Cadix, en lutte contre la précarité énergétique

décembre 2018

Energy Cities

En 2015, alors que la ville se trouve dans une situation complexe, une nouvelle municipalité arrive au pouvoir et enclenche des changements considérables.

Trois ans plus tard, la Ville implique un nombre considérable d’acteurs de son territoire dans sa transition énergétique et permet ainsi la mise en œuvre de réelles avancées. La lutte contre la précarité énergétique est considérée comme l’une des priorités de ce mandat et, grâce à un travail coopératif entre la mairie, les citoyens et la compagnie électrique de la ville, un tarif social pour l’énergie est en train de voir le jour. Cadix est la première ville espagnole à travailler concrètement à l’instauration d’une telle mesure. Toutes ces actions en faveur d’une transition énergétique démocratique rendent la ville de plus en plus attractive et favorisent notamment la création d’emplois verts.

UN POTENTIEL NON EXPLOITÉ PENDANT DES ANNÉES

En mai 2015, alors que la ville était depuis 20 ans aux mains du Partido Popular1, une coalition de deux candidatures citoyennes, Por Cádiz sí se puede2 et Ganar Cádiz 3, remporte les élections municipales. La situation de Cadix est complexe et contrastée. Alors que la crise économique dure depuis près de 8 ans, que la dette de la ville avoisine 275 millions d’euros et que le taux de chômage est l’un des plus élevés de l’Union Européenne, la ville doit également faire face à une très forte crise démographique. Elle qui comptait 160 000 habitants dans les années 80, n’en compte plus que 120 000 en 2017. La ville possède pourtant de nombreux atouts, mais ceux-ci sont peu exploités. À Cadix se trouve la plus grande entreprise énergétique semi-publique d’Espagne : Eléctrica de Cádiz.

La ville la possède à 55 %, les parts restantes étant détenues par Unicaja (banque espagnole) et Endesa (entreprise énergétique leader en Espagne). Avec plus de 3 000 heures de soleil par an, Cadix est également l’une des villes les plus ensoleillées de l’Union Européenne. Cependant, seul 0,001 % de son énergie est d’origine solaire. Enfin, la ville possède un port et des chantiers navals importants et bénéficie d’une très bonne image touristique. Du point de vue de sa politique énergétique, la ville a signé en 2009 la Convention des Maires pour le Climat et l’Énergie 4 et s’est ainsi engagée à baisser de 21% ses émissions de CO2 à l’horizon 2020. Cependant, aucune mesure n’a été mise en place en ce sens lors de la rédaction du Plan d’Action de 2013. Le gaspillage énergétique est considérable et la population n’est pas très sensibilisée aux questions énergétiques. Enfin, comme partout en Espagne, le taux de précarité énergétique est très élevé (11 % au niveau national en 2018) alors que les marges des compagnies électriques sont parmi les plus élevées d’Europe. La nouvelle municipalité fixe alors l’objectif de s’appuyer sur les ressources locales pour promouvoir la transition énergétique et reconstruire le tissu social et économique de la ville. La transition devra être démocratique, afin de porter la discussion sur le modèle énergétique de la ville dans la sphère publique, à la fois dans et hors des institutions.

ENCLENCHER UNE TRANSITION ÉNERGÉTIQUE DÉMOCRATIQUE POUR RECONSTRUIRE LE TISSU SOCIAL ET ÉCONOMIQUE

La nouvelle coalition formée de Por Cádiz sí se puede et Ganar Cádiz fixe trois axes principaux dans lesquels doit se décliner la transition énergétique démocratique :

Repenser la consommation énergétique municipale

DIAGNOSTIC INTERNE

Une des premières actions mises en place par le nouveau gouvernement a été de réaliser un bilan énergétique, interne à la municipalité, qui a révélé :

Suite à ces constats, la municipalité décide de reprendre le contrôle de sa consommation énergétique. Pour cela, le groupe de travail pour la transition énergétique à Cadix (MTEC 5) est lancé en 2015.

DIAGNOSTIC EXTERNE

Suite aux résultats du bilan énergétique interne, le MTEC décide de réaliser une seconde enquête (the social Pulse on Energy).

L’objectif est cette fois de cerner dans quelle mesure les habitants comprennent, ou non, leur facture énergétique et aussi de recueillir leur avis sur la politique énergétique de la municipalité. C’est la première enquête de ce type réalisée en Espagne. Elle a été imaginée par les membres du MTEC et a consisté en 450 entretiens en face à face.

Les résultats :

part d’entre eux ne la comprend pas vraiment

Les mesures identifiées comme prioritaires par les habitants :

ÉLECTRICITÉ 100 % RENOUVELABLE

Eléctrica de Cádiz est la compagnie électrique historique de Cadix. Il s’agit d’un distributeur d’énergie détenu à 55 % par la Ville, le reste appartient à Endesa et Unicaja. Après avoir étudié les résultats des deux enquêtes ainsi que les travaux du MTEC, il a été décidé qu’Eléctrica de Cádiz ne fournirait plus que de l’électricité renouvelable. Depuis 2017, la compagnie approvisionne tous les bâtiments municipaux et 80 % des logements de la ville en électricité verte. Elle a également réussi à remporter des contrats dans deux autres villes espagnoles voisines qui étaient précédemment aux mains des grandes compagnies nationales.

Cela représente 62 000 clients et une consommation de 195 000 MWh par an, ce qui fait d’Eléctrica de Cádiz le plus grand distributeur d’électricité verte en Espagne (en fonction du nombre d’utilisateurs). Cette conversion s’est faite sans provoquer de hausse de prix pour les consommateurs finaux. D’après le président d’Eléctrica de Cádiz, la conversion au 100 % ENR permet d’éviter la production de 58 500 tonnes de CO2 et de 93 grammes de déchets radioactifs par an.

La compagnie se fixe aujourd’hui deux nouveaux objectifs :

Démocratiser l’accès à l’énergie

IMAGINER UN TARIF SOCIAL DE L’ÉNERGIE

Les deux enquêtes ont permis d’identifier un problème majeur à Cadix : le très fort taux de précarité énergétique. Depuis plusieurs années, de nombreux citoyens et mouvements réclamaient la mise en place d’un tarif spécial de l’énergie pour les familles les plus démunies. En octobre 2015, le conseil municipal approuve cette décision et créé un second groupe de travail, la MCPE 6 (Table ronde pour la lutte contre la précarité énergétique) pour déterminer les modalités de mise en œuvre de ce tarif. Comme pour la MTEC, la MCPE est permanente et fonctionne de façon horizontale, par consensus.

Elle regroupe des :

ÉLABORER LA PROPOSITION

Le tarif a été imaginé par le MCPE. Alors que le tarif social national correspond à une réduction de 25 % de la facture énergétique,le MCPE a décidé que celui de Cadix prendrait la forme d’un tarif réduit pour permettre à chaque famille d’avoir une vie décente. Une étude a donc été réalisée pour déterminer les besoins énergétiques des familles les plus vulnérables. Celle-ci a été réalisée par le collège technique des ingénieurs et a intégré les suggestions d’un certain nombre de rapports techniques et juridiques. Le dispositif serait financé à 50 % par l’entreprise et à 50 % par le conseil municipal.

La participation à une formation sur l’efficacité énergétique a été définie comme prérequis pour bénéficier de cette subvention.

La proposition a ensuite été soumise au vote des directeurs d’Eléctrica de Cádiz.

À cette époque, malgré opposition du Partido Popular et d’Endesa, Eléctrica de Cádiz, la municipalité et le MCPE ont travaillé ensemble pour permettre la mise en place de ce tarif spécial. C’est la première fois qu’un tel tarif est imaginé en Espagne.

Ainsi, une famille de 4 personnes en situation de précarité énergétique (2 adultes et 2 enfants) devrait avoir droit à :

Au final, elle pourrait voir sa facture énergétique baisser jusqu’à 80 %. Dans les derniers six mois, 800 familles ont reçu une aide directe.

ACTIONS COMPLÉMENTAIRES

En plus du tarif social, la Ville et le MCPE ont mis en place – en collaboration avec la compagnie d’électricité locale – un programme d’urgence contre la précarité énergétique sur une période de 6-9 mois qui s’est décliné en plusieurs actions très encourageantes :

Actuellement, la Ville et le MTEC travaillent au développement d’une campagne « d’alphabétisation » énergétique populaire.

Chaque semaine, les participants du MTEC se rendent dans un quartier pour animer des débats sur les économies d’énergie, en collaboration avec d’autres acteurs locaux (ONG, associations de quartier, groupes de femmes etc.). L’objectif est non seulement d’aider les participants à économiser de l’argent (baisse des factures), mais également de développer une culture de la consommation d’énergie socialement et écologiquement responsable, tout en encourageant les citoyens à être acteurs de la transition énergétique. L’ensemble de ces actions a vocation à inciter les individus à remettre en cause le modèle énergétique traditionnel.

D’ici 2019, le gouvernement prévoit également d’élaborer une feuille de route pour l’énergie durable à Cadix, et ce grâce à un processus participatif.

Développer les emplois verts

En octobre 2017, l’entreprise Torrot a annoncé sa décision d’ouvrir une usine de production de vélos électriques à Cadix afin de bénéficier de l’électricité 100 % renouvelable proposée par Eléctrica de Cádiz. L’investissement représente un montant de 12 millions d’euros. La production devrait démarrer fin 2018 et permettre dans un premier temps la création de 100 emplois, puis de 100 supplémentaires par la suite (emplois directs et indirects). Sachant que le taux de chômage est très élevé, cela représente un signal positif pour la ville.

1 Le parti conservateur (PP)

2 Traduction : For Cadiz, yes we can

3 Traduction : Win Cadiz

4 La Convention des Maires pour le Climat et l’Énergie a été créée en 2008 et vise à rassembler les collectivités locales qui se sont volontairement engagées à atteindre, voire dépasser les objectifs climatiques et énergétiques de l’UE. On compte 7 000 collectivités locales et régionales signataires, réparties dans 57 pays.

5 MTEC : Mesa de Transición Energética de Cádiz

6 MCPE : Mesa contra la Pobreza Energética

Références

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