Comment coopérer ? L’exemple de la France

Katia Buoro, Xavier Desjardins, 2012

Les modalités de la coopération sont très diverses. Elles se différencient à la fois par le type d’union juridique, de la plus souple à la plus rigide, et par la nature des coopérants. Il s’agit le plus souvent de coopération entre voisins, mais parfois également, entre territoires très éloignés les uns des autres.

Après avoir montré l’échec des fusions en matière des communes, nous verrons les différentes versions de l’intercommunalité en France. En raison des multiples tentatives législatives pour promouvoir l’intercommunalité, la France est un laboratoire de formes juridiques de la coopération intercommunale …

La coopération est parfois par-delà les frontières : c’est le cas de la coopération décentralisée ou de la coopération transfrontalière. Les logiques territoriales des collectivités locales entrent alors en contradiction ou en concurrence avec celles des Etats.

Pourquoi ne pas fusionner les communes ? Retour sur une singularité française

Si les communes sont trop petites, pourquoi ne pas les fusionner ? Les tentatives n’ont pas manqué, toujours suivies d’échec, alors que tous les autres pays européens ont conduit de telles politiques de regroupement. Comment expliquer cette singularité ?

Dès avant la Révolution Française, Robert de Hasseln, Condorcet ou encore Letrone avaient suggéré une nouvelle partition du territoire, plus régulière, faisant abstraction des considérations sociologiques et humaines qui avaient présidé aux découpages territoriaux sous la Monarchie absolue. Par la suite, en 1789, Thouret avait déposé sur le bureau de l’Assemblée un rapport sur la réforme des structures territoriales de la France : pour la mettre en œuvre, le 7 septembre 1789, Sieyès avait demandé la nomination d’un comité spécial chargé de dresser un plan de division de la France. Le rapport présenté par Thouret à l’Assemblée le 29 septembre 1789 avait été élaboré par ce comité spécial (Ozouf-Marignier, 1988). Il s’agissait de la découper, selon un schéma géométrique, en 81 départements (de 324 lieues carrées), eux-mêmes divisés en 9 districts (de 36 lieues carrées) comprenant chacun 9 cantons (de 9 lieues carrées). Le projet envisageait la mise en place de 720 unités de base, dont la création était artificielle. Le découpage géométrique de la France était alors perçu comme le meilleur moyen de lutter contre les velléités provinciales susceptibles de briser à terme l’unité du pays. Si l’Assemblée accepte le principe d’une division rationnelle du territoire pour les circonscriptions supra-communales (cantons et départements), elle refuse l’idée d’entériner la création de grandes communes, lui préférant l’installation d’une municipalité dans les 44 000 unités de base, héritées directement de l’Ancien Régime. Le 12 novembre 1789, l’Assemblée annonce la création d’« une municipalité dans chaque ville, bourg, paroisse, communauté de communes ».

Parmi les communes créées par les révolutionnaires, on retrouve les communes de l’Ancien Régime (celles qui avaient bénéficié de privilèges inscrits dans une charte) et les communautés de fait (qui sont issues des paroisses religieuses). L’émiettement communal est lié à cette : « vieille idée héritée de la Révolution selon laquelle le seul territoire qui ne soit pas dangereux est le territoire communal. La France étant à l’époque un pays rural composé de peu de grandes villes, la commune est assimilée à la famille, et c’est justement ce qui permet d’accepter l’idée de représentation au niveau de la commune. Mais toute représentation intermédiaire entre le niveau national et le niveau communal est considérée comme potentiellement dangereuse au sens où elle peut porter atteinte à la République (Mémy, 1999) »

Quelque temps après la création des communes, la constellation du territoire en petites unités était déjà dénoncée, pour être suivie par des projets de révision. En 1793, Condorcet propose la formation de grandes communes. Ce projet est inscrit dans la constitution de l’an III avec les municipalités de canton, elles-mêmes supprimées par la loi du 28 pluviôse an VIII. A partir de cette date, une des caractéristiques de l’histoire administrative française réside dans un enchaînement des projets – toujours infructueux -de refonte des communes. Citons deux projets : la réforme de l’an III sur les municipalités de canton et la loi Marcellin de 1971 (Deux projets analysés dans Demaye, 2000).

La réforme de l’an III : les municipalités de canton

Donnant suite au projet de Condorcet du 15 février 1793 tendant à diviser la France en grandes communes, Boissy d’Anglas dénonce les dangers que représente l’existence de 44 000 municipalités porteuses d’« un germe d’anarchie et de mort ». L’établissement d’une municipalité dans chaque canton et la suppression des districts sont une réaction contre le jacobinisme qui avait dominé les communes et les districts, même si cette explication ne figure pas au nombre des raisons avancées lors des débats de l’Assemblée du 19 messidor, an III. Les arguments présentés sont l’économie de personnel, la recherche de compétence de ce personnel et l’économie des moyens financiers réalisée ainsi que l’amélioration des relations entretenues avec les administrations d’Etat.

C’est ainsi que la Constitution du 5 fructidor an III donne au canton la personnalité morale tout en laissant subsister les communes. La Constitution distingue trois catégories de communes : la première catégorie regroupe les communes de moins de 5000 habitants (les communes sont dotées d’un agent municipal et d’un adjoint ; la réunion des agents municipaux de chaque commune forme la municipalité de canton) ; la seconde catégorie comprend les communes de 5000 à 100 000 habitants (ce sont les villes qui ont une administration municipale pour elles seules) ; la troisième catégorie est constituée par les communes de plus de 100 000 habitants (Paris, Bordeaux, Lyon, Marseille).

Mais le fonctionnement des municipalités de canton, installées dans une période trouble de l’histoire, fut un échec. Elles sont supprimées par la Constitution du 22 frimaire an VIII.

L’échec de la loi Marcellin sur la fusion des communes

Au cours des années 1960, alors que l’urbanisation du territoire était très rapide, des projets de modernisation de la carte administrative se font jour. L’avant-projet Fouchet du 5 décembre 1967 propose l’établissement, au niveau départemental, d’un plan de coopération intercommunale basé sur des secteurs de coopération, sur lesquels devaient s’appuyer des regroupements intercommunaux constitués librement. La procédure de réforme se voulait négociée, avec la diffusion du projet aux associations d’élus locaux. Ces associations ont globalement accepté le projet gouvernemental, mais les élus de l’opposition manifestent leur hostilité à son égard. Le préfet était chargé d’établir la carte des secteurs de coopération. En dépit du caractère ouvert de la procédure de réforme, le projet Fouchet était animé par une ambition autoritaire. En effet, en cas de désaccord entre les propositions du préfet et les avis exprimés par les conseils municipaux et le conseil général, le plan devait être arrêté par décret en Conseil d’Etat. Mais, en fin de compte, le projet – déposé le 15 mai 1968 sur le bureau de l’Assemblée nationale – a subi le contrecoup des événements de mai 1968.

Mais, quelque temps après cet ajournement du projet Fouchet, la loi Marcellin du 16 juillet 1971 entendait lutter contre les conséquences de l’exode rural et de l’explosion urbaine au moyen des fusions de communes. La loi prévoyait l’établissement par une commission d’élus, d’un plan de fusions de communes au niveau départemental. Toutefois, la commission se limitait à soumettre des propositions au préfet, lequel détenait seul le pouvoir d’arrêter le plan départemental. Le préfet était présent tout au long de la procédure : non seulement il arrêtait le plan, mais il détenait également le pouvoir de prononcer les fusions. Dans le plan, devaient apparaître des propositions de fusions entre les communes appartenant à une même agglomération et entre les communes rurales, ainsi que des propositions de regroupements de communautés (communautés urbaines, districts et SIVOM). Cette loi empreinte d’autoritarisme n’a pas obtenu de résultats plus convaincants que les précédentes. Les facteurs essentiels de son échec sont la capacité de résistance des élus et l’inertie de l’administration. Les élus se sont montrés hostiles à la réforme : attachés au cadre communal, ils ont manifesté leur opposition.

Le nombre de communes est passé de 37 708 en 1968 à 36394 en 1978 : la loi Marcellin n’a pas eu les résultats escomptés. Par la suite, entre 1975 et 1992, pour 44 communes supprimées à l’occasion de fusions simples ou de fusions avec communes associées, 208 communes ont été créées à la suite de scissions… Le nombre élevé de communes n’est-il pas un lieu de mémoire de l’histoire française ?

Références

  • De Kervasdoué Jean, Fabius Laurent, Mayodier Myriem, Doublet Francis, « La loi et le changement social : un diagnostic. La loi du 16 juillet 1971 sur les fusions et regroupements de communes », Revue française de sociologie, 17, 1976, pp. 423-450.

  • Demaye Patricia, Le renouveau du droit de l’intercommunalité en France. Un enjeu de la réforme territoriale ?, Thèse pour le doctorat de droit public, Université de Picardie, 2000, 677 p.

  • Mémy Yves, « Territoire et représentation politique », Esprit, mars-avril 1999.

  • Ozouf-Marignier Marie-Vic, La formation des départements, la représentation du territoire à la fin du 18ème siècle, Edition de l’école des Hautes études en sciences sociales, 1988, 363 p.