES se soient produites.

2. Nous devons réduire notre empreinte écologique à 2 tonnes d’équivalent CO2 par habitant de l’UE et par an d’ici 2050, soit, dans le cas de la France, un rythme de réduction de 5 % par an pendant 30 ans.

3. Cette obligation de résultat doit avoir une traduction juridique. Une solution : une Convention européenne des responsabilités humaines, complétant la Convention européenne des droits humains.

4. Le bon niveau politique auquel définir notre obligation de résultat est l’Union Européenne.

5. Pour assumer un leadership dans le domaine de la lutte contre le réchauffement climatique, doit s’imposer cette obligation de résultat et promouvoir une mondialisation de la responsabilité.

6. Plusieurs échéances nationales, européennes et mondiales seront décisives dans l’année à venir pour promouvoir notre engagement.

7. Seule une gouvernance à multi-niveaux permettra de coordonner les efforts entre l’UE, les États, les Régions et les territoires.

8. La réduction de l’empreinte écologique passe par l’émergence de filières durables et équitables. La traçabilité effective des émissions tout au long des filières est indispensable.

La mise en œuvre de l’obligation de résultat : trois familles de solutions ont été identifiées :

Et quatre critères ont été proposés pour évaluer la pertinence de chacune des familles :

1. La capacité à mettre en œuvre effectivement l’obligation de résultat : un plafond d’empreinte écologique totale de la société se réduisant de 5 % par an pendant trente ans.

2. La capacité à évaluer l’empreinte écologique totale,

3. La capacité à concilier réduction de l’empreinte écologique et justice sociale et à découpler recherche du bien-être de tous et réduction de l’empreinte écologique.

4. La capacité à mobiliser tous les acteurs publics et privés dans cet effort de transformation radicale de la société.

La séance a réuni huit intervenants :

  • quatre représentants d’institutions ou réseaux agissant à l’échelle européenne :

    Peter Javorcik, Directeur général Climat du Conseil Européen ;

    Philippe Lamberts, coprésident du groupe des Verts au Parlement Européen ;

    Roby Biwer, élu local du Luxembourg, socio-démocrate, membre de la Commission Énergie Climat du Comité des régions européennes, qui représentait le comité ;

    Julie Laernoes, adjointe à la maire de Nantes, représentant le réseau européen Energy Cities des villes engagées dans la transition énergétique.

  • le représentant d’un réseau international de collectivités locales :

    Bernard Soulage, professeur d’économie, ancien vice-président de la région Rhône Alpes, longtemps membre du Comité des régions européennes en charge des questions de transport, ancien député européen, actuellement secrétaire général du réseau international Climate Chance ;

  • deux députés français :

    Jean-Marie Fievet, République en Marche, empêché au dernier moment d’intervenir personnellement et représenté par Armel Prieur ;

    Dominique Potier, Parti Socialiste, ancien rapporteur de la loi sur le devoir de vigilance ;

  • un témoin anglais, Adam Hardy, représentant de l’association Watchdog.

Les interventions des uns et des autres, dont le respect strict du temps imparti a permis une fois de plus une séance très dense, n’étaient pas en mesure de réagir chacun à tous les points présentés en introduction, et en particulier à réagir à chacune des huit thèses énoncées pour la première question. Il n’en reste pas moins remarquable que toutes ces questions ont été abordées par l’un ou l’autre.

Synthèse de la 9ème session

A/ La responsabilité de nos sociétés à l’égard du réchauffement climatique et l’obligation de résultat qui en découle

La montée de la prise de conscience à l’échelle mondiale, européenne et française

Peter Javorcik a confirmé ce qui avait été débattu lors de la deuxième séance : la politique climatique est en haut de l’agenda politique européen. C’est d’autant plus remarquable que les dirigeants des différents Etats membres sont aujourd’hui confrontés à l’urgence à court terme de la pandémie du Covid. Deux Conseils européens, réunissant l’ensemble des Etats membres, se sont tenus en octobre et décembre 2020. Ils ont permis de se mettre d’accord sur deux objectifs : la réduction de 55 % des émissions carbonées d’ici 2030 et la neutralité carbone d’ici 2050.

Peter Javorcik fait observer que la démarche suivie par l’Union Européenne diffère de celle qui est proposée par les Assises du climat : la réduction des émissions telle que conçue par l’Union Européenne continue à ne porter que sur les émissions territoriales (sur le sol européen) sans prise en compte des émissions « importées » mais, dit-il, si les méthodologies sont différentes les objectifs sont les mêmes et, grâce à la loi Climat en cours de débat, ces objectifs devraient constituer une véritable obligation de résultat.

Le fait nouveau, dit Peter Javorcik, est que la lutte contre le réchauffement climatique était jusqu’à une date récente une source de division au sein de l’Europe, Europe de l’Ouest d’un côté, Europe de l’Est de l’autre et qu’au cours des deux dernières années cette division a été dépassée. La question de la lutte contre le réchauffement climatique pourrait bien devenir dans l’avenir un facteur de cohésion de l’Europe.

Philippe Lamberts reconnaît le caractère très positif de cette évolution et l’implication réelle de la Commission dans l’élaboration du nouveau Pacte Vert. Il réédite néanmoins, à la lumière des dernières discussions au sein des institutions européennes, ses doutes et ses inquiétudes à l’égard de la capacité de ces institutions aujourd’hui à mettre en œuvre cette obligation de résultat.

Il fait tout d’abord observer que les objectifs eux-mêmes restent partiellement divergents : le Pacte Vert de la Commission s’oriente plutôt vers 51 à 52 % de réduction d’ici 2030, alors que le Parlement européen préconisait une réduction de 60 %. En outre, pour parvenir à ce résultat, le Pacte Vert intègre une hypothèse de séquestration de carbone par des puits de carbone, notamment au niveau de l’agriculture, tandis que la proposition parlementaire était de 60% hors séquestration.

En second lieu, les objectifs de l’Union Européenne n’intègrent pas les « émissions importées », or, tant que l’on ne comptabilise pas les émissions en Chine la portée de l’objectif européen est sérieusement diminuée.

Mais sa préoccupation la plus forte demeure l’absence de cohérence des politiques européennes et le risque que, dans le cours de la négociation, le Conseil et le Parlement ne rognent l’ambition des propositions de la Commission. Très lucidement, il souligne qu’atteindre les objectifs affichés impliquerait un profond changement de paradigme pour l’économie et la société et que ce changement, malheureusement, ne viendra pas de Bruxelles : « Je suis plutôt optimiste sur la capacité de la Commission à proposer, dit-il, mais dès qu’il s’agit d’en tirer les implications en terme de changement de système, ça bloque aussi bien au Conseil qu’au Parlement où des majorités solides poussent à une opposition entre le langage, qui est devenu « vert » et les pratiques qui sont à l’opposé ». Cette inquiétude est renforcée par les négociations actuelles qui, selon lui, ne vont pas dans le bon sens.

Il en prend trois exemples :

C’est selon lui l’illustration de la sensibilité des institutions bruxelloises à l’action des lobbys. Car comme toujours, le diable est dans les détails : il l’illustre à propos de la finance. Les institutions européennes se sont mises d’accord sur le principe d’une taxonomie classant les investissements selon leur impact climatique, mais au dernier moment, celui des décrets d’application, les lobbys du gaz et du nucléaire sont à la manœuvre pour classer ces modes de production de l’énergie dans les activités « propres ».

Roby Wider apporte néanmoins une note optimiste : il pense que la loi Climat sera en mesure de rendre les objectifs européens juridiquement contraignants pour chaque État membre, de sorte que les responsables politiques nationaux et locaux devront montrer clairement la voie. En outre, comme l’a fait aussi observer Peter Javorcik les choses bougent au niveau mondial. L’élection de Joe Biden aux États-Unis fait naître un grand espoir de relance du dialogue transatlantique. Les choses bougent en Chine. Roby Wider rappelle que la Corée et le Japon se sont fixé le même objectif de neutralité carbone en 2050, le Brésil et la Chine en 2060.

Cette évolution mondiale, dit Peter Javorcik, est très importante politiquement : l’ajustement carbone qui est, pour l’Europe, la condition nécessaire pour assurer un traitement équitable de nos propres industries, suppose que nos partenaires internationaux nous rejoignent et que de ce fait l’ajustement carbone soit considéré comme un acte positif (la prise en compte indirecte de l’empreinte écologique) et non un acte protectionniste.

Roby Wider et Julie Laernoes soulignent que cette ambition devra être partagée par l’ensemble des citoyens. D’où l’importance d’introduire ces réflexions dans la Conférence sur le futur de l’Europe, qui doit donner la parole aux citoyens et, celle des COP locales qui doivent être organisées dit Roby Wider dans un certain nombre de régions européennes pour préparer la COP 26 de Glasgow. Et, ajoute Roby Wider, pourquoi pas un référendum européen dans la foulée de la Conférence sur le futur de l’Europe ?

Avec les solutions classiques, dès que l’on commence à entrer « dans le dur » ça coince

Le sentiment qui se dégage des interventions des uns et des autres est que malgré les bonnes intentions, dès qu’il s’agit de sauter le pas, ça coince. C’est par exemple ce que reconnaît Peter Javorcik à propos de l’extension du mécanisme des quotas des entreprises, les ETS, à d’autres secteurs économiques. Quand on en vient à inclure l’habitat et les transports, y associer un prix de carbone croissant chaque année touchera directement les personnes. On se trouve confronté en outre au fait que le prix carbone a un impact différencié d’un groupe social à l’autre, d’un territoire à l’autre. « Même si, dit-il, on peut changer de voiture en quelques années, ce n’est pas le cas de l’habitat qui demande bien plus de temps et d’investissement. Face à cette inertie, l’augmentation du prix du carbone aura pour les ménages des conséquences majeures ».

De son côté, comme le souligne Julie Laernoes, « pour les collectivités locales, isoler les maisons on le sait, décarboner les transports, on s’y attaque, mais à l’échelle locale on est démunis face à la délocalisation des émissions de gaz à effet de serre ».

Même difficulté à repenser les relations entre niveaux de gouvernance. Bernard Soulage, fort de sa longue expérience européenne, émet des doutes quant à la capacité de tous les pays européens à marcher au même pas ; la réaction négative de l’Irlande à une taxation minimum des multinationales illustre la difficulté à le faire : il pense que la mise en œuvre d’une vraie stratégie de lutte contre le réchauffement climatique supposera des coopérations renforcées entre les pays européens qui veulent aller de l’avant.

Même difficulté quand il s’agit de transformer les relations entre États et collectivités territoriales : l’expérience mondiale de Climate Chance montre qu’à l’exception de quelques pays d’Amérique Latine, à commencer par le Costa Rica, et quoique villes et régions soient en moyenne en avance sur les États en matière de lutte contre le réchauffement climatique ou en matière d’adaptation au changement climatique, la plupart des États ignore totalement l’action des villes et des régions et ne manifestent guère de volonté de travailler avec elles.

Ces quelques illustrations complètent ce qui a été évoqué au point précédent mais aussi au cours des différentes séances des Assises : malgré l’affichage d’objectifs ambitieux, la mesure n’est pas encore prise de tout ce qu’une obligation de résultat implique de transformations du modèle économique, des modes de vie, des autres politiques comme l’agriculture, des relations internationales, de la coordination entre niveaux de gouvernance etc..

Adoption d’une Convention européenne des responsabilités humaines et évolution du droit international

Si chacun convient maintenant de la nécessité, comme le rappelle Roby Biwer, que « la loi climat rende juridiquement contraignant les objectifs fixés au niveau européen » la réflexion semble jusqu’à présent peu avancée sur ce que cela implique comme transformation du droit. L’idée rencontre néanmoins un certain écho. « Une convention européenne des responsabilités humaines, se demande Roby Biwer, pourquoi pas ? »

Julie Laernoes est plus catégorique : « quels instruments face à l’irresponsabilité climatique » se demande-t-elle ? Elle est convaincue que l’on n’échappe pas à refonder le droit international. Elle fait le parallèle avec le Covid : la responsabilité des gouvernants y est manifestement engagée, parce qu’il s’agit d’impacts mesurables à court terme, mais ce n’est pas encore le cas pour le climat.

Ces quelques réactions montrent combien il serait nécessaire que cette question soit explicitement à l’ordre du jour dans la Conférence sur le futur de l’Europe.

Le rôle des territoires, régions et villes

Trois des intervenants, Roby Biwer, Julie Laernoes, Bernard Soulage étaient particulièrement compétents dans ce domaine. Un point fait l’unanimité : tant à l’échelle française qu’à l’échelle européenne ou mondiale, régions, villes et territoires sont dans leur large majorité en avance sur les États dans la lutte contre le réchauffement climatique, d’une part parce que ce sont des échelles mieux adaptées pour une approche intersectorielle, systémique de la transition, ensuite parce qu’ils sont aux premières loges pour mesurer d’ores et déjà l’impact du dérèglement climatique. Ce sont donc à l’évidence des alliés essentiels pour mettre en débat l’obligation de résultat et les politiques à mettre en place pour y parvenir.

Roby Biwer rappelle que le Comité des régions européennes (qui ne représente pas seulement les régions), c’est un million d’élus locaux et régionaux en Europe, responsables de 70 % de la mise en œuvre des politiques européennes et de 90 % des politiques d’atténuation. À peu près partout, villes et régions sont plus exigeantes que les États, les poussent en avant. Elles sont aussi, dit-il, bien mieux placées que les États pour associer l’ensemble des citoyens au processus décisionnel, ce qui est essentiel. C’est eux aussi, rappelle-t-il qui sont aux premières loges pour anticiper et accompagner les reconversions professionnelles découlant du fait que de vraies stratégies de transition remettront radicalement en cause certaines branches de l’économie et conduiront à en développer d’autres.

Julie Laernoes rappelle que c’est à l’échelle locale qu’il est possible de penser les transformations à conduire : (à rebours du slogan popularisé lors du Sommet de la terre, « penser globalement agir localement ») « il faut aujourd’hui penser localement pour agir globalement ». C’est l’idée qu’il faudrait que villes et régions s’unissent, autour de l’obligation de résultat, pour peser sur les transformations indispensables au niveau des États, des régions et de la communauté internationale. C’est d’autant plus urgent souligne-t-elle, que jusqu’à présent « les villes ont fait le plus facile » : pour entrer dans le dur il est nécessaire de bousculer les États pour sortir de l’irresponsabilité de la société.

Se référant à l’observatoire de l’action des acteurs non étatiques mis en place par Climate Chance, qui vient de publier son dernier rapport, les villes et régions, dans le monde, sont dans leur grande majorité en avance, tant au plan des engagements qu’au plan des pratiques, sur les États. Bernard Soulage rappelle aussi, en se référant à la situation de beaucoup de villes et régions du Sud, la nécessité de parler beaucoup plus qu’on ne le fait d’adaptation au changement climatique car celui-ci est déjà là : « cette politique devrait avoir le même degré d’urgence que la politique d’atténuation, malheureusement le financement n’est (toujours) pas là ».

Tout ceci plaide en faveur d’une stratégie beaucoup mieux concertée des différents réseaux de villes et de régions pour promouvoir les expériences les plus avancées, militer en faveur d’une véritable gouvernance à multi-niveaux, agir ensemble vis-à-vis des États pour briser le plafond de verre auquel les unes et les autres se heurtent.

Peut-on et faut-il aller vers un référendum européen sur l’obligation de résultat en matière de lutte contre le réchauffement climatique ?

Roby Biwer a été rapporteur pour le compte du Comité des régions européennes sur la biodiversité. Un sondage sur ce sujet a obtenu 80 000 réponses. « Beaucoup de jeunes aujourd’hui sont moins matérialistes que nous ne l’étions. Le référendum serait un coup de pouce énorme. Et si nous, les régions et les villes sommes derrière l’idée d’un référendum ce serait un message très fort ».

La lutte contre le climat doit participer à un effort beaucoup plus large pour repenser nos doctrines économiques

On a vu dans les séances précédentes que le rationnement indispensable des émissions de gaz à effet de serre imposait de repenser une doctrine économique qui ne considère que deux catégories de biens, les biens privés gérés par le marché et les biens publics. Pour Dominique Potier, ce bien commun mondial qu’est le climat n’est pas le seul qui nous invite à dépasser cette vision. Le foncier en fait également partie : le foncier, du local au global, de la terre comme jardin à la terre patrie. Partout dans le monde, dit-il, où la terre a été considérée comme un bien de marché semblable aux biens industriels, cela a provoqué destruction des sols et de la société. Sur trois siècles, on peut constater par opposition que là où la terre est partagée on voit fleurir démocratie et prospérité.

C’est avec cette conviction que la terre ne pouvait pas être livrée au libre jeu du marché qu’Edgar Pisani, à la fin des années 50, avait mis en place les structures collectives de gestion foncière déplaçant, au profit du travail, l’arbitrage entre rémunération du travail et rémunération du capital. Aujourd’hui dit-il, il faut un nouveau pas en avant, pourtraiter la terre comme un bien commun, relevant d’une nouvelle problématique, celle de l’arbitrage entre la terre en tant que facteur productif et le partage de la terre en tant que ressource verte.

Ce propos rejoint très directement celui de Bruno Parmentier à la 8e séance quand il montre que les modes de production agricole sont un facteur décisif de préservation du climat : ce n’est donc plus seulement l’arbitrage entre capital et travail qui est en cause, c’est aussi les règles s’appliquant à la préservation de la ressource. On retrouve la nécessité déjà énoncée à propos du climat d’un nouvel équilibre entre les nécessités écologiques, sociales et économiques.

Député de Meurthe-et-Moselle (Toul, Neuve Maison), Dominique Potier signale qu’a été lancée sur son territoire une étude d’ensemble sur la gestion du foncier. Il rêve d’un outil à l’échelle des communautés de communes permettant de montrer les conséquences à long terme, écologiques et sociales, de la gestion du foncier, notamment en construisant des indicateurs de coresponsabilité dans la gestion de la terre : « Ce serait une aventure extraordinaire, souligne-t-il, faire de la gestion du foncier une épopée ».

Pierre Calame abonde dans son sens. Climat et terre font partie selon lui d’une même catégorie de biens, ceux qui se divisent en se partageant mais sont en quantité finie : plafonnement des émissions pour le climat, ressources finies pour la terre. Ce qui illustre dit-il que dans le grand retour en avant vers l’oeconomie, recherche le bien-être de tous dans le respect des limites de la planète, c’est une des quatre catégories de biens, appelant à une réflexion collective sur les régimes de gouvernance qui lui sont applicables. « Les combats pour le climat et le foncier peuvent se renforcer mutuellement », conclut Dominique Potier.

B/ Quelle est la famille de solutions la mieux adaptée ?

Pour beaucoup des intervenants, la troisième famille, celle des quotas individuels négociables est une véritable découverte. Seules, on le sait les deux premières familles, le prix du carbone (famille 1) et les investissements et les réglementations (famille 2) étaient connues. Il n’en est que plus remarquable de constater que pour la plupart des intervenants cette troisième famille mérite d’être approfondie. Comme le souligne Peter Javorcik « Cette troisième famille est très intéressante. Je la découvre. Pour l’instant elle n’est même pas évoquée dans les discussions européennes mais elle devrait être mieux débattue. » Il sent bien qu’au-delà des principes, cette troisième famille demande comme les autres approfondissement et discussion : « quelles méthodologies et mesures de l’empreinte écologique ? Quelles questions politiques et sociales seraient posées par sa mise en œuvre ? Comment différencier les situations et les quotas par type de territoire etc… ».

Julie Laernoes a un propos plus radical encore : « La taxe carbone est devenue un tabou, elle a mauvaise image, a fortiori imposée à l’échelle de l’Union Européenne. La justice sociale s’y oppose. Le système des quotas, lui, s’attaque à l’essentiel ». Pour elle, c’est d’ailleurs la seule proposition qui permet un découplage réel entre développement du bien-être et consommation d’énergie fossile. Bernard Soulage confirme : « la taxe carbone est totalement aveugle à la justice sociale et aux délocalisations » C’est aussi ce découplage qui est au cœur de la réflexion du réseau international Together, animé par Samuel Thirion, guidé précisément par la réflexion : « Plus de bien-être et moins de carbone ».

De tous les participants, c’est Bernard Soulage, à la fois comme homme politique et comme économiste, qui a le plus réfléchi à ces questions : depuis des années il milite pour un parallèle, déjà évoqué dans nos séances précédentes, entre le mécanisme de la TVA et un mécanisme d’enregistrement du « carbone ajouté », en complément de « la valeur ajoutée », tout au long des filières de production. C’est dit-il la seule solution et c’est là le coup de génie. En effet, rappelle-t-il, « c’est en raison de sa simplicité et de la manière dont à chaque étape de l’échange est comptée la valeur ajoutée et remboursée au vendeur la taxe déjà payée, selon le même mécanisme proposé pour le compte carbone de remboursement des points carbone au vendeur à chaque transaction, que la TVA créée en France en 1948 s’est étendue au monde entier ».

Il est vrai qu’en parallèle les participants ont souligné les impasses de la méthode préconisée jusqu’à présent, celle du « signal prix ». Comme on l’a vu précédemment, Peter Javorcik, défendant le système européen des ETS dit que « le bon signal prix devrait rester un outil essentiel » mais il reconnaît que l’on se heurte à des difficultés quand on l’étend à de nouveaux secteurs qui touchent le mode de vie. Philippe Lamberts nous montre de son côté, comme il l’a évoqué à propos des quotas gratuits, que le système ne sera pas en mesure de prendre en compte les émissions importées.

A la question qui lui a été posée par un des participants de savoir si l’Union Européenne serait en état de forcer les États membres à assurer la traçabilité gaz à effet de serre des filières, nécessaire pour introduire le système des quotas individuels, il répond que c’est effectivement un défi mais qu’il n’y a aucune impossibilité à cela.

Dominique Potier dit que dans cette direction le CJDES, Centre des Jeunes Dirigeants de l’Économie Sociale, a déjà mis au point un « impact score » pour appréhender, sous l’angle des émissions gaz à effet de serre mais aussi sous d’autres angles (rejoignant la réflexion exposée par Alister Smith à la 8e séance sur le concept de filières durables) la qualité du process de production. « Trouvons, dit-il, un langage commun pour que chaque citoyen choisisse un mode de production et pas seulement un produit ; mettons les jeunes en mesure de choisir ». Ainsi langage (l’équité face à un bien commun mondial) et indicateurs (les outils de mesures de l’empreinte écologique) sont les deux jambes sur lesquelles marcher.

Jean-Marie Fiévet, empêché à la dernière minute et dont Armel Prieur s’est fait le porte parole est, en tant que député des Deux-Sèvres, très intéressé par le mécanisme du compte carbone individuel ; il a déjà fait les tests avec des commerçants et des artisans et a commencé à porter la question au niveau de la présidence et du gouvernement en France.

Une petite vidéo de Adam Hardy a montré la communauté de pensée entre un groupe d’universitaires anglais défendant le concept de « crédit carbone universel en tant que monnaie carbone » et le compte carbone tel que développé en France. Autre manière pour lui de dire qu’on n’est pas encore entré « dans le dur », il pense que la pensée économique classique en est encore au stade du greenwashing. La réflexion anglaise s’inscrit dans la perspective plus large de l’Institut des communs globaux (autre similarité avec les réflexions qui ont émergé des Assises du climat) et il juge urgent de créer au niveau local des groupes de citoyens pour en débattre.

Adam Hardy

En guise de conclusion très provisoire : les suites à donner aux Assises

En guise de conclusion, invité à dégager à chaud les premières leçons de ces Assises, Pierre Calame a fait les constats suivants :

Il est possible de visionner la séance sur l’enregistrement facebook ICI (cela commence à 4’21 )

Un montage de quart de temps est à visionner ICI

Sources

To go further

Chacun peut puiser dans les ressources libres des assises pour élaborer des publications ou des points-de-vue. Merci de citer la contribution des Assises du climat.

Neuf sessions de deux heures sont intégralement déposées sur le facebook des assises du climat