Quand la culture se partage, les projets culturels sont redéfinis
Katia Buoro, Xavier Desjardins, 2012
Pendant longtemps, le développement de l’intercommunalité en matière culturelle est apparu particulièrement délicat, dans la mesure où la culture est ce qui se partage le moins pour les élus. Autrement dit, leur identification politique à ce qu’ils font en matière culturelle est trop forte pour être facilement partageable, surtout entre pairs et voisins. La loi Chevènement de 1999, qui a donné une contribution décisive au développement de l’intercommunalité, prévoit que parmi les compétences exercées par les communautés d’agglomération et communautés urbaines, la gestion des équipements culturels puisse être transférée depuis les communes vers ces groupements. Dans le texte de cette loi, la définition donnée à la compétence culturelle des agglomérations est minimale : construction, aménagement et entretien des équipements culturels et sportifs. Plus encore que pour les autres compétences, cela laisse des marges d’appréciation très larges aux acteurs territoriaux pour définir la limite entre l’intérêt communautaire et les compétences conservées par les communes.
Quel est l’intérêt des communautés en matière d’équipements culturels ? La loi Chevènement a entraîné un véritable engouement pour l’intercommunalité culturelle. Pourquoi ? Une étude de l’association des communautés de France (ADCF) de 2001 indique que 77 % des communautés d’agglomération ont adopté cette compétence, mais avec une grande diversité quant à ce qu’elle recouvre.
L’exemple lyonnais montre la difficulté de cet exercice de partage d’une compétence. A Lyon, certains acteurs ont pu proposer que la communauté urbaine prît en charge les grands équipements et événement culturels, comme l’opéra, la maison de la Danse ou les Biennales, car ils ont de fait une audience supra-communale. Ces institutions culturelles sont toutefois pour la plupart situées dans la ville centre et certains élus de la périphérie ont pu interpréter cette velléité de transfert de compétence comme une tentative de faire payer par tous la politique municipale de Lyon. D’autres, à l’inverse, comme les élus de Villeurbanne où est localisé le TNP, théâtre qu’il fut question de transférer au niveau communautaire, ont pu considérer qu’il s’agissait là d’une tentative pour dessaisir les communes périphériques de leurs équipements culturels les plus prestigieux. « Montagne qui accouche d’une souris, le long processus, démarré avant même la loi Chevènement devrait permettre la définition d’un intérêt culturel communautaire et par là même d’éclaircir les responsabilités entre communes et communauté, n’a abouti qu’au transfert de quelques événements culturels. Au-delà de son libellé, la compétence « coordination ou soutien financier à des manifestations culturelles de rayonnement d’agglomération » adoptée par la délibération du 12 juillet 2004 ne porte que sur trois manifestations : la Biennale de la Danse, la biennale d’art contemporain et la coordination des Journées du Patrimoine. » (Boino, p. 46).
Dans le cas d’Annecy étudié par Emmanuel Négrier, après un moment de flottement qui a vu le maire de la ville centre se montrer très réticent face à tout transfert de «sa» politique culturelle, le modèle retenu est celui d’un basculement complet des compétences et financements concernant les équipements culturels. Demeureront ainsi, à terme, du ressort municipal les seuls financements associatifs. Un tel retournement est certes dû aux avantages financiers qu’entraîne un fort niveau d’intégration fiscale. Mais c’est aussi le seul qui soit, dans la configuration annécienne, à même de préserver le modèle hérité, considéré comme un fleuron de cette ville depuis des décennies par les nouveaux financements qu’il permet de mobiliser (Négrier, 2004).
Mais cette évolution - souhaitée à Lyon dans un premier temps, réalisée à Annecy - pose un enjeu de contenu de la politique culturelle qui peut s’énoncer de la façon suivante : cette distinction nouvelle entre les politiques culturelles à destination des institutions et les politiques culturelles à destination du monde associatif aggrave une fracture problématique entre « culture professionnelle » et « culture amateur », fracture contre laquelle un certain nombre d’actions étaient entreprises à l’échelle de la ville. Avec les transferts à l’agglomération, cette fracture se trouve comme « institutionnalisée » : le changement d’échelle a donc des effets directs sur les conditions de traitement de l’un des enjeux majeurs des politiques culturelles.
Références
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-Négrier, Emmanuel, « L’agglomération change-t-elle la politique ? Une application aux politiques culturelles ? », In Le Saout, Rémi, Madoré, François, Les effets de l’intercommunalité, Presses universitaires de Rennes, 2004, pp. 129-143.
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Boino, Paul, Gidolet, Nicole, « L’intercommunalité ou l’histoire courte d’une ambition déçue », in Boino, Paul, Les services publics culturels au risque de la métropolisation, le cas de l’agglomération lyonnaise, mars 2006, pp. 36-47.